Qui sont les femmes de la « Marche des Marguerites »

 | Par Brasil de Fato, Mayara Paixão

Qui sont les femmes qui ont pris part à la « Marche des Marguerites » en 2019 et comment luttent-elles aujourd’hui contre le Covid-19.

Des agricultrices, marchandes de fruits de mer et habitantes de quilombos se mobilisent pour défendre les politiques publiques à Brasilia.

Traduction de Patrick LOUIS pour Autres Brésils
Relecture de Martine MAURY

Les 13 et 14 août 2019, Brasilia a reçu la « Marche des Marguerites », la plus grande action collective de travailleuses de l´Amérique latine. Coordonnée par la Confédération Nationale des Travailleurs et Travailleuses Rurales ; Agriculteurs et Agricultrices Familiaux (Contag), ses 27 fédérations étatiques et plus de quatre mille syndicats affiliés, elle est construite en partenariat avec les mouvements féministes, les centrales syndicales et les organisations internationales.

Le nom de cette marche rend hommage à Margarita Maria Alves, syndicaliste de l´Etat du Paraiba assassinée en 1983, à 50 ans, par un tueur à gages aux ordres de grands propriétaires terriens de la région. En 2019, cela fera 36 ans qu´elle a été assassinée. À ce jour, aucun accusé responsable de sa mort n´a été condamné.

Des histoires qui se croisent

La pêche artisanale et la cueillette du fruit de la passion sauvage, fruit originaire de la région semi-aride du Nord-Est du Brésil [1], sont la base des activités qui génèrent un revenu pour les 32 familles installées dans le « Projet Agroextrativista », sis dans la petite municipalité de Autuzes, État d´Amazone. Les femmes, qui sont propriétaires des lopins de terre, sont en première ligne de ces activités.

Parmi elles, Maria do Rosário Fernandes, 50 ans, connaît “à fond” l´histoire du lieu. Elle suit les activités et travaille dans la cueillette locale depuis la conquête de ce lieu de vie et de travail, en 2006, par la communauté qui s´y est installée, qui y a construit des habitats et y travaille [2]. Une telle relation avec la région lui a fait attribuer le gentil surnom de Juma, en hommage à la rivière du même nom qui passe par la commune.

Quand elle parle de la réalité locale, Juma met en avant les défis quotidiens de ces femmes, rendus plus importants par le manque d´attention des pouvoirs publics. Écouler la production est l´une des tâches les plus difficiles à cause des distances qui séparent les cueilleuses de la forêt du point de vente des marchandises, à Manaus, la capitale de l´État.

Support utilisé pour la mobilisation des travailleuses
Pedro Aguiar

La santé, affirme l´agricultrice, est un autre défi. « Parfois, la femme est dans une communauté, elle est enceinte et a besoin d´assistance. Pour arriver au siège de la municipalité, quelquefois c´est une journée de voyage et il n´y a pas de moyen de transport. Ou dans le cas d´un accident avec un animal vénéneux, un serpent par exemple, les personnes meurent avant d´arriver au lieu des secours  », relate t-elle.

À presque trois mille kilomètres de là, dans l´État de Bahia, la réalité de Lilian Santana, 26 ans, habitante du Nord-Est du pays, semble un écho à celle de Juma. Malgré la grande distance qui sépare physiquement et culturellement les régions, les défis rencontrés dans leurs territoires relient l´histoire et les désirs de ces deux femmes.

Lilian est pêcheuse de fruits de mer dans une communauté qui vit au bord d´une rivière dans la « Reserva Extrativista de Canavieiras », littoral sud de l´État de Bahia. Elle a appris ce travail avec sa mère et sa grand-mère, et aujourd´hui, elle aide sa famille en pêchant des « siris » et des « aratus », crabes typiques de cette région.
Selon la critique de cette pêcheuse, cette activité, développée principalement par les femmes, souffre du désintérêt de l´État quand il s´agit des questions de santé.

Ces femmes, qui sont exposées à des températures basses dans l´eau et la boue froides, développent de l´arthrite, de l´arthrose et des rhumatismes. Certaines femmes ont des fissures aux pieds et n´ont pas de traitement. Et elles les gardent toute la vie. Les femmes doivent utiliser des bottes mais certaines n´ont pas les moyens d´en acheter, alors elles se coupent avec les huîtres, Il n´y a pas d´assurance accident, expliquent-elles. Certaines pêcheuses sont loin de connaître leurs droits et ne savent pas qu´elles devraient avoir une assistance.

Sous peu, « l´amazonienne » Juma et la « bahianaise » Lilian [3] seront ensemble dans la capitale fédérale, Brasília, afin de participer à la « Marche des Marguerites ». Cette mobilisation est considérée comme une occasion, pour les agricultrices, de porter à Brasília les préoccupations et les revendications de leurs droits.

Alors que l´amazonienne participe à la troisième édition de cette marche, la baianaise Lilian Santana s´y rendra pour la première fois. L´espoir est que cent mille femmes occupent les rues de Brasilia lors de cette sixième édition de la Marche des Marguerites.

Retraite

Au-delà des défis régionaux, une autre revendication, qui existe dans les préoccupations de ces deux femmes, sera emmenée à la capitale fédérale : La réforme des retraites, nom attribué à la « Proposition de Complément de la Constitution (PEC) 6 », de 2019, en instruction au Congrès Fédéral.

Si elle est approuvée, la principale mesure du gouvernement de Jair Bolsonaro augmentera de 60 à 62 ans l´âge minimum pour la retraite des femmes, et fixera à 20 ans la contribution minimale, qui est de 15 ans actuellement. [4]

Presque 20 ans d´histoire

Pour sa sixième édition, la devise de cette année est : Lutte en faveur de la souveraineté populaire, de la démocratie, de la justice et de l´égalité et sans violence.

La première édition a eu lieu en 2000 et 20.000 femmes y ont pris part. Comme l´explique la coordinatrice de la Marche, Mazé Morais, cela a été le début d´une mobilisation nationale qui, jusqu´à ce jour, organise les femmes dans leurs localités à travers le pays.

Ouverture de la première Marche des Marguerites en 2000.
Cláudia Ferreira/fonds

« Il est important de dire que la Marche n´est pas seulement un moment à Brasília. Il existe toute une démarche de mobilisation, formation et construction à la base. Cela est très symbolique que les femmes marchent jusqu´au lieu où se trouve le centre du Pouvoir et qu´elles expriment leurs besoins et leurs souhaits », affirme t-elle.

Selon Madame Mazé, qui est aussi secrétaire de « Femmes de la Contag », les conquêtes furent nombreuses depuis le début, comme celle de l´attribution de titres de propriété terrienne à des hommes et des femmes et celle qui a permis la campagne de référencement des travailleuses rurales.

Pour la Marche de cette année [2019], elle affirme que ne sera pas seulement présentée une seule proposition, mais un programme politique. « Ce sont des questions importantes que nous allons soulever : le droit à la terre, l´eau, l´agroécologie, l´éducation, la santé, l´opposition à toute forme de violence, qui est sans cesse plus forte dans le pays. C´est une plateforme qui prétend dire au Brésil et au monde quel est le modèle de société que les Marguerites défendent », conclue t-elle.

  • Complément d’article par l’Association Autres Brésils -

    Les Margarites au centre de la lutte contre le Covid-19

La pandémie de Covid-19 a bouleversé les plans, les projets et les rêves. Du jour au lendemain, elle a changé la vie non seulement des citadins, mais aussi des femmes et des hommes qui vivent àdans les zones rurales les plus éloignées du Maranhão.

Et c’est dans ce scénario complexe et difficile que germe la force des Marguerites du Maranhão. Dans la recherche collective et la sororité pour combattre le coronavirus et défendre la vie.

Sous l’impulsion du Collectif national des femmes, ces Margarites Maranhenses [5] ont commencé à se connecter quotidiennement sur les réseaux sociaux, parlant et socialisant des idées, des expériences et les expériences de lutte contre Covid-19.

Des espaces virtuels où une phrase bien connue prend tout son sens : Personne ne lâche la main de personne !

Avec les sororités, nous cherchons ensemble à faire en sorte que toutes (celles et ceux qui vivent dans les zones rurales) puissent faire face à ce moment de crise sanitaire, sociale, économique et psycho-émotionnelle. Nous sommes conscients qu’ensemble nous sommes beaucoup plus forts", partage la secrétaire des femmes de la Fédération des travailleurs ruraux et des agriculteurs familiaux de l’État du Maranhão (FETAEMA), Ligia Daiane.

Avec leurs machines à coudre, avec des tissus neufs, anciens, donnés ou achetés, les Margarites Maranhenses fabriquent quotidiennement des masques artisanaux à donner aux ouvriers agricoles et aux agriculteurs familiaux. Un de ces exemples de solidarité vient de la communauté du Quilombo [6] Capoeira, à Viana/MA.

"Grâce aux dons de matériel de l’Union, de camarades et d’amis, nous fabriquons gratuitement des masques pour les habitants de la Capoeira et d’autres communautés voisines, et nous sensibilisons les gens à l’importance de rester chez eux pour éviter que le virus Covid-19 ne contamine davantage de personnes", explique Maria Madalena Santos Rocha, une quilombola.

En plus des dons dans les communautés quilombolas, les femmes rurales du Maranhão distribuent également les masques au sein de leur syndicat, dans les files d’attente des agences bancaires et des maisons de loterie oú l’aide d’urgence [7] peut être collecté et dans les untiés syndicales locales.

"Ici et dans plusieurs syndicats du Maranhão, de l’eau, du savon et du gel hydroalcoolique ont été placés à l’entrée du siège pour être utilisés par les travailleurs ruraux. Nous avons également mis en place des coins d’information avec des documents en langage simple sur Covid-19. La pandémie nous a appris que même avec peu de ressources, nous pouvons créer des stratégies et garantir une assistance sûre à notre catégorie", déclare la responsable du syndicat des travailleurs ruraux de Vitorino Freire, Eline Macêdo

La résistance des femmes rurales du Maranhão est aussi dans le quotidien de la campagne, où mises en garde contre le coronavirus, elles continuent quotidiennement dans leurs plantations et leurs créations, commercialisant leurs produits afin que la nourriture ne manque pas sur la table des gens de la campagne et de la ville.

Pour ces femmes, la marche, bien que longue, devient moins pénible lorsqu’elles "s’entrelacent" avec d’autres femmes. Lorsqu’ils portent ensemble les drapeaux historiques du Mouvement syndical des travailleurs et des travailleurs ruraux (MSTTR), ils sont guidés par la valorisation de l’espace rural comme lieu privilégié de transformation et de mise en œuvre des politiques d’inclusion sociale.

"Nous en sortirons encore plus forts, portant nos drapeaux de lutte pour la terre, l’eau et l’agro-écologie, et pour la défense de notre système universel de Santé (SUS) [8] En temps de pandémie, nous consolidons nos actions en suivant l’exemple de Margaridas Alves, travailleuse rural et dirigeante syndicale, qui, même face à la persécution des grands propriétaires terriens, a déclaré : "Il vaut mieux mourir dans la lutte que de mourir de faim". En tant que Margarites, nous continuer de marcher, jusqu’à ce que nous soyons toutes libres", conclut la secrétaire des femmes de la FETAEMA, Ligia Daiane.

Voir en ligne : Quem são as mulheres que participarão da Marcha das Margaridas

Photo de Couverture : De Olho nos Ruralistas - Margaridas e Marielles

[1Lire aussi à ce sujet, L’article de l’Articulatio National de l’Agroecologie. Les communautés rurales du Nordeste semi-aride vont porter un message à Brasília.Le Nordeste semi-aride refuse d’être exclu des budgets fédéraux

[2« l´assentamento » recouvre ces trois réalités, entre autres

[3respectivement habitantes des États d´Amazonie et de Bahia

[4Cette mesure est à ce jour en discussion

[5de l’État du Maranhão

[6Communautés marronnes fondées par des esclaves noirs ayant repris leur liberté, qui apparaissent au Brésil, dès le XVIe siècle. Ces communautés sont présentes dans différentes parties du pays, à travers leurs descendants, qui lutte jusqu’à aujourd’hui pour la reconnaissance de leurs territoires traditionnels et propres modes de vie.
Ce mot est aussi à l’origine du néologisme « aquilomber » désignant une nouvelle façon de faire de la politique à travers des mandats collectifs portés par des projets antiracistes.

[7d’un montant de 600 euros

[8À ce sujet, lire l’entretien avec Reinaldo Guimarães. Covid-19 au Brésil : le « SUS » (santé publique) cet élément essentiel.

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