C’est quelque chose de surprenant car jamais ces moyens de communication qui définissent l’agenda journalistique national n’ont agi avec autant de pugnacité et de manière aussi implacable qu’aujourd’hui dans leur relation avec le pouvoir politique fédéral. Il s’agit également d’une situation qui provoque des réflexions sur la relation entre les médias et le Palacio do Planalto (la Présidence) ainsi que sur la manière dont les réseaux sociaux virtuels sont entrés dans le jeu politique, exerçant leur influence sur la production de ce qui compte au niveau de l’information nationale, régionale et locale.
Le positionnement des principaux conglomérats médiatiques brésiliens [1] n’a plus laissé de doute après l’épisode de la divulgation de la vidéo de la réunion ministérielle du 22 avril à Brasília [2] . Folha de S.Paulo, TV Globo, Estado de São Paulo et O Globo ont épluché jusque dans les plus petits détails un événement qui a étalé au grand jour l’intimité du gouvernement Bolsonaro. Ces médias ont été particulièrement implacables dans la présentation de preuves réfutant les griefs et critiques du Président brésilien et de plusieurs de ses ministres concernant les accusations d’ingérence dans l’action de la Police fédérale.
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La couverture de l’événement dans les journaux de la télévision Globo fut pédagogique dans sa manière d’explorer dans les détails les plus minimes, la prestation désastreuse du Président, allant jusqu’à analyser les regards et les intonations de voix pour montrer de quelle manière Bolsonaro a utilisé cette réunion pour essayer de diaboliser l’ancien ministre Sérgio Moro. Les présentateurs des journaux télévisés ont pris grand soin de démonter de manière détaillée, les arguments non seulement du Président mais également des ministres qui, de manière très maladroite ont essayé de venir au secours de leur chef quand celui-ci a demandé le soutien de ses subordonnés.
La ligne éditoriale de la Globo, dans l’épisode de la réunion du 22 avril s’est appuyée sur une didactique quasi scolaire dans la manière de démonter la fragile argumentation du Président plutôt que sur le style narratif habituel, dans les documents qu’elle a diffusés. Elle était davantage dans le rôle d’un procureur que d’un observateur, comportement qui peut scandaliser des amis et des déçus de cette chaine de télévision mais qui lui confère une force critique supérieure à celle des partis politiques d’opposition, aussi bien ceux du centre que de la gauche.
Dans sa couverture journalière, la Folha de São Paulo, quant à elle, a accordé plus d’importance à la gestion économique du gouvernement fédéral, ce qu’a fait également l’Estadão. La Folha a ouvert son espace éditorial à l’exploration d’alternatives peu mentionnées par le secteur de l’entreprise et par les économistes du gouvernement telles que les propositions de revenu minimum universel, les stratégies développementistes et le rôle de l’État brésilien dans la conjoncture actuelle. Le journal O Globo, de son côté, a choisi de valoriser la dimension humaine de la pandémie du coronavirus dans une stratégie visant à montrer l’insensibilité gouvernementale face au drame vécu par des millions de Brésiliens.
Le facteur Moro
La stratégie des Organisations Globo [3] donne très clairement la priorité à la défense de la position de l’ex-ministre Sergio Moro dont l’image publique est beaucoup plus proche de ce que ce conglomérat considère comme politiquement correct. En même temps, le quotidien, tout comme la chaîne de télévision, utilise l’augmentation du nombre de décès causés par le covid 19 comme stratégie pour mettre en évidence la désorganisation et l’absence de projet du gouvernement Bolsonaro dans le traitement de la pandémie.
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Face à la fragilité et au désarroi des partis d’opposition du centre et de la gauche, les grands médias de Rio et São Paulo sont devenus le foyer principal de l’opposition aux partisans du bolsonaro-olavisme [4] du pays.
L’antagonisme entre la presse et le Palacio do Planalto n’est ni accidentel, ni fortuit. Il répond à une nouvelle configuration politique du pays provoquée par l’ascension de groupes politiques d’extrême droite qui occupent la vacance laissée par la gauche après la mise à l’écart du pouvoir du Parti des travailleurs.
La troupe de choc du gouvernement se compose d’un large éventail de partisans, allant des groupes religieux évangélistes aux miliciens et aux groupes paramilitaires en passant par une masse de personnes désabusées avec la fin des avancées obtenues au cours des 14 années de lulisme. Le binôme bolsonaro – olaviste souhaite la dissolution des structures politiques, économiques, sociales culturelles et même environnementales qui représentent ce que l’on a l’habitude d’appeler les valeurs de l’establishment, dissolution qui s’oppose frontalement à tout ce que la presse bourgeoise a toujours défendu.
Le conflit actuel entre la presse et le gouvernement est beaucoup plus qu’un simple choc d’intérêts politico-électoraux. Il remet en cause des structures et des valeurs beaucoup plus enracinées qui renvoient à des visions du monde antagoniques. Le mépris de l’extrême droite pour la logique politique traditionnelle, pour la cohérence, la crédibilité, l’éthique formelle, les normes démocratiques, les droits humains et les valeurs républicaines, vise à créer un climat d’instabilité et d’incertitudes.
Il est clair que les grands médias qui constituent une partie importante de cet establishment, ne peuvent s’associer à un tel projet car il remet en cause leur propre existence. Pour cette raison, il ne leur reste pas d’autre option que l’affrontement, même si celui-ci implique un épuisement douloureux à un moment où la presse vit sa pire crise depuis 200 ans en raison des transformations dues à l’arrivée des nouvelles technologies numériques de l’information et de la communication.