Au Brésil, l’éducation ubérisée est en marche

 | Par Outras Palavras

Les enseignant.es sont remplacé.es par des cours enregistrés, les échanges collectifs par l’enseignement à distance, et des robots sont mis au service des étudiants. Le discours de la modernisation est utilisé pour réduire les budgets et précariser les emplois. Pour éviter cette dystopie, il convient de recourir au « travail vivant » et affronter les technologies.

Ce texte a été traduit par les étudiant.es 3è année de License ’LEA’ de la Faculté de langues de l’Université de La Rochelle pour Autres Brésils
Relecture : Felipe Kaiser

Nous savons combien le marché informel se développe et, surtout avec la pandémie, nous avons encore plus de chômeurs, de personnes découragées et des travailleurs dont les conditions sont précaires et qui sont exposés au salariat déguisé [1]. Les changements technologiques, qui s’accompagnent d’avancées exponentielles de poids, affectent et modifient également directement les formes d’exploitation de la valeur ajoutée [2].

Parmi les différentes catégories exposées à la pandémie, les enseignants ont été au centre d’une polarisation qui oppose leur vie à une pression pour reprendre les cours en présentiel. Dans le même temps, le débat sur l’enseignement hybride post-pandémie progresse, les enseignants étant remplacés par des robots et les classes surchargées se faisant en enseignement à distance. Au milieu de tout cela, où se trouve le droit à une vie digne, à la santé et à l’éducation ?

Technologie et travail

L’ubérisation est un processus dans lequel les relations de travail sont de plus en plus individualisées et rendues invisibles, prenant ainsi l’apparence d’une prestation de services ayant pour intermédiaire la technologie, augmentant l’externalisation et l’informalité [3]. L’un des exemples est le « contrat zéro heure », né au Royaume-Uni et qui se répand dans le monde entier, permettant d’embaucher des travailleurs et travailleuses issus des activités les plus diverses, qui sont à la disposition d’une plateforme numérique en permanence, sans aucune stabilité ni relation de travail, et le « système 9-9-6 », qui consiste à travailler de 9 heures à 21 heures, 6 jours par semaine.

Avec l’expansion de l’informalité dans le monde numérique, l’expansion du travail autonome et de l’entrepreneuriat comme prix supposé en parallèle à la stabilité du lien de travail, une forme de salariat du travail se configure de plus en plus, qui se traduit souvent par l’entrepreneur qui auto-exploite son travail [4].

En conséquence de ces nouvelles relations numériques de travail, le processus technologique, organisationnel et informationnel peut supprimer de plus en plus une quantité incalculable de main d’œuvre, qui devient superflue et excédentaire, sans emploi et sans sécurité sociale. Ainsi, même si une partie des nouveaux emplois sont créés pour des demandes de plus en plus complexes et spécifiques, on assiste à une augmentation croissante du sous-emploi et de la précarité [5].

Dans le secteur de l’éducation, il est déjà possible d’identifier cette tendance qui est reproduite pour réduire les coûts et augmenter les profits. Que ce soit avec des licenciements massifs d’enseignants dans le cadre de classes à distance (où les classes surchargées sont réparties à un nombre réduit d’enseignants) ou avec des robots utilisés pour corriger les activités, existe une tendance s’insère timidement et principalement dans l’enseignement supérieur privé au Brésil. Cas extrême de la dystopie à laquelle nous faisons face, les étudiants ont découvert qu’ils suivaient en 2021 des cours en ligne dispensés par un professeur décédé depuis 2019 !

Des questions surgissent, car dans quelle mesure l’enseignement à distance, qui devrait élargir et dépasser les limites de l’expérience académique, ne remplacera-t-il pas les enseignants par des cours enregistrés ? Ou encore limitera-t-il la réflexion et le processus d’apprentissage en insérant une intelligence artificielle et des logiques robotiques pour interagir avec les étudiants ? Dans quelle mesure la fonction sociale des universités sera-t-elle préservée et le triptyque enseignement, recherche et développement garanti ?

Pour le monde du travail, la principale conséquence pourrait être l’expansion du travail mort [6] (davantage de machines numériques, d’intelligence artificielle, d’algorithmes, de Big Data et d’autres technologies qui émulent la réalité) en tant que travail dominant et moteur de l’ensemble du processus productif et la réduction conséquente du travail vivant.

Malgré cela, il est crucial de souligner que les problèmes à affronter ne résident pas dans les nouvelles technologies elles-mêmes, mais dans leur instrumentalisation pour prendre pour modèle des maquettes d’enseignement précaire dont le but est le démantèlement des universités brésiliennes. En outre, surtout dans le contexte de l’enseignement et de l’apprentissage, il est impossible de dissocier l’éducation et la technologie ; au contraire, les deux doivent être associées pour apprécier le processus de formation.

L’éducation associée à la technologie

En ce sens, la technologie - abstraite et impalpable - ne doit pas orienter unilatéralement la méthodologie éducative et les pratiques pédagogiques. Au contraire, la technologie - matérielle et inscrite dans la réalité - doit servir d’instrument pour étendre et déterminer les techniques et les méthodologies d’enseignement qui peuvent toucher encore plus d’étudiants. En d’autres termes, il ne devrait pas y avoir de dichotomie et de polarisation entre les « nouvelles technologies » et la « qualité de l’éducation », puisque ces nouvelles technologies peuvent et doivent être utilisées lorsqu’elles servent le principe de l’amélioration de la qualité de l’éducation. Sinon, quel est l’intérêt ?

Il convient de noter que les profondes transformations de l’industrie 4.0 pourront avoir un impact à bien des égards sur les secteurs les plus divers de notre société ; et le débat sur l’éducation n’échappera pas à ce processus. Il est nécessaire de débattre constamment de cette question dans la sphère universitaire et pédagogique pour éviter que l’avancée des technologies ne serve d’argument à une éducation ubérisée et précaire, soumettant nos enseignants, étudiants et travailleurs de l’éducation à plusieurs obstacles dans le processus de formation.

Alerter également sur la tendance de l’actuel gouvernement fédéral brésilien à mener des politiques d’appauvrissement des relations professionnelles, de réduction de la protection sociale et de coupes budgétaires dans la recherche et l’éducation. En tant que tels, les programmes économiques peuvent dicter la manière dont ces nouvelles relations vont se matérialiser dans la société.

Du point de vue du bien-être social appliqué aux relations de travail, par exemple, dans la perspective du projet éthico-politique de la profession, ces réflexions sont fondamentales pour comprendre les conditions auxquelles les travailleurs et travailleuses seront soumis, en observant les développements les plus actuels de l’Industrie 4.0 et ses impacts sur l’exploitation du travail, permettant des formes d’intervention qui dialoguent avec les besoins contemporains.

En pratique, les changements technologiques ne sont rien d’autre que des opportunités pour soit avancer vers la démocratisation des pratiques qui apportent du bien-être à la société, soit, au contraire, concentrer la technologie pour dominer les classes. C’est au peuple et aux travailleurs de s’organiser pour que les orientations des nouvelles technologies servent exactement le peuple lui-même, surtout lorsqu’il s’agit de l’éducation brésilienne. Sinon, à quel futur dystopique devons-nous nous attendre ?

Voir en ligne : Em marcha, a Educação uberizada

Couverture : Un.e étudiant.e regarde un cours de maths sur son smartphone.
USP/Creative Commons

[1Note de l’auteur Lobato ; Silva ; Collado ; Saito ; Pinheiro ; Leite. Desalento no Brasil : Caracterização e Impactos da Pandemia. Boletim de Políticas Públicas. São Paulo. n.11, março de 2021. 2021. Disponível em : https://sites.usp.br/boletimoipp/wp-content/uploads/sites/823/2021/04/Lobato-et-al_marco_2021.pdf. Acesso em 31 mai. 2021.

[2Note de l’auteur : Antunes, R (2018). O privilégio da servidão : o novo proletariado de serviços na era digital (São Paulo, Boitempo, coleção Mundo do Trabalho.

[3Antunes, R (2020). Uberização, trabalho digital e indústria 4.0. São Paulo. Boitempo

[4Antunes, R (2020). Uberização, trabalho digital e indústria 4.0. São Paulo. Boitempo

[5Antunes, R (2020). Uberização, trabalho digital e indústria 4.0. São Paulo. Boitempo

[6Note de l’auteur : Marx, K. O capital : crítica da economia política, Livro I : O processo de produção do capital (trad. Rubens Enderle, São Paulo, Boitempo, 2013, coleção Marx-Engels).

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