Au Brésil, les étudiant·es des favelas et périphéries pénalisé·es par le maintien de l’ENEM En pleine pandémie de Covid-19, l’Examen qui permet l’entrée à l’enseignement supérieur est maintenu

 | Par Agencia Mural, Ana Beatriz Felicio

Malgré la suspension des cours, les épreuves auront lieu en novembre ; les inscriptions ont commencé le 10 mai et les étudiant·es soulignent les défis à relever pour se préparer dans un contexte de pandémie de covid-19 qui progresse.

Traduction : Du DUFFLES pour Autres Brésils
Relecture : Marie-Hélène BERNADET

Malgré la suspension des cours, les épreuves auront lieu en novembre ; les inscriptions commencent la semaine prochaine et les étudiants soulignent les défis à relever pour se préparer dans un contexte de pandémie qui progresse
Au cours de la dernière semaine de mars, des lycéens de tout le Brésil ont été informés, sur Twitter, par le ministre de l’Education, Abraham Weintraub, que les dates de l’ENEM (examen national de l’enseignement secondaire) seraient maintenues pour début novembre.

Accompagné d’Alexandre Lopes, président de l’INEP, instance responsable des examens, le ministre a déclaré que malgré la pandémie, il n’y aurait pas de changement : « Je sais que le coronavirus gêne un peu, mais tout le monde est gêné. Et comme il s’agit d’une compétition, c’est juste », a-t-il déclaré lors de son discours.

Il a également déclaré que cette année, les étudiants auront également la possibilité de réaliser l’ENEM numérique.

-* Environ 80 % des lycén·nes qui passeront l’examen étudient dans des écoles publiques dont les cours ont été interrompus ;
-* 85 % des secrétariat d’éducation des États et des municipalités ne savent pas comment évaluer l’enseignement à distance ;
-* 70 % des lycén·nes appartennant aux « classes socio-économiques D et E » (les plus pauvres) n’ont pas accès à l’internet ;
-* 40 % des lycén·nes ne disposent pas d’un espace physique suffisant pour étudier chez elles/eux.

Le sentiment décrit par Maria Lúcia Ferreira Toledo, 18 ans, lorsqu’elle a regardé la vidéo pour la première fois, était le désespoir. « Nous savons comment fonctionnent les écoles publiques et comme il n’y a pas de classes en présentiel, nous savons que c’est encore plus inquiétant, car nous n’avons aucune idée de ce que sera notre avenir », a-t-elle déclaré.

La jeune fille qui est en troisième année de lycée dans une école publique d’Aclimação, vit à Itaim Paulista, dans la zone Est de São Paulo. Elle rêve d’être pédagogue et compte sur une bonne note au SISU (Système de sélection unifié) pour pouvoir étudier dans une université gratuite.

« Reportez l’ENEM » : Maria vit à Itaim Paulista et s’interroge sur les difficultés que les étudiants auront pour passer l’ENEM
Crédit photo : archive personnelle

La position du ministère de l’Education n’a pas seulement choqué Maria, mais aussi les entités éducatives, les étudiants et les enseignants, car elle n’a pas tenu compte du fait que certains étudiants pouvaient être pénalisés par la suspension des cours due à la crise du Covid-19.

Dans l’État de São Paulo, par exemple, les cours sont complètement paralysés depuis le 23 mars. Dans la capitale, la période sera comptée comme des vacances scolaires jusqu’au 22 avril.

En 2019, 5,1 millions de personnes se sont inscrites à l’ENEM, qui est la principale passerelle vers l’enseignement supérieur pour les étudiants des écoles publiques et privées au Brésil.

En 2018, selon la Synthèse des indicateurs sociaux publiée en novembre 2019 par l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE).
 
-* 25,2 % des jeunes de 18 à 24 ans au Brésil étaient inscrit dans l’enseignement supérieur.
 
-* 36% des jeunes ayant terminé le lycée publique vont à l’université. contre 79% des lycéen·nes du système privé.
 
-* Il y a de fortes inégalités raciales : ce sont 36% des jeunes blanc·hes, contre 18,3% des jeunes noir·es et métisses.

COURS PAR APPLICATION ET MATÉRIEL ENVOYÉ À DOMICILE

Immédiatement après la déclaration du ministère de l’Education, des entités éducatives telles que le CONSED (Conseil national des secrétaires à l’éducation), l’UBES (Union brésilienne des étudiants du secondaire) et l’UNE (Union nationale des étudiants) se sont positionnées contre cette mesure.

Dans une note, ils ont déclaré qu’il est absurde de penser que les étudiants sont sur un pied d’égalité dans cette situation, et que les activités à distance pourraient résoudre le problème de la suspension des cours.

Ils ont lancé une pétition en ligne et l’hashtag #ADIAENEM sur les réseaux sociaux qui compte plus de 30 000 signatures.

Sur les affiches, collées sur la porte du lycée public, les horaires des cours en ligne et le calendrier des rendus.
Crédits : Paulo Talarico/Agência Mural

« Il y a des étudiants qui n’ont pas accès à internet, des étudiants qui n’ont rien à manger. Il est donc impossible de leur faire passer cet examen sans un minimum de bases, sans avoir des cours adaptés », explique Stefany Kovalski, 20 ans, lycéenne et coordinatrice de la communication à UBES.

"Nous voulons discuter et réfléchir à des mesures pour donner aux étudiants une meilleure chance à cet examen", dit-elle.

Vous pouvez participer à la campagne avec plus de 4000 lycées dans tout le Brésil en cliquant ici : Sem aula, sem Enem

Ce sont des problèmes que Maria Toledo ressent dans sa chair. À cause de la Covid-19, elle vit chez une tante à Suzano, dans le Grand São Paulo, avec sa sœur qui vient d’avoir un bébé, son père, sa tante et son oncle.

Le réseau Internet y est mauvais et elle ne pourrait pas étudier même si l’école avait réussi à transmettre certains contenus. « Envoyer un courriel, par exemple, ce n’est plus possible ».

Le lycée où elle étudie n’a pas envoyé d’activités ni donné d’indications sur la manière dont les cours seraient dispensés. « Depuis le 16 mars, mon école ne laisse entrer personne. Ils n’ont donné aucune orientation, ils ont juste dit qu’il n’y aurait plus de cours ».

Le 3 avril, le gouverneur João Doria (PSDB) a annoncé le lancement du « Centro de Mídias SP », une application mobile qui permettra aux étudiants du réseau de l’État de São Paulo de suivre des cours virtuels.

En outre, un partenariat a été conclu avec la Fondation Padre Anchieta pour la transmission des cours par le canal numérique 2.3, de TV Cultura Educação, créé pour les cours à distance.

L’application est déjà disponible en téléchargement pour Android et IOS, mais son contenu ne sera calculé que comme des jours de classe à partir du 22 avril.
Dans la ville de São Paulo, le maire Bruno Covas (PSDB) a annoncé que les étudiants du réseau municipal recevront par la poste des documents imprimés qui seront utilisés sur une période de deux mois.

Le 16 avril, la juge Marisa Claudia Gonçalves Cucio, du 12e Tribunal civil fédéral de São Paulo, a indiqué que le gouvernement fédéral et l’INEP devaient adapter le calendrier et l’emploi du temps de l’ENEM à la réalité de l’année scolaire.
Cependant, seules les dates de l’ENEM digital, qui au départ était programmé entre le 11 et le 18 octobre, ont été modifiées. Désormais, il aura lieu entre le 22 et le 29 novembre.

De plus, le délai d’exemption du droit d’enregistrement et de justification d’absence a été prolongé de 15 jours au-delà de ce qui avait été déterminé à priori.

LE MAINTIEN DES INÉGALITÉS

Malgré ces mesures, Maria est toujours contre le fait de conserver les dates de l’ENEM. Par exemple, elle n’a pas encore pu accéder à l’application.

Quand on parle d’ENEM, on parle de nos rêves. On doit veiller à ce que ces rêves ne soient pas seulement réalisés par les étudiants du réseau d’enseignement privé. Mais surtout par ceux du réseau public, parce que c’est toute une bande qui, sans l’ENEM, ne pourra peut-être jamais accéder à une université", Maria Lucia, étudiante à l’Itaim Paulista.

"Il semble que cet examen ait un peu de ce mythe selon lequel tout le monde est dans une position égalité. Et nous savons que ce n’est pas vrai. Maintenir la date de l’examen, c’est sûrement faire semblant d’être dans la normalité au milieu du chaos, c’est presque comme écraser ces inégalités", explique Gabriel Carneiro, professeur à l’école préparatoire de l’UFABC.

Pour Carneiro, lorsque les classes du réseau public reprendront, l’ensemble du calendrier devra être révisé. « Celui qui en souffrira le plus est l’étudiant le moins bien préparé, celui de l’école publique. »

À l’université publique, la diversité raciale gagne progressivement du terrain. Depuis la mise en place de quotas raciaux et sociaux dans certaines universités en 2004, le nombre d’étudiant·es universitaires noir"es a doublé. La loi sur les quotas raciaux et sociaux a été instituée en 2012.
 
Selon l’IBGE, en 2016, les étudiant·es noir·es représentaient 30 % des inscriptions dans l’enseignement supérieur.

Amanda Ferreira Amorim, 15 ans, vit à Guaianases, dans la zone Este de la de Sao Paulo. Elle suit un cours très prisé pour essayer d’obtenir une bonne note à l’examen et obtenir une bourse à PROUNI (programme de l’université pour tous) dans le cadre du cours de médecine.

Le jeudi 14 mai, l’Association nationale des directions des institutions publiques fédérales de l’enseignement supérieur a publié une note exigeant que l’examen national soit repoussé

Elle s’inquiète aussi pour ses camarades des lycées publics qui ne disposent que d’une scolarité ordinaire pour étudier. « Je pense que pour les gens qui ne comptent que sur le lycée, qui sont en troisième année et qui doivent passer l’ENEM cette année, cela va être beaucoup plus compliqué. »

Après les manifestations, l’INEP a publié une note publique disant que les examens ne seraient pas reportés et que l’édition annuelle de l’ENEM est un processus long et complexe. « [INEP] cherche à assurer sa bonne exécution, non seulement pour remplir son devoir institutionnel, mais surtout pour ne pas nuire davantage à la société brésilienne ».

L’ENEM NUMÉRIQUE

Résidente du quartier Cidade Líder, dans la zone Est de la ville, Brenda Tavares dos Santos, 20 ans, se prépare également pour l’examen et s’inquiète de la sécurité de l’ENEM digital. « Les écoles n’ont pas d’ordinateurs adéquats, surtout les écoles publiques, sans compter que si les gens arrivent déjà à tricher avec l’ENEM en présentiel, cela devient plus facile en ligne ».

La principale nouveauté de cette année est que 100 000 participants passeront l’examen numérique. Il aura la même structure que le traditionnel, mais il sera réalisé sur ordinateur, dans des lieux définis par le ministère de l’Education qui estime l’examen de cette année plus moderne avec des vidéos et des infographies.
Le chercheur en politique de l’éducation, Danilo Zajac, avait déjà des critiques sur le modèle en ligne avant même la pandémie de Covid-19.

"Beaucoup d’écoles publiques n’ont pas de craie, pas de papier toilette. Il est donc compliqué d’avoir des endroits équipés d’ordinateurs. En outre, nous savons que plusieurs écoles n’ont même pas d’accès au réseau haut débit. Une difficulté à laquelle le ministère n’a pas réfléchi".

Voir en ligne : Alunos das periferias temem serem prejudicados com manutenção do Enem

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