Mercredi dernier (11/03), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que le nouveau coronavirus, était une pandémie mondiale. Toutefois, jusqu’à présent [16/03/2020], le Secrétariat spécial pour la santé indigène (SESAI) [1], n’a pas annoncé des mesures ou des investissements pour prévenir la propagation de la maladie dans les TI au Brésil, où vivent des personnes reconnues par la Santé publique comme vulnérables et faiblement immunisées.
Dans l’Amazonie légale [2], 25 districts sanitaires spéciaux pour les indigènes (DSEI) desservent une population de 433 363 personnes. À ce jour, il n’y a aucune suspicion de cas du nouveau coronavirus parmi les autochtones.
Ayant conscience de la précarité des actions du SESAI, notamment dans les régions reculées et inaccessibles de l’Amazonie, où vivent des peuples autochtones isolés, les plus importantes organisations du Mouvement national indigène (MNI) ont pris des mesures pour prévenir la progression du nouveau coronavirus dans les villages. En raison, par exemple, de l’invasion des orpailleurs dans les TI, il y a déjà un taux élevé de maladies telles que le paludisme, la tuberculose, la grippe, l’hépatite, la rougeole. C’est la raison pour laquelle de nombreux dirigeants du MNI craignent que la nouvelle infection respiratoire n’atteigne les communautés par le biais de la circulation de personnes non-indigènes.
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Lors d’un entretien avec Amazônia Real, l’avocat et membre de la coordination exécutive de l’Articulation des peuples indigènes du Brésil (APIB), Dinamam Tuxá, s’est dit inquiet par le manque d’orientation du SESAI concernant le nouveau coronavirus.
« Nous n’avons reçu aucune communication officielle, ni par courrier ni par bulletin officiel, du ministère de la Santé et du SESAI sur le sujet. En revanche, de manière non officielle, nous avons été orientés à éviter les agglomérations comme les aéroports et à rester à l’intérieur des territoires en évitant tout contact avec l’extérieur », a déclaré Dinamam Tuxá.
Comme mesure préventive, l’APIB a annoncé jeudi dernier (12/03) le report du 16ème campement terre libre (ATL), un événement qui rassemble chaque année à Brasilia, au mois d’avril, des milliers de représentants de divers peuples autochtones. L’ATL reçoit aussi généralement plusieurs participants d’autres pays, d’autres peuples autochtones et d’organisations partenaires, et bénéficie d’une couverture médiatique internationale.
« Le but de l’ATL est de chercher à promouvoir et à faire respecter les droits, et non de causer des problèmes, en particulier dans le domaine de la santé. Nous devons protéger nos communautés », a expliqué Dinaman Tuxá à Amazônia Real.
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Vendredi dernier (13/03), la Fédération des organisations indigènes du Rio Negro (FOIRN) a annoncé la suspension de l’entrée des personnes non-autochtones dans les TI du Haut Rio Negro, situées entre les municipalités de São Gabriel da Cachoeira, Santa Izabel do Rio Negro et Barcelos, au nord-ouest de l’état d’Amazonas, à la frontière de la Colombie et du Venezuela. [3]. La région présente la plus grande diversité de peuples autochtones du pays : 23 groupes ethniques différents, vivant sur 12 TI.
Une autre mesure de la FOIRN a été de suspendre indéfiniment les voyages internationaux et dans le pays des membres de l’organisation. Marivelton Baré, son président, a déclaré que cette mesure vise à protéger les autochtones les plus vulnérables, comme les personnes âgées.
« La précaution est la meilleure mesure que nous puissions prendre. Nous ne pouvons pas attendre que des cas se présentent pour faire quelque chose. Nous pensons également qu’il y a négligence de la part du gouvernement du Brésil qui ne prend pas de mesures urgentes pour protéger la santé des peuples autochtones ».
Marivelton Baré explique que la décision de la FOIRN s’applique à tous les segments et groupes sociaux, « Y compris les professionnels de la santé et d’autres autochtones qui se trouvent en dehors de la TI Haut Rio Negro, et même des officiers de la FUNAI, qui ne peuvent autoriser l’entrée de quiconque sans nous en informer au préalable. Nous allons l’analyser au cas par cas », a-t-il expliqué.
Pour le coordinateur du Centre de médecine indigène Bahserikowi’i, l’anthropologue João Paulo Barreto, de l’ethnie Tukano, la région du Haut Rio Negro n’est pas préparée à affronter le coronavirus. « D’abord à cause des distances puis en raison du système immunitaire propre aux peuples autochtones. De plus, se préparer à la maladie nécessiterait des ressources et des professionnels formés », dit-il.
« Cette maladie (Covid-19) ne fait pas partie des conceptions de la santé et des maladies traitées par les kumuã (shamans). Pour eux, il s’agit d’une maladie non-indigène. Pour la soigner, il faudrait utiliser la médecine des blancs », explique João Paulo Barreto.
C’est au centre de médecine que de nombreuses personnes, dont la majorité est non-indigène, se font soigner grâce aux connaissances traditionnelles des Kumuã, à Manaus.
Les DSEIS (Districts Sanitaires Spéciaux pour les Indigènes) n’ont pas les structures nécessaires, selon les dirigeants indigènes
Les dirigeant·es autochtones sont très inquiet·es par la situation de la TI de la vallée de Javari, à la frontière du Pérou et de la Colombie, où vivent des peuples indigènes isolés et récemment contactés [4] . Selon les données de la Fondation Nationale des Indiens (FUNAI), il existe 16 enquêtes de recensement sur des peuples isolés, dont 11 sont maintenant vérifiés. La vallée de Javari compte six peuples contactés (Marubo, Matís, Kanamari et Kulina-Pano) et deux autres contactés récemment (Korubo et Tshohom Djapá).
Dans une note, l’APIB a encore exprimé son inquiétude quant aux conséquences des mesures adoptées par le gouvernement du président du Brésil, Jair Bolsonaro, en ce qui concerne la santé des populations autochtones et le contact avec les peuples isolés par les missions évangéliques. « Nous soulignons également que des pandémies telles que celles-ci nous mettent en garde contre la gravité que peut revêtir une politique de contact avec des peuples isolés et de contacts récents. Ce sont des risques non seulement d’ethnocide, mais aussi de génocide intentionnel », déclare l’APIB.
Dinam Tuxá a confirmé que les DSEI ne sont pas adéquatement structurés pour traiter les cas de Covid-19. « Sans l’ombre d’un doute, nous avons très peur, car si cela [le coronavirus] s’installe sur les terres indigènes, ce sera le chaos. Les Districts sont complètement affaiblis, tout comme les centres [de santé] de base. Bien que nous ayons des équipes multidisciplinaires locales avec des médecins et des infirmières, nous savons que de nombreuses structures sont précaires et sans apports préventifs comme le gel désinfectant et les masques, afin qu’il y ait une prise en charge adéquate des communautés et un suivi de cette pandémie », a-t-il déclaré.
La circulation des orpailleurs dans les TI Yanomami
À nouveau envahie par des milliers d’orpailleurs, la TI Yanomami, située entre les états d’Amazonas et de Roraima, est vulnérable à plusieurs maladies, parmi lesquelles le nouveau coronavirus. Une population de plus de 25 000 Yanomami et Yekuana vivent dans le territoire. Il y a aussi la présence de peuples isolés. La FUNAI confirme l’existence d’un peuple isolé et étudie celle de six autres dont des vestiges ont été enregistrés. « Ces populations, en plus d’être sujettes à des conflits avec les orpailleurs, sont également plus sensibles aux maladies communes chez les non-indigènes. Une simple grippe peut décimer plusieurs membres d’un groupe », indique un texte de la FUNAI publié en 2019.
"Ils (les orpailleurs) entrent et sortent de la TI Yanomami quand ils veulent, ils ont des pistes d’atterrissage et des sentiers dans la zone et ils exploitent illégalement l’or très près des endroits où les indigènes circulent", a déclaré Junior Hekurari Yanomami, président du Conseil du district indigène Yanomami et Ye’kuana (Condisi).
Selon Junior Hekurari, le DSEI Yanomami a déjà formé des équipes et des interprètes pour informer la population autochtone sur le nouveau coronavirus. « Nous transmettons des informations et répondons aux doutes sur la maladie ; nous suivons le protocole déterminé par le ministère de la Santé pour le coronavirus », a-t-il déclaré.
Frontières vulnérables dans la vallée du Javari
Le leader Yura Marubo, qui fait partie de la direction de l’Union des peuples indigènes de la vallée de Javari (UNIJAVA), souligne le manque de contrôle sur les frontières internationales pour une éventuelle expansion du Covid-19. « La présence du coronavirus dans la vallée de Javari serait dévastatrice. Nous avons une frontière ouverte avec une libre circulation entre la municipalité d’Atalaia do Norte et le Pérou. Avec la Colombie cela est plus contrôlé, mais la circulation existe de la même manière », a déclaré Yura, qui est étudiant en droit. Il a critiqué l’absence de politique de santé indigène au sein du gouvernement fédéral. « Ils jouent à gouverner le pays. Nous n’avons pas de mesures efficaces et à long terme, seulement des mesures palliatives ».
Concernant l’absence de mesures annoncées par le SESAI, le leader indigène craint qu’à la dernière minute le Secrétariat ne prenne des mesures d’urgence contraires à la réalité des territoires. « Nous ne savons même pas comment ils vont aborder des questions comme celle de l’isolement [la quarantaine], car ce n’est pas courant chez les indigènes. Il est probable que les familles vont s’enfuir, puis ce sera pire, car elles vont se cacher et se retrouver sans assistance », prévient-il.
Avec plus de 20 ans d’expérience dans l’éducation et la santé indigène, Rosimeire Teles, une Arapaso originaire de São Gabriel da Cachoeira, affirme que les peuples autochtones de toute l’Amazonie sont menacés par la propagation du nouveau coronavirus.
« Personne n’est préparé à cette maladie, ni les municipalités, ni les communautés indigènes. Ce n’est pas une question d’argent, mais de solution, car il n’y a pas de remède contre cela », a-t-elle déclaré : « C’est une maladie inconnue (le coronavirus) qui atteint les pays riches et pauvres, toutes les villes et tous les lieux. Les gens comme nous, les indigènes, sommes très vulnérables car nous avons une faible immunité ».
Qu’en disent les autorités ?
Amazônia Real a cherché à contacter le SESAI. Le Secrétariat a annoncé, par le biais de ses relations-presse, que le ministère de la Santé a lancé, le mercredi 11 mars, une offre publique pour recruter 5 811 médecins et remédier aux postes de soins vacants au Brésil et ainsi renforcer les soins à la population pendant la pandémie de coronavirus.
« Grâce au programme Mais Médicos, en cas d’urgence, des professionnel·les seront réparti·es dans 1 864 municipalités du Brésil, dans plus des 19 DSEI. Les capitales et les grands centres urbains font à nouveau partie du programme qui avait jusqu’alors priorisé les municipalités les plus vulnérables », indique le texte envoyé par le ministère de la Santé.
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Amazônia Real a également sollicité le Commandement militaire de l’Amazonie (CMA). Dans plusieurs villes de la région, c’est dans des hôpitaux militaires que les peuples autochtones demandent de l’aide, comme à Tabatinga, à la frontière de l’Amazonas avec la Colombie et le Pérou, et à São Gabriel da Cachoeira, à la frontière avec la Colombie et le Venezuela. Ce sont également les militaires qui sont responsables des déplacements en bateau et en avion dans le cadre des actions d’urgence dans les régions d’accès difficile. Le CMA n’a pas répondu aux questions de l’Agence Amazônia Real envoyées par courriel et autres.
Amazônia Real s’est également adressée à la Fondation nationale de l’indien (FUNAI) pour connaître les mesures que l’agence adopte pour prévenir ou empêcher l’arrivée de maladies dans les territoires indigènes. Par courriel, la FUNAI a répondu qu’elle « n’agit pas directement dans ce type de service aux communautés indigènes, bien qu’elle agisse en soutien logistique aux actions du SESAI, une agence subordonnée au ministère de la Santé. »
Sur son site web, la FUNAI a publié une note informant que le ministre de la Justice, Sérgio Moro, a déterminé l’utilisation de la Force nationale de sécurité pour prévenir les agglomérations comme mesure préventive contre la propagation du nouveau coronavirus, « compte tenu de la possibilité que quelques 150 indigènes se rendent au siège de la FUNAI cette semaine », c’est-à-dire les 12 et 13 mars. La décision de Moro a provoqué la réaction des dirigeants et des organisations de défense des peuples autochtones.
Selon le bureau du procureur (MPF), « la FUNAI a utilisé le nouveau coronavirus comme excuse pour restreindre le droit de manifestation des peuples autochtones. Des délégations de différents groupes ethniques - dont Pataxó et Kayapó a- étaient à Brasilia cette semaine pour rencontrer les autorités et manifester pour leur cause », a-t-il déclaré à la BBC.
La FUNAI a de nouveau été sollicitée pour parler de l’utilisation de la Force nationale pour prévenir cette mobilisation et pour savoir comment cette mesure contribuerait à prévenir la transmission du nouveau coronavirus. La FUNAI n’a toujours pas répondu. La FUNAI n’a pas non plus répondu si elle prendra des mesures similaires face à d’autres mobilisations des peuples autochtones.
(Elaíze Farias et Kátia Brasil ont collaboré à cet article)