L’immigrante nigériane Amaka Aele, agée de 6 ans, vit dans une maison de deux pièces avec ses deux frères et ses parents. Éloignée de l’école depuis six mois, elle raconte qu’elle n’a pas aimé sa nouvelle vie quotidienne. “C’est dur de rester toute seule ici", a-t- elle résumé.
Amaka est écolière en première année (équivalent CP) dans une école élémentaire publique et habite à Guaianases, dans la région est de São Paulo. Elle passe ses journées à jouer avec ses frères et ne suit plus les cours parce qu’il n’y a pas de téléphones portables disponibles afin qu’elle puisse suivre les activités scolaires en ligne.
Le changement de sa vie quotidienne ne veut pas dire que les cours à l’école ne manquent pas à Amaka. “Là-bas j’ai mes camarades. Où sont-ils ?”, se demande-t-elle.
Selon ses parents, depuis le 16 mars 2020, le jour où les cours dans les écoles publiques de São Paulo ont été suspendues, à cause de la pandémie du Covid-19, Amaka n’est plus suivie par l’école. Avec la nouvelle mesure de restriction, la jeune fille est restée sans classe et sans la possibilité de manger à la cantine scolaire.
Dans ce même quartier, d’autres récits de pères et de mères d’enfants nés dans d’autres pays révèlent l’absence du pouvoir public face à la population immigrante. Depuis le début de la pandémie, les classes dans les périphéries sont devenues un problème en raison du manque d’infrastructure et d’accès à l’internet. Dans le cadre de ces familles immigrantes, dont la majorité est noire, néanmoins, la situation a d’autres aggravants.
Depuis mai, par exemple, un décret publié par le gouvernement de São Paulo a rendu obligatoire le port de masques, pourtant le manque d’argent empêche que cette partie de la population aie l’accès à cette ressource basique de protection dans les rues du quartier.
L’Haiti c’est ici
À deux rues de distance de la maison d’Amaka, habite l’haïtien Ronal Joseph, âgé de 46 ans. Ronal travaille en tant que réceptionniste dans la pinacothèque de l’État de São Paulo, dans le quartier de la Luz, dans la région centrale de la ville. Au-delà de son travail, Ronal étudie le droit et essaye de suivre les cours à travers son téléphone portable n’ayant pas d’ordinateur pour l’aider dans cette tâche.
Père de trois filles, âgées de 14 ans, 2 ans et 10 mois, respectivement, Ronal se trouve en confinement social depuis le mois de mars et raconte que depuis le premier moment il a eu peur de la pandémie.
Au-delà de la crainte pour la santé, Ronal s’inquiétait de la situation à Haïti, où vit une partie de sa famille, comme sa mère et ses frères. Officiellement, 229 personnes sont mortes dans ce pays de l’Amérique centrale.
Un autre défi rencontré par Ronal est la vie quotidienne de ses filles. Chez lui, elles n’arrivent plus à suivre leurs cours et sont tristes parce qu’elles ne peuvent plus fréquenter l’école et l’église.
Malgré cela, Ronal relate que la vie ne s’est pas arrêtér pour ceux qui sont venus d’Haïti et vivent comme immigrants. “J’ai parlé avec quelques haïtiens qui travaillent. Beaucoup d’entre nous, haïtiens, sont des maçons, des apprentis du BTP”, a commenté Ronal.
Le choix d’habiter à Guaianases, qui compte 54% de sa population composée de noirs, relève d’autres facteurs. Ainsi, comme Ronal, d’autres centaines de migrants habitent dans ce quartier et ont choisi cette région en raison de son bas coût de vie.
Selon des données officielles obtenues par LAI (Loi d’accès à l’information), en juin, 35 élèves immigrants sont inscrits dans les écoles municipales de Guaianeses. Parmi les nationalités de ces élèves, Boliviens, Haïtiens et Vénézuéliens représentent la majorité.
Ce quartier est un petit portrait de la ville. Actuellement, la municipalité compte environ 6.000 étudiants étrangers, la majorité étant composée de migrants boliviens et haïtiens. Leurs nombres sont encore plus élevés, car la majorité des résidents ne sont pas en situation régulière.
Les immigrants Haïtiens sont arrivés dans ce quartier après le tremblement de terre qui a fait environ de 300 mille morts et plus de 300 mille blessés en janvier 2010.
En ce qui concerne les Vénézuéliens, ces migrants traversent les frontières des deux pays et partent de Santa Elena de Uiarén afin de rentrer en territoire brésilien à Pacaraima, ville au nord de Roraima. Les Vénézuéliens ont fait leurs valises avec des vêtements, des documents et des effets personnels et sont partis en fuite vers le Brésil à cause de la crise politique instaurée après la mort d’Hugo Chavez, en mars 2013.
Sans aides
Ce nouveau contingent de résidents a surmonté les difficultés et a réussi à se soutenir à travers l’appui mutuel et aussi le travail informel. Néanmoins, la situation est devenue plus amère depuis le début de la crise sanitaire au moment où l’économie a été impactée et les habitants des périphéries ont subi l’aggravation du chômage.
“Le fait que ces personnes soient moins insérées dans la société génère une difficulté à comprendre ce qui se passe. Par exemple, pour les immigrés, les démarches pour recevoir l’aide d’urgence de R$ 600 (environ 93 euros) sont difficiles à comprendre, avec toute la bureaucratie et demande de documents que cela implique”, affirme Sidarta Borges Martins, 44, directeur financier du Adus, instituto de Reintegração do Refugiado (Institut de réintégration du réfugié, en portugais)
Cette organisation offre des cours de portugais, insertion au marché de travail et orientation juridique à des réfugiés.
“Nous observons un grand nombre d’agents publics qui n’ont toujours pas appris à gérer les spécificités de ces enfants. L’école publique joue un rôle important, notamment en les vaccinant et en les nourrissant", explique M. Sidarta.
D’après lui, l’inclusion numérique n’est pas non plus arrivée à cette partie de la population, ce qui a exclu les enfants et les adolescents des activités à distance. “Beaucoup d’immigrants ont des téléphones portables, mais ils ne sont pas de la dernière génération. D’autres n’ont jamais eu d’ordinateur, surtout ceux qui viennent d’Afrique", ajoute-t-il. "Ces enfants qui se sont trouvés empêchés d’aller à l’école auront un impact pour le reste de leur vie", rapporte-t-il.
D’après Sidarta, le racisme brésilien est un autre facteur qui empêche les immigrants et les réfugiés d’avoir l’accès à leurs droits.
Sidarta souligne que, par exemple, à Haïti, les Noirs ont occupé des postes dont l’accès au Brésil se restreint aux Blancs, tels que des postes élevés et d’autres espaces dans la société. “Beaucoup d’entre eux sont venus de pays dans lesquels ils ne subissent pas de racisme en raison de la couleur de leur peau et en ont découvert ici”.
‘Il n’y a pas d’ordinateur, ni de classe’
Zuri Bintu, âgée de 7 ans, habite avec ses parents à Guaianases. Élève à l’école élémentaire publique, la jeune fille s’est retrouvée sans classe et sans accès à l’éducation qu’elle aurait pu avoir à l’école. Chez elle, il n’y a pas d’ordinateur et les deux téléphones portables restent chez ses parents. "Il n’y a pas de professeur et pas de cours avec mes amis", dit-elle.
Adriana de Carvalho Alves Braga, 39 ans, docteur en éducation, art et histoire culturelle et enseignante dans le système scolaire municipal, suit la situation des immigrants dans le système scolaire public de São Paulo.
Résidente de Brasilândia, dans la zone nord de la ville, elle a rédigé une thèse sur les enfants immigrés dans les écoles de la ville et voit un scénario plus délicat avec la pandémie. "Je considère la xénophobie et le racisme comme les principaux obstacles à l’accès aux droits fondamentaux, comme l’éducation", dit-elle. "En ce sens, les mouvements sociaux sont fondamentaux pour rendre ces accès possibles.
La chercheuse indique qu’elle ne croit pas à l’enseignement à distance, mais plutôt à la fourniture de contenu, car sans présence physique, il n’est pas possible de compléter le cycle éducatif idéal.
Malgré cela, Braga affirme que les enfants immigrés rencontrent des difficultés dans les tâches les plus simples pendant la période de pandémie, comme l’accès aux plateformes disponibles. “Les pouvoirs publics manquent d’efforts pour s’occuper de cette population. L’éducation, dans la manière dont elle est présentée aujourd’hui, accentue les inégalités sociales”, souligne-t-elle.
À l’école où sa fille étudie, le directeur l’a appelée pour enregistrer une vidéo en espagnol contenant des explications sur la carte de cantine et d’autres processus que les familles d’immigrants avaient du mal à comprendre.
"Vous devez connaître la communauté. En ce sens, la municipalité et l’État n’ont pas fait cela et ne connaissent donc pas les réalités", note-t-elle.
Ce n’est pas à cause d’un manque de législation que cela se produit. La loi 13.684, de juin 2018, traite de l’aide d’urgence pour les immigrants qui viennent dans le pays en raison d’une crise humanitaire. Cette loi garantit, entre autres, l’inviolabilité du droit à la vie, à la liberté, à l’égalité, à la sécurité et à la propriété, ainsi que les droits et libertés civils, sociaux, culturels et économiques des immigrants dans le pays.
"Répondre aux demandes des immigrés n’est pas une faveur que le pays fait aux immigrants, mais un droit garanti par la loi. Ces droits ne peuvent pas être remis en question", ajoute la chercheuse.
‘Je n’ai aucun contact avec mes élèves’
La difficulté de garantir ce droit aux enfants immigrés a également été un défi pour les enseignants. L’enseignant Reinaldo Andrade*, 45 ans, vit à Itaquera, dans la zone Est.
Dans la région, il enseigne dans deux écoles, dont l’une se trouve à Guaianases, un district voisin. Là-bas, il affirme que les difficultés des étudiants en matière d’apprentissage à distance sont constatées quotidiennement depuis le mois de mars.
L’enseignant rapporte que, en raison du manque de structure, il n’a pas eu de contact avec les élèves immigrés, depuis environ six mois. Reinaldo raconte que la plupart des étudiants vivent dans des bâtiments occupés où internet n’est pas accessible. Depuis le début de la pandémie, les personnes expulsées dans les périphéries ont migré vers ces lieux en périphérie.
"Les difficultés que les immigrants rencontrent sont similaires à celles que rencontrent les élèves noirs des bidonvilles", affirme Andrade. "De ce fait, les élèves immigrés n’ont aucun contact avec nous ou avec les activités que nous menons dans le cadre de la pandémie”.
Un élève de neuvième année (équivalent de la Troisième) est utilisé par l’enseignant comme exemple. Selon lui, l’étudiant ne fait pas partie du groupe WhatsApp créé pour transmettre des messages et des activités. "C’est l’un des principaux drames. Et regardez, ceux qui sont en neuvième année ont plus d’autonomie, car ils ont entre 13 et 15 ans. Maintenant, imaginez les plus jeunes, qui dépendent encore de leurs parents pour l’accès. La situation devient très compliquée", dit-il.
Interrogé sur le nombre d’accès aux plates-formes d’enseignement et sur le matériel mis à disposition pour que les immigrés puissent suivre les cours, le Secrétariat municipal de l’éducation (SME) a répondu qu’il avait traduit une partie des livrets éducatifs Trilhas de Aprendizagens (les itinéraires de l’apprentissage, en portugais) en trois langues : anglais, espagnol et français, afin de répondre aux besoins des élèves immigrés du réseau éducatif municipal et de leurs familles.
L’action est le résultat d’un partenariat avec le Secrétariat municipal des droits de l’homme et de la citoyenneté (SMDHC), l’UNICEF et l’Organisation internationale des migrants et l’Organisation internationale pour les migrations, liée à l’ONU.
Selon la mairie, l’initiative s’adresse aux élèves qui sont en cours d’alphabétisation en langue portugaise. Au total, environ 150 enseignants se sont mobilisés et se sont portés volontaires pour effectuer les traductions. Les livrets sont également disponibles sur le Portail PME afin que les activités soient développées à la maison.
La mairie a aussi précisé que l’action vise à rendre accessible le matériel pédagogique et à fournir des orientations aux familles immigrées pendant la période de distanciation physique.
‘Nous mangeons ce que l’église nous a donné’
L’Haïtien José Davi, 37 ans, travaillait comme maçon avant la pandémie. En mars, il a perdu son emploi. Sans revenu et avec deux filles, Davi a essayé d’obtenir une aide d’urgence, sans résultat. Dans son cas, la solution a été d’obtenir des paniers de nourriture donnés par une église évangélique du quartier.
"Le gouvernement n’a pas pensé à nous, ni à nos enfants. Que mangeraient-ils ?", commente-t-il. "Sans ce riz et ces haricots, je ne saurais pas comment leur procurer de la nourriture", ajoute-t-il.
Le manque de nourriture est une autre difficulté à laquelle sont confrontés les enfants et leurs familles dans le quartier. Certains ont réussi à recevoir l’aide d’urgence de 600 R$ et d’autres ne l’ont pas obtenue en raison de l’absence de documents d’identification et d’autres informations.
Dans les Guaianases, l’une des solutions trouvées par les immigrés, dont la majorité sont des travailleurs indépendants, a été de recourir aux actions de solidarité promues par les églises évangéliques du quartier ou de recourir à des emplois de service informels qui ont perduré pendant la pandémie, comme les emplois dans la construction et les services de livraison par les applications.
Les données, sollicitées via la loi sur l’accès à l’information, confirment la demande de services de base par les migrants. Entre le 19 mars et le 17 juillet de cette année (2020), 1 760 requêtes ont été effectuées au CRAI (Centre de Référence et d’Assistance aux Immigrants), dont 328 en personne et 1 432 à distance.
Les principales demandes durant cette période concernent la régularisation des immigrés et la validité des documents (25%), l’information sur les dons (24%), le service social (19%), l’information sur l’aide d’urgence (9%) et d’autres demandes (23%). 2.439 requêtes ont été réalisées au cours de la même période de l’année dernière.
Qu’est-ce qu’un immigrant et un réfugié
São Paulo compte 6 000 étudiants étrangers inscrits dans ses écoles.Magno Borges/Agência Mural
Selon le HCR (l’agence des Nations unies pour les réfugiés), les mots "migrants" et "réfugiés" ont des significations différentes.
Les réfugiés sont des personnes qui se trouvent hors de leur pays d’origine par crainte de persécution, de conflit, de violence ou d’autres circonstances qui perturbent gravement l’ordre public et qui, par conséquent, ont besoin d’une protection internationale.
Les situations auxquelles ces personnes sont confrontées sont souvent si dangereuses et intolérables qu’elles décident de franchir les frontières nationales pour chercher la sécurité dans d’autres pays, en étant reconnues internationalement comme "réfugiés" et en ayant accès à l’assistance des pays.
Les réfugiés sont ainsi reconnus parce qu’il est extrêmement dangereux de retourner dans leur pays d’origine et qu’ils ont donc besoin d’un refuge ailleurs. Dans ce cas, il s’agit de personnes pour lesquelles le refus d’un refuge peut avoir des conséquences potentiellement fatales pour leur vie.
Selon le HCR, il n’existe pas de définition internationale du mot "migrant". En général, les organisations du monde entier généralisent le terme pour englober à la fois les immigrants et les réfugiés.
Quoi qu’il en soit, l’"immigration" peut être comprise comme un processus volontaire, par exemple celui d’une personne qui franchit une frontière à la recherche de meilleures opportunités économiques, contrairement aux réfugiés, qui ne peuvent pas rentrer chez eux pour des raisons de sécurité.
Le HCR souligne en outre que la confusion entre ces deux termes peut détourner l’attention de la protection juridique spécifique dont les réfugiés ont besoin, comme la protection contre la répression et la pénalisation pour avoir franchi des frontières en quête de sécurité sans autorisation.
"Mélanger les concepts de "réfugiés" et de "migrants" peut affaiblir le soutien aux réfugiés et au refuge institutionnalisé à un moment où davantage de réfugiés ont besoin de cette protection", affirme cette institution dans un extrait de son site web.
* Le nom a été changé à la demande de la personne interrogée par crainte de représailles.
** A la demande des migrants et par mesure de protection contre Covid-19, cet article n’a pas photographié les personnes interrogées. Les images qui illustrent cet article ont été prises dans les rues du quartier par l’auteur du texte.
Cet article a été réalisé avec le soutien du Énois Laboratório de Jornalismo, dans le cadre du projet Jornalismo e Território.