Le Covid-19 au Brésil et la lutte des autochtones sur une planète fiévreuse L’histoire des peuples autochtones montre que la pandémie tue, la faim tue et l’absence d’État tue. Ils tuent à vitesses différentes.

Ce texte a été originellement publié sur El País Brasil le 19 avril 2020. Il est écrit par Célia Xakriabá et Edmundo Antonio Dias Netto Junior.

Traduction de Du DUFFLES pour Autres Brésils ; relecture de Philippe ALDON -

Cette tribune nous engage à un exercice de mémoire et de réflexion sur ce moment historique. Elle commence sur ces mots :

Sur le territoire Xakriabá, dans la région nord du Minas Gerais, les études commencent avec les plus jeunes qui écoutent les aînés et les chefs de notre peuple. Avec eux, on n’apprend jamais que le Brésil a été découvert par Pedro Álvares Cabral, en 1500.

La « découverte » de ce pays fut une conquête qui perdure encore aujourd’hui.

Un autochtone au Campement Terre Libre, à Brasilia – Photo : CARL DE SOUZA/AFP

L’anthropologue Darcy Ribeiro, dans son livre Le peuple brésilien, a observé que l’arrivée de la blanchitude a déclenché, « dès la première heure, une guerre biologique impitoyable. D’une part, des peuples passés, à travers les siècles et les millénaires, au crible des maladies auxquelles ils ont survécu et pour lesquelles ils ont développé une résistance. De l’autre côté, des peuples sans défense, qui commencèrent à mourir par milliers. C’est ainsi que la civilisation s’impose, d’abord, comme une épidémie de maladies mortelles ».

Cette histoire est en train de se dérouler, en ce moment même. Le 4 avril 2020, des policiers militaires ont fait irruption, équipés de treuils, en Terre Indigène Xakriabá pour vérifier les papiers des motos et des voitures appartenant aux habitants. Ceux-ci étaient en quarantaine sur leur terre, comme des millions de Brésiliens qui, pour se protéger de la pandémie, restent chez eux. Scènes de violence symbolique.

Alors que le président brésilien Jair Bolsonaro déclarait que la pandémie effrayant le monde n’est qu’une « petite grippe », le peuple Xakriabá a été plus sage (et plus en conformité avec les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé). Depuis le 19 mars, par mesure de précaution, il a pris la décision de fermer son territoire où l’isolement social consiste à prendre soin de l’habitat collectif (afin de ne pas contaminer l’habitat intérieur).

Dans ce contexte de pandémie, le mois d’avril, traditionnellement marqué par les commémorations de l’histoire autochtone du Brésil, par la tenue du Campement Terre Libre et par des marches publiques, évoque avec force le moment initial de la conquête et les violations constantes des droits des peuples autochtones. Cette année, les peuples autochtones ont décidé de rester chez eux. Leur histoire montre que la pandémie tue, la faim tue, les armes à feu et la violence tuent, l’injustice tue, la colonisation tue, le racisme tue, le poison tue, l’exploitation minière tue, l’absence d’État tue. Ils tuent à des vitesses différentes.

La Constitution de 1988 reconnaît l’organisation sociale, les coutumes, les langues, les croyances et les traditions des autochtones ainsi que leurs droits originels sur les terres sur lesquelles ils vivent dans le respect de leurs traditions. Lorsque la Constitution fait référence au patrimoine culturel, elle parle d’identité, d’action, de mémoire des différents groupes qui composent la société brésilienne. Elle protège les formes d’expression, les modes de création, d’action et de vie. Les manifestations des cultures populaires, autochtones et afro-brésiliennes, ainsi que d’autres groupes participant au processus de civilisation nationale, trouvent également une protection en un État qui est de ce fait pluriethnique et multiculturel. Mais tous ne comprennent pas toute cette diversité et cette richesse, comme si elles marchaient inéluctablement vers l’homogénéité, c’est-à-dire comme si la traditionnalité devait se moderniser.

Pour le président brésilien, par exemple, « l’Indien a changé, il évolue. Chaque fois un peu plus, l’Indien devient un être humain, comme nous... » Le discours, qui ne cache pas ses préjugés, expose un projet assimilationniste de la part de ce gouvernement. Une des facettes de l’acculturation imaginée est ce que l’on peut appeler « l’agriculturation », l’imposition d’une façon de penser l’occupation des territoires autochtones, qui viole l’identité des peuples originels et tente de faire une nouvelle catéchèse, celle d’une vision du monde et de modes de production venant d’ailleurs.

Pour le projet de « l’agriculturation », les peuples autochtones disposent de beaucoup de terres, même si nous sommes en retard (de plus de 26 ans) pour achever la démarcation de nos terres, qui selon la Constitution, devait être bouclée dans les cinq ans à compter de 1988. Le discours de Jair Bolsonaro, selon lequel, s’il était élu, il n’y aurait pas « un centimètre de plus pour la démarcation des terres indigènes », est un exemple de ce projet.

La déterritorialisation est l’une des marques de la dictature implantée dans le pays en 1964, qui voyait les autochtones comme un obstacle au modèle de développement proposé par les militaires. La Commission nationale de la vérité estime qu’au moins 8 350 autochtones ont été tués pendant la période des enquêtes menées. La non-exécution des mesures de réparation et de non-répétition, telles que celles recommandées par la Commission, maintient en vie l’action violente de l’histoire brésilienne. Selon les données préliminaires publiées par la Commission pastorale de la terre, sept dirigeants autochtones’ ont été tués lors de conflits dans les zones rurales l’année dernière, chiffre le plus élevé de la décennie.

« L’agriculturation » se manifeste sur plusieurs fronts, comme dans le projet de loi n° 191, présenté cette année à la Chambre des député·es qui, sous prétexte de mise en conformité avec la Constitution, vise à permettre l’exploitation minière sur les terres indigènes en proposant un modèle ethnocentrique en rupture avec la cosmogonie autochtone.

Heureusement, les marches et contre-marches de l’histoire laissent également des avancées, comme le renforcement du mouvement autochtone. Elles sont forgées en période de régression. C’est également le cas de la Convention n° 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT), adoptée au Brésil en 2004, qui établit l’obligation de consultation préalable des peuples autochtones sur les propositions législatives qui les concernent directement, tel que le projet de loi n° 191/2020 mentionné ci-dessus.

À ce panorama de tensions, de violations et de menaces aux droits s’ajoute maintenant l’énorme défi que représente le Covid-19. L’arrivée de la pandémie trouve un Pouvoir exécutif fédéral en conflit constant avec les autres Pouvoirs, incapable de composer en harmonie avec eux, comme le préconise la Constitution. La bonne nouvelle est que la Cour suprême et le Congrès national établissent des limites importantes aux actions du gouvernement fédéral. Le système fédératif, est pour sa part, renforcé, permettant aux gouverneurs et aux maires d’occuper l’apparent vide de pouvoir qui découle en fait de la vision du monde si particulière du président.

La pandémie que nous vivons tous aujourd’hui crée un monde qui ne s’est pas encore montré, dont les fondations sont en cours de reconstruction. La société recherche d’urgence un remède et a besoin non seulement du principe actif du remède à trouver, mais aussi d’activer nos principes d’humanité.
Comme le dit Célia Xakriabá, l’humanité a faim de redonner du sentiment à la collectivité et à la solidarité, de respecter le deuil et les cicatrices de la planète (une planète qui est fiévreuse depuis longtemps), de guérir la maison intérieure, pour ne pas perdre espoir. C’est elle qui meut le réenchantement pour la vie.

Celia Xakriabá est chercheure en Sciences sociales, titulaire d’un master en Développement durable de l’Université de Brasilia et doctorante en Anthropologie à l’Université Fédérale de Minas Gerais.

Edmundo Antonio Dias Netto Junior est procureur de la République à Belo Horizonte-Minas Gerais, et représente le Ministère public fédéral au Conseil national des peuples et des communautés.

Voir en ligne : A pandemia e a luta indígena em um planeta que tem febre

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