« Le Congrès doit mettre fin et non favoriser l’accaparement des terres en pleine pandémie » La note technique de l’Institut SocioAmbiental

 | Par Instituto Socioambiental

Nous observons de nombreux et passionants exemples de solidarité pour faire face à à la pandémie de Covid-19, mais nous notons également que les groupes qui protègent des intérêts hégémoniques profitent également du néant juridique dans lequel les pouvoirs publics fonctionnent durant la crise sanitaire.

C’est le cas du sénateur Irajá Abreu (Parti Social Démocrate – pour l’Etat du Tocantins, dans le nord-est du Brésil), le rapporteur de la mesure provisoire (MP) 910/2019, qui facilite l’accaparement des terres publiques par des particuliers et des entreprises et entraîner la reconcentration des terres, la déforestation, les conflits agraires et l’insécurité juridique, entre autres problèmes.

Selon Márcio Santilli, partenaire fondateur de l’Institut SocioAmbiental, la MP910/2019 est déjà absurde en elle-même. Elle prolonge le délai légal précédent pour la légalisation d’une occupation de terres publiques, récompensant ainsi les personnes et les entreprises qui n’ont pas respecté la loi. En outre, elle octroi aux occupants d’une superficie maximale de 2 500 hectares les avantages légaux accordés pour la régularisation des petits occupants, comme la dispense de toute inspection préalable de la zone.

Mais tout cela semblait encore trop peu pour le sénateur Irajá Abreu, qui a l’intention de prolonger le délai de régularisation des terres accaparées. Cela encouragera d’avantage encore l’accaparement des terres publiques pour une exploitation illégale. Il veut également dispenser de droits et d’inspection les personnes et les entreprises qui se sont accaparés plus de 1 500 hectares, y compris celles qui sont accusées de déforestation illégale.

Selon une analise de l’IPAM (Instituto de Pesquisa Ambiental da Amazônia) 35% de la déforestation en Amazônia entre août 2018 et juillet 2019 a été observé dans des terres « sans-information ».

J’espère que vous qui nous lisez pouvez prendre la mesure de ce de projet de loi : 2 500 hectares de terres publiques ce sont 2 500 terrains de football. En empêchant les inspections, Irajá sert les intérêts des familles ou des conglomérats d’entreprises qui peuvent s’approprier des extensions contiguës par multiples de 2 500 hectares...

D’ici 2027, la MP910 peut permettre qu’une surface équivalent à 10 fois la ville de São Paulo (soit un total de 16 000 km2) en Amazonie

Avec une "légalisation des accaparements de terres" à cette échelle, et sans aucune vérification sur place, il est plus que certain que les zones occupées par les petits et moyens squatters, les exploitants, les quilombolas et les peuples autochtones, qui n’ont pas été identifiés et protégés par des actes officiels seront accaparées. Avec le temps, les conflits se multiplieront.

Quand le Congrès fonctionnait normalement, Irajá Abreu a maintenu sa posture de rapporteur, participant aux débats en commission et intégrant les suggestions des autres parlementaires. Maintenant que le système de décision à distance a été institué pour permettre le fonctionnement du Congrès interdit de se réunir physiquement, Irajá Abreu s’est servi du non fonctionnement des commissions et de la réduction des délais de vote pendant la pandémie de Covid-19 pour soumettre deux rapport qui écartent toutes les contributions reçues précédemment. Il va au-delà et empire ce qui était déjà très mauvais. Dorénavant, la MP910/2019 ne sera votée qu’en plénière virtuelle de la Chambre des député.es à qui elle a été envoyée directement, et compte tenu des nouvelles procédures législatives instituées en raison de la pandémie de Covid-19, elle peut être votée à tout moment.

Infographie - Observatoire de la démocratie brésilienne - Portrait d’une société structurellement violente

La date limite pour que le Congrès se prononce sur la MP910 est le 19 mai. Si la manœuvre d’Irajá est payante, l’augmentation des accaparements n’aura pratiquement plus de limites légales, ce qui augmentera la concentration de terres et de revenus, dont le Brésil est déjà champion du monde. Dans ce cas, les grands grileiros pourraient profiter de ce moment critique pour accélérer l’attribution de titres de propriété en ligne sur de grandes étendues de terre. Il est important de se rappeler que l’accaparement des terres et les changements législatifs tels que le MP 910, visant à légaliser presqu’entièrement, sont deux des principaux moteurs de la déforestation. Le taux de destruction des forêts en Amazonie a augmenté de près de 30 % au cours de l’année dernière [1], et les perspectives d’avenir sont déjà accablantes.

Infographie de l’Observatoire de la démocratie Brésilienne
La MP910 est un cas exemplaire de projet de loi qui ne devrait pas être décidé dans une situation d’urgence comme celle que traverse le pays. La régularisation des terres publiques de l’union est régie par la loi 11.952/2009, déjà modifiée par le MP 759/2016, et il n’y a actuellement aucune urgence ni lacune juridique justifiant l’adoption de la MP910/2019 et encore moins les prétentions absurdes du rapporteur, qui équivalent à un coup de poignard dans le dos du peuple, de livrer ce qui appartient à celui-ci à ceux qui n’en ont pas besoin.

Le 7 avril 2020, l’Institut Socio-Ambiental a publié une note technique contre la mesure provisoire (MP) 910/2019, qui vise à ouvrir une autre série d’accaparements massifs de terres publiques dans le pays.

En allant sur cette plateforme Saldao da Amazonia.org.br vous pouvez écrire un email aux parlementaires brésilien.nes exigeant la recherche d’alternatives qui défendent les intérêts nationaux, apportent la justice sociale et préservent l’environnement. Le texte précise que le Brésil n’a pas besoin d’une nouvelle loi mais d’investissements et de plus d’efforts appliqués pour mettre en application la loi n° 11.952/2009 qui donne à plus de 190 000 petits producteurs le droit d’exploitation et de travail de la terre.

La note précise qu’« il est extrêmement inquiétant que la MP910/2019 soit approuvée, encore plus sans discussion approfondie et au milieu de la plus grande crise de santé publique jamais connue. Il est maintenant pertinent et urgent de sauver des vies ». En plus de l’appropriation illégale de millions d’hectares, en particulier en Amazonie, la "MP da grilagem" peut entraîner, entre autres problèmes, la reconcentration des terres, la déforestation, les conflits agraires et l’insécurité juridique.

L’analyse des amendements proposés par le rapporteur du projet de loi, Le sénateur Irajà Abreu :

  • Ils subvertissent les principes du programme de déréglementation des terres publiques, qui sont axés sur la population rurale en situation de vulnérabilité sociale et permettent aux personnes morales (sociétés) d’être bénéficiaires de la régularisation des terres ;
  • Ils permettent la concentration des terres en remplaçant l’exigence de ne pas posséder d’une propriété rurale dans une partie quelconque du territoire national" comme condition de régularisation des terres par celle de "ne pas être occupant de zones rurales dans l’Union". Dans le deuxième rapport, cette exigence est encore assouplie, permettant à l’intéressé d’être propriétaire rural, à condition que le total de la propriété et de la superficie à régulariser ne dépasse pas 2 500 hectares
  • Ils permettent de régulariser toutes les terres envahies après les incendies de forêt qui ont scandalisé le monde en 2019 en établissant que, grâce au paiement en espèces, la personne intéressée peut régulariser les zones accaparéesjusqu’à la date d’entrée en vigueur de la MP, c’est-à-dire jusqu’au 10/10/2019 ;
  • Ils créent une insécurité juridique et potentialisent les risques de conflits agraires/fonciers en étendant la dispense d’inspection préalable à toutes les propriétés jusqu’à 2 500 hectares. Cela permet ainsi à un seul demandeur d’obtenir les titres pour des grandes superficies, sans avoir à vérifier si d’autres occupant.es sont déjà installé.es. Par ailleurs, des personnes ou sociétés tiers pourront être propriétaires des zones occupées par les communautés riveraines, autochtones et quilombolas, en violation des droits fondamentaux d’accès de ces communautés à la terre.
  • Le premier rapport brillait par sa mauvaise foi : il permettait à l’occupant.e qui ne remplissait pas les conditions de régularisation d’être indemnisé.e pour des ’investissements utiles et nécessaires’, récompensant les personnes de malhonnêtes et créant une forme d’indemnisation non prévue et non autorisée par le Code civil. Cette possibilité a été retirée, à juste titre, dans le deuxième rapport.
  • Les amendements augmentent la pression sur les terres indigènes (TI). En validant les ventes et les titres héréditaires nuls, les amendements encouragent les invasions et permettent la ratification des titres agraires/fonciers qui ont été émis par les États sur les terres publiques de l’Union. Historiquement, plusieurs TI ont été illégalement régularisées et reprises par les États comme s’il s’agissait de terres publiques vacantes. Par la suite, ces zones ont été vendues à des tiers. La possibilité insérée par le rapporteur à l’article 6 §6, soumettrait ces titres à une convalidation. Cela augmenterait la pression politique contre la démarcation des TI, l’attente de l’annulation des processus de démarcation et l’invasion des TI pour l’attribution ultérieure de titres par le biais d’un programme de régularisation foncière ;
  • Le premier rapport retirait l’obligation de déclarer que "le bien n’est pas soumis à un embargo environnemental ou fait l’objet d’une infraction de la part de l’agence environnementale fédérale, de l’État, du district ou de la municipalité. Cette disposition a été réintroduite à juste titre dans le deuxième rapport.
  • Les amendements permettent de régulariser les zones de chevauchement : dans le premier rapport, l’"indication des zones de chevauchement" rendait obligatoire la réalisation d’une enquête préalable, mais cette possibilité a été retirée dans le deuxième rapport, ce qui rend le texte plus dangereux ;
  • Les amendements favorisent la spéculation immobilière : actuellement, les terres qui ont été transférées ou négociées par quelque moyen que ce soit, dont le titre de propriété est obtenu dans le cadre du processus de régularisation foncière, ne sont plus incluses dans une réforme agraire future ou dans des programmes de régularisation foncière. Les deux rapports du sénateur Irajá Abreu assouplissent dore et déjà cette protection, permettant à l’intéressé.e d’en bénéficier à nouveau, à condition qu’il soit prouvé que la vente soit ultérieure à dix ans.
  • Ils encouragent les conflits d’intérêts et réduisent le contrôle public sur la régularisation des terres en permettant à INCRA de conclure des contrats ou des accords avec des institutions, telles que les agences de gestion des biens immobiliers, les banques, les bureaux de poste et les groupes d’intérêts. Cette possibilité n’a été accordée qu’au District fédéral, aux États et aux villes ; elle favorise les envahisseurs des terres publiques en établissant que les zones rurales non soumises à la régularisation, et à condition qu’il n’y ait pas d’intérêt public et social dans la propriété, peuvent être vendues par voie d’enchères publiques, dans la limite de 2 500 hectares, en garantissant le droit de déprécier les terres.
  • Il est contraire à l’intérêt public de renoncer à la perception des coûts ou des frais d’enregistrement des titres de propriété translatifs accordés par l’INCRA aux propriétés rurales d’une superficie maximale de 2 500 hectares, en accordant des avantages financiers aux occupants moyens et grands des terres, qui ont une plus grande capacité économico-financière, ce qui rend l’avantage injustifiable.

Pour toutes ces raisons, nous considérons que les rapports du projet "Conversion en loi" doivent être rejetés dans leur intégralité car :

  1. il existe déjà une règle régissant la question ;
  2. il n’y a pas de consensus sur la proposition ;
  3. les rapports présentés par le sénateur Irajá Abreu ont considérablement aggravé la proposition, et le second rapport, présenté le 20 mai 2019, en pleine pandémie de Covid-19, n’a même pas été discuté par les membres du comité mixte ;
  4. la crise générée par la pandémie de Covid-19 ne permet pas une discussion adéquate sur la MP 910/2019, qui pourrait être votée directement en plénière, sans un débat inclusif de la participation sociale, ce qui entraîne des pertes pour le patrimoine public et, par conséquent, pour l’intérêt national.

La note technique sur les principaux effets rétrogrades de la MP 910/2019 (disponible en portugais), ainsi qu’un tableau comparatif (annexe I) entre la formulation originale de la Loi n°11.952/2009, avec les changements introduits par la loi n°13.465/2017, la MP910/2019 et les deux rapports du sénateur Irajá Abreu ; sont accessibles en ligne.

Pour aller plus loin :

Voir en ligne : Instituto Socio Ambiental tags MP910/2019

[1Selon une analise de l’IPAM (Instituto de Pesquisa Ambiental da Amazônia) 35% de la déforestation en Amazônia entre août 2018 et juillet 2019 a été observé dans des terres « sans-information ».

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