Ci-dessous un texte qui poursuit et confirme l’actualité du débat sur les quotas et la discrimination positive. Dans le cadre de notre dossier "La question des Noirs".
<img738|left> Le 29 juin, les présidents de la Chambre et du Sénat ont reçu un manifeste contre les Projets de Loi sur les Quotas et le Statut d’Egalité Raciale, qui propose des privilèges raciaux dans l’enseignement public et des incitations aux entreprises qui appliqueraient cette disposition. Le document plaide que la discrimination positive de Brésiliens ayant quelque ascendance africaine légalise des privilèges fondés sur la couleur de peau, écorchant le "principe d’égalité politique et juridique des citoyens".
Les signataires du document défendent "la mise en place de services publics universels de qualité dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la prévoyance, en particulier la création d’emplois", et prétendent que ces projets de loi attisent le "conflit" et l’"intolérance" raciale. La déclaration a entraîné des ripostes nourries qui, comme d’habitude, réaffirment la générosité des propositions et ont qualifié toute opposition à celles-ci, au minimum, de réactions de l’élitisme blanc.
La discrimination raciale positive possède des arguments apparemment inattaquables. Etant donné le passé esclavagiste, les Noirs seraient exploités par les Blancs depuis la fondation du Brésil. La situation de discrimination raciale est un fait objectif pouvant tout juste être compensée par la discrimination positive. Nous ne pouvons attendre les résultats de mesures universelles - éducation, santé etc. - qui, suggère-t-on, n’atteindraient pas la population noire. Elles devraient être remplacées par des actions ciblées.
Il est incontestable que le descendant d’africain constitue une part fondamentale des secteurs les plus exploités et que le racisme continue à provoquer des violences matérielles et psychiques. Pourtant, les propositions pour combattre cette réalité matérialisent des projets et des intérêts divers. La défense de la discrimination raciale positive constitue le fer de lance d’un programme de réorganisation raciale de la société brésilienne aux graves conséquences.
Qui y a intérêt ?
Plus de trois décennies après l’application du vaste programme de discrimination raciale positive, la population afro-américaine pauvre vit plongée dans une misère relative et absolue qui perd des points en comparaison aux latino-americains et aux asiatiques. La prison est aujourd’hui la grande solution à la question noire aux USA qui, avec 5% de la population de la planète, en compte 20% des détenus. De ceux-là, 50% sont noirs ! Dans le pays le plus riche du monde, le jeune Noir finit normalement en prison et dans la drogue et plus difficilement dans une université ou un emploi raisonnable.
Ce n’est pas paradoxal qu’une politique qui a échoué soit proposée au Brésil comme la panacée aux maux afro-brésiliens, étant donné qu’aux USA elle a atteint ses réels objectifs, c’est-à-dire soulager les tensions sociales sans les résoudre. La primauté de la valeur individuelle intrinsèque dans la compétition sociale est le mythe fondateur américain, réalité qui diviserait la société en « winners » - gagnants - et « losers » - perdants. La réussite des descendants d’anglo-saxons ne ferait que prouver la supériorité blanche sur les races africaines, amérindiennes, latines etc. Cette conception est soutenue par l’aristocratie ouvrière blanche - "blue collars" - favorables à l’oppression impérialiste externe et sociale interne.
Jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale, la violence sociale, policière et judiciaire a maintenu l’oppression de la population de couleur, essentielle à la sur-exploitation du travailleur américain. Dans les années 50, la lutte pour la libération nationale africaine et, par la suite, la montée de la mobilisation sociale mondiale a contribué à la radicalisation des Afro-américains. En pleine Guerre froide, le fait que tous les postes de commande aient été quasi exclusivement occupés par des Blancs révélait de manière impudique les violences de la démocratie américaine.
Peu après, s’est généralisé la conscience d’une condamnation sans appel par la communauté afro-américaine de l’échec du aux séquelles de l’esclavage, bien que l’historiographie de ce pays décrive des scénarios véritablement idylliques du passé esclavagiste, de façon identique à ce qui se passe actuellement au Brésil. S’imposaient, par conséquent, des mesures qui désarment la croissante mobilisation afro-américaine .
Pour que rien ne change
Le capital s’oppose aux droits sociaux universels, en raison des coûts économiques, politiques et idéologiques. S’appuyant sur un idéal égalitariste, les travailleurs européens ont conquis des droits sociaux universels et gratuits - santé, éducation, emploi, etc. La fragilité des travailleurs américains a permis que les coûteuses politiques universelles soient remplacées par des facilités ponctuelles pour les membres des minorités dans les universités, les services publics, etc.
A la place d’investissements sociaux massifs et des changements dans les relations sociales, on a encouragé l’avancement de quelques individus des communautés marginalisées. En "noircissant" relativement la part visible de l’Etat, de l’Armée, des médias etc., la politique des quotas adoucissait une contradiction grave de l’apologie du capitalisme et amplifiait le soutien des Afro-américains. Cette opération étendait à ces derniers le mythe de la réussite par les mérites individuels, favorisant la formation d’une classe moyenne noire, bien que rachitique, souvent remplie de préjugés envers le sous-prolétariat noir, étant donné la contraignante proximité avec lui.
Dans les années 50, en Corée, au nom de la liberté, des généraux blancs ont ordonné l’attaque contre les Jaunes diabolisés. En 2006, des généraux médiatiques, noirs et latinos, font le même travail de façon correcte sur le plan racial. Hier et aujourd’hui, les soldats américains qui reviennent morts et mutilés continuent a être, surtout, des Noirs, des Latinos, des Asiatiques, etc., enrôlés sous le fouet de la nécessité économique.
L’illusion d’un monde composé de groupes raciaux, de cultures et de valeurs uniques, dont leurs leaders négocient leurs droits, contribue à ce que le travailleur américain ne prenne pas conscience de ses besoins. Cette société continue à ignorer le principe de solidarité entre les citoyens unis par un territoire, une histoire, des coutumes, etc. communs ou concurrentiels, car elle ne parvient pas à fonder son identité nationale sur le travail, catégorie socialisante des diversités humaines.
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