Brésil : Déforestation dans le Cerrado Facile et « légale », la déforestation atteint des records.

Les municipalités de Bahia, où les autorisations de coupe ont été assouplies, sont en tête du classement des plus déforestées de ces dernières années. Une enquête de Pública révèle un nombre record de permis de déforestation dans l’ouest de Bahia. Une étude révèle que les autorisations présentent plusieurs irrégularités.

Le 18 mai 2023,
Traduction de Du Duffles pour Autres Brésils
Relecture : Philippe Aldon

Le nombre record d’alertes à la déforestation dans le Cerrado [1] enregistré au cours des quatre premiers mois de cette année — le plus élevé de la série historique du système Deter, de l’Institut national de recherche spatiale (INPE), qui a débuté en 2018 — a soulevé un signal d’alarme : « il est très facile » de supprimer la végétation dans ce biome.

La déclaration du président de l’IBAMA, Rodrigo Agostinho, révèle qu’une bonne partie de la déforestation dans le Cerrado se fait en toute légalité. En d’autres termes, elle est autorisée, dans la plupart des cas par les agences environnementales des États fédérés.

« Plusieurs de ces États ont créé des mécanismes permettant d’autoriser la suppression de la végétation de manière automatisée. La personne se connecte au site web de l’agence environnementale, entre ses données, le domaine, colorie la zone qu’elle veut défricher et c’est fait, elle peut le faire », a déclaré Agostinho à Agência Pública.

« La déforestation légale est devenue facile. Personne ne s’intéresse à l’inventaire des animaux présents sur le territoire, ni aux espèces menacées qui y vivent, ni aux plantes qui s’y trouvent. On se contente de délimiter 20 % de la zone et de passer le “correntão” [2] dans les 80 % restants. Ils n’évaluent même pas le meilleur endroit où délimiter la Réserve Légale. Quand c’est trop automatisé, on ne tient pas compte de l’analyse technique », a-t-il critiqué.

Réserve Légale
Glossaire de l’Observatoire de la démocratie brésilienne : une Réserve Légale correspond, au Brésil, à un pourcentage de chaque propriété foncière dont la végétation doit être maintenue, et qui ne peut pas faire l’objet d’un déboisement. Il est néanmoins possible d’y réaliser des activités économiques tels que la collecte de Produits Forestiers Non Ligneux ou exploitation forestière durable.
Observatoire de la démocratie brésilienne - dessin de Johanna TDS

Selon le Code forestier, les propriétés rurales situées dans ce biome ne sont tenues de préserver que 20 % de la végétation native, à l’exception du Cerrado, dans l’Amazonie légale, où la protection s’élève à 35 %. « Les gens abattent donc 80 % de la propriété. Nous constatons qu’il y a une réelle certitude que s’ils ne le font pas maintenant, ils ne pourront pas le faire plus tard », a poursuivi le président de l’Ibama, pour tenter d’expliquer l’augmentation la plus récente des opérations de déforestation.

À ce sujet, lire aussi Marion Daugeard, Nouvelles menaces sur le code forestier au Brésil (2019)

La déforestation dans le Cerrado enregistre un record d’alertes dans le système Deter.
José Cícero/Agência Pública

« La question est que le monde ne regarde pas si la déforestation est légale ou illégale. Le monde regarde les données satellitaires », dit Agostinho, en référence aux demandes faites surtout par les pays européens pour qu’il n’y ait pas d’achats de produits provenant de la déforestation.

Le taux annuel de déforestation (toujours mesuré entre août d’une année et juillet de l’année suivante) dans ce biome a connu trois hausses consécutives ces dernières années, selon un autre système de l’INPE, PRODES. De 2019 à 2020, il a augmenté de 25 % (il est passé de 6 319 km² à 7 905 km²), de 8 % l’année suivante (passant à 8 531 km²) et a fait un nouveau bond de 25 % en 2022, atteignant 10 689 km². Par rapport à 2019, l’augmentation est donc de 69 %.

Et la tronçonneuse continue à plein gaz cette année, selon des données préliminaires. Selon le suivi effectué par Deter — qui est un système plus agile mais moins précis, visant à guider l’application de la loi à partir d’alertes qui indiquent où le problème se produit - 2 206 km² ont été abattus entre le 1er janvier et le 30 avril, soit une augmentation de 17 % par rapport à 2022 (1 886 km²). Par rapport à la moyenne pour la période 2019-2022 (1 521,75 km²), l’augmentation est de 45 %.

Le suivi effectué ces dernières années a mis en évidence une forte déforestation dans le Cerrado dans la région connue sous le nom de Matopiba, qui englobe des parties des États de Maranhão, Tocantins, Piauí et Bahia. En 2021, selon une étude menée par MapBiomas, la région où l’agro-industrie est en expansion représente 72,5 % de la déforestation du Cerrado.

Les données relatives à 2023 montrent une concentration des suppressions de végétation en particulier dans l’État de Bahia. Parmi les dix municipalités ayant reçu le plus grand nombre d’alertes à la déforestation dans le Cerrado entre janvier et avril, six se trouvent dans l’ouest de cet État. Il s’agit de municipalités telles que São Desidério et Formosa do Rio Preto, qui figurent parmi celles qui ont le plus subi de déforestation au cours des dernières années. La végétation native y a été remplacée par des cultures telles que le soja et le coton.

La déclaration de Rodrigo Agostinho est conforme à la politique environnementale menée au cours de la dernière décennie dans cet État. Une enquête de Pública basée sur les ordonnances autorisant la suppression de la végétation native (ASV) en particulier pour l’ouest de Bahia montre qu’au cours des deux dernières années, ces licences ont battu des records.

En 2022, l’INEMA (Institut de l’environnement et des ressources hydriques), l’organisme public chargé du contrôle environnemental, a publié au moins 240 ASV dans la région ouest, autorisant la déforestation d’environ 2 381 km², soit une superficie supérieure à celle de la ville de Palmas dans le Tocantins. L’année précédente, la superficie autorisée dans le Cerrado bahianais s’élevait déjà à plus de 1 941 km², soit presque la superficie de la ville de Santa Maria da Vitória, située dans cette région. À titre de comparaison, les autorisations de déboisement dans la région occidentale entre 2015 et 2020 se situaient entre 400 km² et 1 195 km².

Cette année, l’INEMA a autorisé la déforestation de 120 km² au cours des quatre premiers mois de 2023, dans un total de 17 ASV. São Desidério (64 km²), Santa Rita de Cássia (33 km²) et Barreiras (11 km²) sont les municipalités de l’ouest de Bahia ayant eu la plus grande surface de déforestation autorisée.

Le rythme s’est légèrement ralenti, mais les environnementalistes travaillant dans la région estiment qu’une partie de la déforestation en cours peut provenir d’autorisations accordées dans le passé. La durée des licences varie d’un à cinq ans et peut être prolongée, de sorte que la déforestation légale autorisée au cours des années précédentes pourrait avoir lieu aujourd’hui.

Une déforestation légale mais non conforme

Une étude d’IMATERRA (Instituto Mãos da Terra), publiée l’année dernière, avait déjà montré que les suppressions de végétation autorisées par le gouvernement de l’État de Bahia correspondaient à la majeure partie de la déforestation capturée par la plateforme MapBiomas entre 2014 et juin 2021. En 2019 et 2020, les ASV ont atteint une superficie totale supérieure à la déforestation effective capturée par MapBiomas.

La même organisation, en partenariat avec l’UFBA (Université fédérale de Bahia), a également constaté qu’entre janvier 2010 et juillet 2020, l’INEMA a émis plus de 4 000 ordonnances autorisant des suppressions de végétation native dans l’ensemble de cet État, validant la déforestation de plus de 8 000 km², soit près de 27 fois la superficie continentale de Salvador — la majeure partie de la zone autorisée étant concentrée dans 12 municipalités du Cerrado bahianais. La réalité est différente dans le Mato Grosso, par exemple, où 580 autorisations ont été accordées entre 2009 et 2018, la majeure partie de la déforestation se produisant illégalement.

Des chercheurs d’IMATERRA et de l’UFBA, avec le soutien du WWF (Fonds mondial pour la nature) — Brésil et de l’Institut pour la société, la population et la nature (ISPN), ont réalisé une analyse d’échantillon plus détaillée des processus administratifs de 16 autorisations de suppression de végétation dans l’ouest de Bahia, totalisant 500 km² de déforestation. En juillet de l’année dernière, ils ont publié un rapport intitulé « Déforestation non conforme dans le Cerrado bahianais : une politique d’État », concluant que les 16 ASV présentaient des aspects non conformes et des manquements aux lois environnementales.

Le groupe des chercheurs a poursuivi ses travaux et a examiné dix autres permis. « Tous n’étaient pas conformes d’un point de vue technique. Aucun d’entre eux n’était correct », a déclaré à Pública la biologiste Tatiana Bichara Dantas, une chercheuse d’IMATERRA qui a participé à l’analyse du rapport.

Des erreurs ont été identifiées, par exemple, dans l’enregistrement des zones de préservation permanente (APP) et dans la Réserve légale des propriétés qui, sur la base des critères techniques d’analyse, auraient probablement conduit à une désapprobation de la suppression de la végétation. Dans l’échantillon analysé, on a également observé des conflits avec les communautés traditionnelles et l’utilisation de techniques de capture de la faune susceptibles d’être fatales.

« Au cours de l’analyse des processus, de nombreuses irrégularités et non-conformités ont été identifiées affectant directement la biodiversité et ses services écosystémiques, ainsi que les communautés traditionnelles qui habitent la région étudiée, ce qui rend les concessions ASV analysées discutables d’un point de vue juridique », indique le rapport.

« Il est clair que les propriétaires veulent avoir la légitimité pour utiliser leur propriété, mais l’agence environnementale qui aurait compétence pour évaluer et décider tant de la viabilité de la mise en œuvre du projet que de la conservation des ressources naturelles, y renonce, donnant la priorité à un utilisation privée au détriment d’une utilisation publique », ajoute Tatiana.

Le Cerrado a déjà perdu environ 50 % de sa couverture végétale native et plusieurs chercheurs ont mis en garde contre le risque que cette perte de végétation pourrait avoir sur les ressources en eau du pays. Le Cerrado est à l’origine de certains des principaux bassins hydrographiques du Brésil. La région de l’ouest de Bahia, traversée par les rivières Grande et Corrente, alimente par exemple le fleuve São Francisco.

Pour Rodrigo Agostinho, de l’IBAMA, la déforestation dans le Cerrado ne sera contenue que s’il existe un ensemble de mesures qui, d’une part, établissent des zones à protéger — par la création d’unités de conservation, par exemple — et, d’autre part, créent des alternatives et des incitations économiques pour que le producteur ne déforeste pas tout ce que le Code forestier l’autorise.

Il y a plus de dix ans que la « libéralisation générale » est en œuvre à Bahia

Bahia est gouvernée par le PT depuis 2007, date à laquelle l’actuel sénateur Jacques Wagner a été élu gouverneur. Après son deuxième mandat, il a choisi son successeur, Rui Costa, qui a gouverné l’État pendant huit ans. Actuellement il est le ministre du Cabinet civil de Lula. M. Costa a également contribué à l’élection d’un autre membre du PT, Jerônimo Rodrigues, l’actuel gouverneur de l’Etat de Bahia.

Selon des sources entendues par Pública, un processus de déréglementation et de flexibilisation de la législation environnementale a été mis en place tout au long de la période où le PT était à la tête de l’État de Bahia. Le démantèlement comprendrait la privation de pouvoir des organes participatifs, la réduction de la transparence et l’établissement de la « Licence environnementale par adhésion et engagement » (LAC) — « l’auto-licence » que le groupe parlementaire lobbyiste des grands propriétaires terriens tente de mettre en œuvre pour l’ensemble du pays et à laquelle les parlementaires du PT à la Chambre des députés s’opposent en première ligne.

Celui qui a mis en œuvre la plupart de ces changements est Eugênio Spengler, qui a dirigé le Secrétariat à l’environnement entre 2010 et 2017 dans l’Etat de Bahia. Décédé en 2021, il a vu sa gestion critiquée dans une lettre ouverte des employés de l’INEMA encore en 2015.

Le Cerrado a déjà perdu environ 50 % de sa couverture végétale native.
Rosilene Miliotti/FASE

Une autre figure centrale de la « libéralisation générale » des permis de déforestation au cours de la dernière décennie a été Márcia Cristina Telles, une fonctionnaire de carrière du Secrétariat à l’environnement de Bahia. Depuis 2012, elle a occupé presque sans interruption la direction générale de l’INEMA, l’organisme responsable non seulement des ASV mais aussi de l’attribution des ressources en eau — qui font également l’objet d’une « libéralisation générale », comme l’a montré une série de rapports de Pública en 2021. Pendant sept mois, Telles a cumulé les fonctions de directrice générale de l’INEMA et de Secrétaire intérimaire à l’environnement. Ensuite, elle a quitté l’INEMA et a été secrétaire effective du Secrétariat à l’environnement jusqu’à la fin de la gestion de Rui Costa. En février de cette année, elle a de nouveau été nommée directrice générale de l’INEMA par Jerônimo Rodrigues.

Durant le mandat de Telles en tant que directrice de l’agence environnementale, la déforestation et l’utilisation de grandes quantités de ressources en eau ont pris de l’ampleur dans le Cerrado bahianais et sont devenues une politique d’État. Plus d’une fois, elle a été la cible de manifestations de la société civile et d’organisations de défense de l’environnement contre sa gestion.

L’INEMA a été contactée par Pública mais n’a pas réagi avant la publication de ce reportage. En cas de réponse, le texte sera mis à jour.

Voir en ligne : ‘Fácil’ e ‘legal’, desmatamento no Cerrado bate recorde e avança sem resistência

Photo de couverture : La deforestation dans le Cerrdo
(c) José Cícero/Agência Pública

[1Le Cerrado est une ‘savane’, zone de transition vers la forêt amazonienne plus grande que l’Angleterre, la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne réunies. Le Cerrado compose avec le Sertão et la Caatinga les trois biomes du « Semi-arride » Brésilien. C’est l’un des biomes le plus riche et le plus ancien au monde et aussi l’un des écosystèmes les plus menacés au monde, dévasté à plus de 50 % par la déforestation, l’agriculture intensive et l’exploitation minière. Le Cerrado s’étend des rives de l’océan Atlantique jusqu’au centre du continent, débordant sur le Paraguay et la Bolivie.

[2La déforestation par « correntão » (grosse chaîne) est une technique qui consiste à passer une grosse chaîne tractée sur le terrain pour en arracher toute couverture végétale. La zone est ainsi libérée pour l’élevage et la production agricole.

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