Traduction : Regina M. A. Machado pour Autres Brésils
Relecture : Marie Moussey
Crédit : Raoni Pires Mendonça
Avec un soutien international, des quilombolas [1] établissent la cartographie de leurs terres pour se défendre de la progression de l’agro-industrie, des invasions des grileiros [2] , de l’exploitation minière illégale et de la pêche prédatrice. L’initiative propose des alternatives en vue d’un tourisme durable.
Peu à peu, la technologie s’immisce dans les vallées des montagnes du nord-est de l’Etat goianais, entre Cavalcante, Monte Alegre de Goiás et Teresina de Goiás. C’est là où se trouve le plus grand quilombo reconnu officiellement dans le pays, qui englobe ces trois communes : le territoire Kalunga. Aujourd’hui, les Kalungas arrivent au bout du géoréférencement de leur territoire : ce sont plus de 262 mille hectares, qui ont été reconnus il y a presque vingt ans par le gouvernement fédéral, et qui abritent environ 1 500 familles, éparpillées sur au moins 39 communautés au sein du quilombo. Outre la systématisation des informations sur le sol, les sources et les cours fluviaux – et sur le profil des habitants – l’objectif des Kalungas est d’utiliser le géoréférencement pour protéger leurs terres.
Les quilombolas soutiennent que, avec des données exhaustives sur l’usage du territoire et sur sa population, ils pourront sécuriser leurs terres. L’initiative va fournir des images actualisées tous les cinq jours de tout le territoire. Cela facilitera des actions préventives et des demandes d’appui officiel pour empêcher les invasions illégales du quilombo. Différentes menaces pèsent sur celui-ci, selon le président de l’Association Quilombola Kalunga, Vilmar Souza :
N’importe qui peut voir les vraquiers [3] transporter des minerais le long du fleuve Paranã, la prolifération des cultures de soja aux alentours et la présence des grileiros, qui « transforment » un titre de propriété des terres de 5 hectares en 700 hectares, grignotant toujours plus notre territoire.
A un moment historique où les données – et leur protection – sont des outils puissants, les Kalungas assurent qu’ils prennent des mesures spécifiques pour la protection des informations recueillies. Par exemple, l’accès au contenu des questionnaires socio-économiques est restreint et appliqué par des jeunes dans leurs communautés respectives.
« Les usagers qui peuvent extraire et accéder à ces données sont en nombre limité et nous travaillons avec des techniques offline, dans des formats spécifiques, afin de réduire l’exposition », explique le conseiller technique du géoréférencement, Elizon Dias Nunes. Ce géographe est un spécialiste des géosciences et il fréquente les terres des Kalungas depuis plus de 15 ans. Les données géographiques du territoire – comme la présence de minerais, la composition du sol et les sources – seront partagées avec l’Université Fédérale de Goiás, dans le cadre de l’un des accords conclus pour rendre possible le géoréférencement.
Certaines parties du quilombo font l’objet de disputes foncières et le projet utilise les données personnelles des habitants, ainsi que des informations sur la présence et la localisation de minerais et d’espèces natives très convoitées, comme la vanille du Cerrado. Comme dans la Chapada dos Veadeiros [4], le quilombo est menacé par l’agro-industrie, l’exploitation minière et la pêche prédatrice.
« Les données préliminaires aident les Kalungas à cartographier les zones aux sols plus riches en minerais, comme la latérite, utilisée dans la composition du bitume. L’or aussi attire les convoitises sur le quilombo. La carte montre aussi les cours d’eau où il y a des conflits latents, provoqués soit par la dégradation de l’environnement, soit par des disputes de terres », dit le conseiller technique du projet, Durval Mota.
Il y a plus de 300 sources d’eau dans la région, et plusieurs sont situés dans des régions frontalières, ce qui renforce les tensions pour leur contrôle et leur protection. Pour l’association, le fait de disposer de ces informations va aider à protéger le territoire. Souza dit :
Nous avons ici beaucoup de richesses, nous savons qu’il y a beaucoup de convoitise. Intégrer les plus jeunes renforce nos liens et prépare une nouvelle génération à manier ces outils.
LES HABITANTS LUTTENT TOUJOURS POUR L’OBTENTION DE TITRES DE PROPRIETES
Pour les quilombolas, l’un des gains immédiats de cette initiative est de voir de manière systématique quelles régions présentent des besoins d’amélioration des conditions et des services base, tels que l’assainissement et l’électricité, par exemple. « Nous ne savons pas le nombre exact d’habitants, ni même des communautés [à l’intérieur du quilombo]. De ce fait il est plus difficile de décider où il est plus urgent de lutter pour qu’arrive l’électricité, ou pour combattre des problèmes de santé –la maladie de Chagas, par exemple, représente un risque pour ceux qui ont un poulailler trop près de la maison – ou encore pour nous adapter à la protection de l’environnement », dit le président de l’association.
La présence d’au moins 8 mille habitants sans titre de propriété est estimée sur le territoire. Ils luttent pour l’obtention définitive d’une aire de 118 mille hectares. Disposant des données sur cette aire, les Kalungas auront une vision plus claire pour protéger des zones menacées par la déforestation, l’agro-industrie et les grileiros et les compagnies minières.
Officiellement, le projet a aussi pour objectif de protéger au minimum dix-neuf espèces menacées, comme l’aigle gris, et de contrôler la chasse et les brûlis. « Ce sont des pratiques souvent utilisées dans les processus de préparation aux semis, que ce soit par les envahisseurs mais aussi par les Kalungas eux-mêmes, selon des méthodes traditionnelles, que nous devons moduler », explique Mota.
Le géoréférencement dispose de financements étrangers pour sa réalisation. Cette initiative est le fruit d’un accord passé entre l’association et le Fonds de partenariat pour les eco-systèmes critiques, dont les financeurs sont l’Union Européenne, le gouvernement du Japon et la Banque Mondiale.
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ENTRE LES SAVOIRS TRADITIONNELS ET LES AVANCEES TECHNOLOGIQUES
Au total, ce partenariat apporte aux quilombolas un transfert 139 mille dollars, qui doit être investi avant la fin 2019 dans la réalisation de questionnaires, la compilation et le traitement de données, l’acquisition d’équipement d’analyse – comme des ordinateurs – et d’un véhicule 4x4, pour aider à la gestion du territoire, qui présente de nombreux points d’accès difficiles.
L’équipe en action pour les travaux de géoréférencement / Crédit : Association Quilombola Kalunga/Reproduction
Né à Engenho II, Adriano Paulino da Silva a grandi dans cette commune entourée de chutes d’eau, comme celles de Candaru et Santa Barbara. Il suit aujourd’hui des cours sur les ystèmes d’information à l’Université Fédérale de Goiás et c’est lui qui s’occupe du traitement et de l’analyse des données du géoréférencement. Sa participation symbolise l’un des objectifs prioritaires du projet : allier savoirs ancestraux aux nouvelles technologies disponibles pour la gestion et la protection du quilombo :
Pendant des mois, j’ai suivi des programmes de cartographie virtuelle et d’organisation de données ; c’est nous qui avons édité et créé le questionnaire qui a ensuite été appliqué par plus de 27 jeunes dans leurs communautés.
Pour des questions techniques, la première étape du projet consiste à collecter des informations techniques sur les terres kalungas et ses usages – l’embryon du questionnaire contenait des questions sur leurs coutumes, leurs rituels et pratiques culturelles, ce qui exigeait des interviews d’au moins cinq heures avec les quilombolas. « Nous avons abrégé au maximum, pour rester à environ deux heures de collecte avec chaque personne, pour que ce soit plus simple de systématiser et traiter les données », explique Paulino.
Aujourd’hui, le projet commence l’analyse des premières données recueillies pour les insérer dans un Système d’Informations Géographiques. Paulino participe activement au processus et défend ses avantages. « On travaille pour pouvoir traduire ces connaissances en un nouveau langage », dit-il. « Ces informations nous permettent de prendre soin du sol dans les parcelles collectives, et de réduire les pertes dans les plantations de riz, de haricots, de maïs, par exemple ».
La production agricole des quilombolas est reconnue pour ses produits organiques, comme le riz kalunga, le « piment de singe » et le sésame. Les Kalungas deviennent aussi des protecteurs de nombreuses espèces végétales, grâce à la préservation de semences sans aucune sorte de modification génétique.
Le géographe Nunes croit que ces données collectées pourront renforcer l’agriculture commune tout en améliorant la production dans les « roças de toco », petites plantations la plupart du temps gérées de manière individuelles. « Le projet laissera à la communauté des outils pour qu’elle voie par elle-même les différentes parties du territoire qui demandent un appui, de la protection ou davantage de travail », affirme-t-il.
Une fois la cartographie achevée, les Kalungas auront accès à des images du territoire par satellite, actualisées tous les cinq jours, identifiant des espaces qui nécessitent un traitement agricole spécifique, ou des lieux dégradés ou envahis, selon Paulino. Pour lui, la présence des jeunes dans le projet, responsables des questionnaires, a renforcé les liens intergénérationnels :
Même si les plus âgés font toujours plus confiance à leurs savoirs traditionnels, ils s’ouvrent aux plus jeunes, et croient qu’avec les nouveaux instruments nous pouvons protéger leurs enseignements. Ils parient sur nous pour maintenir vivante notre culture.
DES POLITIQUES PUBLIQUES ONT EMMENES LES QUILOMBOLAS A L’UNIVERSITE
Garantir que la jeunesse kalunga n’abandonne pas le territoire est essentiel pour sa survie. L’une des découvertes préliminaires du projet porte justement sur l’exode des plus jeunes : selon le conseiller technique du projet, le profil de la population a changé radicalement depuis la dernière décennie. Un facteur déterminant a été la mise en place de politiques publiques d’intégration, avec des programmes éducatifs spécifiques pour les peuples autochtones dans des universités publiques et institutions fédérales – maintenant menacés sous la tutelle de Jair Bolsonaro et son gouvernement.
Le projet pousse les jeunes à utiliser leurs connaissances
sur le territoire et à se fixer dans le quilombo / Crédit : Association Quilombola Kalunga/Reproduction
« Il y a un exode considérable d’hommes et de femmes kalungas qui ont entre 18 et 29 ans, dont une part considérable suit des cours techniques ou de licence en dehors du quilombo, dans des villes comme Brasilia, Goiânia et Planaltina, et beaucoup ne reviennent pas – accumulant des masters et autres diplômes de troisième cycle », dit Nunes.
L’un des objectifs de l’initiative est d’offrir des alternatives pour que le territoire quilombola puisse mieux accueillir ses jeunes. Il est espéré que, en disposant d’informations sur leurs besoins, on rende plus effective l’intégration des avocats, des ingénieurs environnementaux, agronomes, biologistes, historiens et techniciens kalungas, pour le développement du quilombo.
« Sans parler du fait que, avec la cartographie sous leur responsabilité, les Kalungas pourront mieux explorer les attraits naturels du site, consolider le tourisme durable - ce qui exige des compétences sur place, sans que les futurs guides n’aient à sortir du territoire », affirme le conseiller.
Le géoréférencement s’ajoute à d’autres tentatives d’innovation dans la gestion kalunga. Cette année, les communautés ont approuvé le premier règlement interne d’un quilombo dans le pays, déterminant quelles pratiques et usages sont permis dans l’agriculture, par exemple. Le document a été élaboré après des discussions dans les communautés, et cela a permis de créer un Conseil de Représentants au sein de l’association – qui compte au moins trois leaders de chaque communauté locale. Le pari des Kalungas est que, équipés de ces nouveaux outils, ils puissent, peu à peu, renforcer leur autonomie.
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