Le devenir incertain du pétrole brut qui pollue le littoral du Nordeste

 | Par Agência Pública, Mariama CORREIA

Trois mois après la tragédie, déversement dans des décharges et stockage dans une école désaffectée figurent parmi les cas recensés par Pública ; l’improvisation prévaut dans certaines des municipalités affectées.

Texte : Mariama CORREIA
Traduction pour Autres Brésils : Philippe ALDON
Relecture : Du DUFFLES
Infographie : Bruno Fonseca

Comme le constate Agência Pública, l’un des problèmes est la désarticulation des actions. En effet, si, comme le prévoit le Plan national de contingence lui-même, assurer une destination adéquate à ce pétrole brut relève de la responsabilité du gouvernement fédéral, de fait, la tâche en a été laissée aux états. Ainsi, chaque entité fédérale décide de ce qu’elle va faire de ce matériau. Il incombe toutefois aux municipalités d’en assurer la collecte et le stockage jusqu’à ce que la destination finale soit arrêtée par les gouvernements des états.

Faute de coordination, de structure ou même d’orientation, nombre de ces actions dans les municipalités se font sur la base de l’improvisation. Des cas d’élimination irrégulière et de stockage inadéquat ont été enregistrés, en particulier dans les petites villes les plus éloignées des capitales.

Dans l’état de Bahia, par exemple, les municipalités de Canavieiras et de Maraú entreposaient leurs résidus de brut dans des endroits inappropriés. A Maraú, les habitants ont indiqué qu’ils étaient déversés dans une décharge en plein air. Comme le montre la vidéo exclusive de notre reportage, une école désaffectée a également servi de lieu de stockage dans la municipalité de Canavieiras.

En plus de l’école, des barils pleins de pétrole brut ont été entreposés dans le bâtiment de l’Institut Chico Mendes pour la conservation de la biodiversité (ICMBio) environ cinq jours durant, lors des premières collectes, en octobre. Même après l’enlèvement des matériaux, la contamination a persisté. Les professionnels travaillant dans la région ont fait part de signes d’intoxication, comme des allergies. Le propre coordinateur de l’unité, Raimundo Bonfim, nous a dit s’être rendu à l’hôpital à deux reprises, souffrant de douleurs stomacales et de nausées. Il pense que ses symptômes sont liés à la toxicité du matériau dont des résidus ont pu subsister sur le lieu de travail.

« Nous avons déjà procédé à deux nettoyages, mais les gens continuent de tomber malades », dit-il. Bonfim a rapporté que les techniciens d’ICMBio avaient fait remarquer que l’aéroport local était l’endroit le plus approprié pour le stockage, mais la mairie a préféré utiliser une école désaffectée dans un quartier résidentiel. Des dizaines de barils pleins de pétrole brut ont été entreposés dans cette école.

L’Institut de l’environnement et des ressources en eau de Bahia (INEMA) a garanti que les matériaux avaient maintenant été récupérés et acheminés vers des entreprises spécialisées dans le stockage des déchets. L’organisme a tenu à souligner que « même si l’état n’avait pas d’obligation en matière de collecte du pétrole brut, il soutenait les actions municipales jusqu’à ce qu’une destination finale des produits soit définie ».

Une école désaffectée de Canavieiras sert de dépôt à des dizaines de barils de pétrole brut.

Informations discordantes

Les informations sur le devenir des hydrocarbures provenant des plages du Nordeste sont discordantes. Ainsi, le gouvernement fédéral a-t-il assuré par note que, dans tous les états, les déchets sont envoyés dans des cimenteries, qui utilisent ces matériaux pour chauffer les fours industriels, ou dans des décharges industrielles environnementalement adaptées.

Les informations du Groupe de suivi et d’évaluation (GAA) - formé par la Marine brésilienne (MB), l’Agence nationale du pétrole, du gaz naturel et des biocarburants (ANP) et l’Institut brésilien pour l’environnement et les ressources naturelles renouvelables (IBAMA) - contredisent, elles, les informations communiquées à Pública par l’INEMA de Bahia, ainsi que les déclarations du secrétariat à l’Environnement de la municipalité de Tibau do Sul, dans l’état du Rio Grande do Norte , selon lesquelles les matériaux collectés dans ces états ont déjà une destination finale assurée.

Sur la plage de Pipa, dans le district de Tibau do Sul, bien que le GAA assure que ce pétrole brut est déjà utilisé dans les cimenteries, cela n’est pas le cas pour l’instant. Les bidons (sortes de barils en plastique) pleins de pétrole brut sont toujours conservés dans le garage de la mairie, à l’écart. « Petrobras [qui a été mobilisée par le GAA pour agir dans le transport des déchets d’hydrocarbures depuis les sites de stockage temporaire jusqu’à leur destination finale] a déclaré qu’elle fixera bientôt une date de retrait », a déclaré Leonardo Tinoco, secrétaire à l’Environnement du Tibau do Sul, lors d’une conversation lundi dernier.

Tibau do Sul est l’une des municipalités les plus touchées par la marée noire dans le Rio Grande do Norte. Près de 3 tonnes de pétrole brut y ont été collectées. Le ministère de l’Environnement a mis 41 jours, après les premiers signaux de marée noire, pour déclencher le plan d’urgence. "Nous n’avons reçu aucun avis, a dit le secrétaire de Tibau. C’est pourquoi, au début, de nombreux bénévoles et pêcheurs ont jeté les matériaux recueillis à la poubelle. « De notre propre initiative, nous avons commencé à stocker les matériaux dans des conteneurs, » dit-il. Ensuite, le même protocole a été adopté par l’état du Rio Grande do Norte, qui a distribué les bidons et les sacs étanches aux municipalités, bien que la collecte et le stockage relèvent de la responsabilité de chaque municipalité.

Les fragments de pétrole brut passent à la poubelle ménagère....

Dans l’état d’Alagoas, le stockage des hydrocarbures récupérés sur les plages était concentré dans un centre de traitement (CT) de la municipalité de Pilar. C’est le seul espace de la région capable de recevoir du pétrole brut, hautement toxique et inflammable. Le coût de la collecte et de l’élimination était de R$3,5 millions– 765 mille euros-, financé par le gouvernement de l’état. Cependant, quand on y ajoute les autres coûts de nettoyage des plages, comme l’embauche de 590 personnes pour ramasser les résidus, ainsi que les véhicules, les machines et les équipements de protection individuelle (EPI), le gouvernement d’Alagoas estime les dépenses à R$4,3 millions – € 0,94 millions - à ce jour.

Depuis le 14 novembre, selon le secrétariat à l’Environnement de l’état, le gouvernement fédéral a repris les opérations d’élimination des déchets, qui sont dirigés vers une cimenterie de Votorantim Cimentos située à Laranjeiras (Sergipe). Il se trouve que les fragments d’hydrocarbures retirés des plages ne suivent pas toujours ce flux.

L’Agência Pública a visité la municipalité de Barra de São Miguel, sur la côte d’Alagoas, durant le férié du 15 novembre. La plage apparemment propre était bondée de touristes, mais ceux qui osaient aller pieds nus repartaient les pieds noirs d’hydrocarbure, le bord de mer étant entièrement souillé d’infimes fragments de pétrole brut, imprégnés dans le sable.

Malgré cela, nous n’avons rencontré aucun agent du gouvernement informant les baigneurs des risques de contact avec le pétrole brut, ni travaillant à sa collecte. Plusieurs fois, nous avons vu des touristes, sans gants, ramasser des portions du produit toxique et jeter ces déchets dans les poubelles d’ordures ménagères.

« C’est la pire des choses à faire », a averti Beate Saegesser, professeure de chimie à l’Université fédérale de Pernambuco (UFPE) et membre du Comité SOS Mar de l’établissement, qui accompagne les actions de récupération du pétrole brut depuis ses premières apparitions. Lorsqu’il part aux ordures ménagères, le matériau peut entrer en contact avec le sol et contaminer les eaux de la nappe phréatique. « Il y a aussi risque d’émanation et de libération de petites fractions de substances toxiques qui, absorbées par la matière organique, se répandent dans l’environnement sous l’action de la pluie. » a-t-elle expliqué.

Le pétrole est riche en hydrocarbures qui sont composés d’hydrogène et de carbone, comme le benzène. Ce sont des substances toxiques. Mais ce n’est pas tout. Tout pétrole contient aussi des métaux lourds, explique la professeure de chimie, comme le plomb, et peut aussi contenir des métaux radioactifs, comme le thorium. En contaminant les organismes, ces substances peuvent provoquer des mutations. « En fait, nous ne savons même pas quel est le véritable niveau de toxicité de ce que nous recueillons sur les plages parce que, après des mois de contact avec l’eau de mer, le sable et les rayons ultraviolets, les propriétés physiques et chimiques du pétrole ont déjà été modifiées. Ce que nous savions déjà être toxique peut devenir encore plus toxique » précise-t-il.

De la mer aux industries

La professeure Beate Saegesser a estimé que la meilleure façon d’empêcher le pétrole brut de se retrouver dans les décharges est de le transformer en énergie pour les industries, comme c’est déjà le cas dans certains états. Dans l’état du Ceará, par exemple, le pétrole devient un combustible pour les fours à ciment. Ce composé remplace le coke de pétrole, qui est un sous-produit de la combustion de combustibles fossiles.

Les mairies conservent le pétrole brut dans des conteneurs fournis par le gouvernement de l’état. Ensuite, la cimenterie Apodi, basée dans la commune de Quixeré, reçoit les résidus contaminés (sable, bois et autres matières mélangées au pétrole brut), sans coût pour l’administration publique.

Dans l’état de Pernambuco, le pétrole brut est transformé au Centre de traitement des déchets (CTR), situé à l’Eco-parc d’Igarassu, sur la côte nord de l’état. Le gouvernement paie R$150 par tonne -environ 32 € par tonne- pour que l’Eco-parc traite ce produit, le mélangeant à d’autres déchets industriels pour être vendu aux industries du ciment. Selon Bruno Veloso, président de l’Union de l’industrie du ciment du Pernambuco (SINPROCIM), les industries paient en moyenne R$100 la tonne à CTR.

Dans l’état de Sergipe, en accord avec le gouvernement fédéral, une cimenterie de l’entreprise Votorantim reçoit le matériau dont le transport est effectué par Petrobras. Ubirajara Barreto, secrétaire d’État à l’environnement, explique que la compagnie pétrolière contribue à la collecte et à l’élimination des déchets depuis que l’état de Sergipe - où Petrobras a de nombreuses activités - a déclaré l’état d’urgence. « Nous avons également reçu R$2,5 millions -€ 0,545 millions- du gouvernement fédéral pour enlever et transporter les matériaux. Cela ne couvre pas tous les coûts, mais c’est une aide, dit-il.

A la demande de GAA, Petrobras a repris le transport des déchets dans le Rio Grande do Norte. Le matériau sera envoyé à la municipalité de Baraúna, où se trouve Mizu Cimentos. L’entreprise l’utilisera pour chauffer ses fours, sans frais pour les autorités publiques, selon le terme de coopération. Cependant, selon l’Institut du développement durable et de l’environnement (IDEMA), qui est un organisme d’état, Petrobras n’effectue toujours pas la collecte arguant » de ne pas avoir de contrat en cours de validité avec le gouvernement fédéral pour assurer le service".

Par téléphone, le département de communication de Petrobras a déclaré que si l’entreprise avait assumé la prise en charge du transport du brut en provenance des municipalités du Rio Grande do Norte, répondant ainsi à une demande écrite du GAA, " la destination finale des matériaux recueillis relevait, elle, de l’IBAMA avec le soutien des agences environnementales des états.

Petrobras n’a pas indiqué quand cette collecte devait commencer ni quels étaient les coûts de l’opération. Outre la question de l’élimination des déchets, la société a annoncé la mobilisation de 1700 agents environnementaux pour collaborer avec l’IBAMA aux actions de nettoyage de plusieurs des zones affectées du Nordeste. Mais le secrétaire de l’Environnement de Pernambuco, José Bertotti, a déclaré que la compagnie pétrolière « n’a en rien contribué aux collectes sur les plages de Pernambuco », rappelant que l’état dispose d’une raffinerie Petrobras, Abreu e Lima, située à Suape.

Destination du pétrole brut ramassé sur les plages du Nordeste

Sans indemnisation

Comptabilisant toujours les dépenses liées aux opérations de décontamination des plages qui se poursuivent dans l’état du Pernambuco, Bertotti se souvient que le gouvernement fédéral a promis de rembourser les états des coûts occasionnés par les nettoyage et retraitement du pétrole brut.

L’engagement de financement a été pris par le commandant des opérations navales de la Marine, l’Amiral Puntel, lors d’une conférence de presse donnée à l’occasion de sa visite au Pernambuco, fin septembre. « Mais jusqu’à présent, nous n’avons pas vu un centime de cet argent. La seule aide que nous ayons reçue concerne quelques équipements de protection [EPIs] », s’est-il plaint.

Ricardo César de Barros, coordinateur de la gestion du littoral à l’Institut Environnemental d’Alagoas, renforce cela. Il révèle qu’aucune compensation financière n’a été versée par le gouvernement fédéral jusqu’à présent, bien que l’état ait déjà déboursé R$4,3 millions pour nettoyer le pétrole brut échoué sur les plages.

Le gouvernement du Ceará a déclaré qu’il avait déjà dépensé environ R$50000 rien qu’en équipement de protection, ainsi qu’environ R$400000 pour contenir la pollution dans l’embouchure de la rivière Jaguaribe. « En outre, des ressources ont été investies dans la communication et la mise en œuvre de la nouvelle procédure d’analyse des eaux et des sables des plages, désormais, sous des aspects toxicologiques et pas seulement biologiques », a déclaré le secrétariat à l’Environnement. Jusqu’à maintenant, rien n’a été remboursé par le gouvernement fédéral.

L’état du Piauí attend également des transferts fédéraux. L’état continue sans décision concernant la destination finale du pétrole brut, qui est stocké par les communes concernées. « Le pétrole est placé dans des bidons en plastique et conservé sur des sols imperméables » a déclaré le secrétaire à l’Environnement.

Deusdete Queiroga, secrétaire à l’Infrastructure, aux ressources en eau et à l’environnement de l’état de Paraíba, a déclaré que le gouvernement local n’avait pas encore demandé d’indemnisation pour les coûts de la tragédie en raison de "la quantité collectée sur les plages, faible par rapport aux autres états [0,4 tonne]. Actuellement, le pétrole brut est envoyé vers un site d’enfouissement sanitaire.

Dans l’état du Maranhão, les déchets sont stockés sur une base de la marine, au terminal de Ponta da Espera, à São Luís, jusqu’à ce que le volume collecté « justifie le transport du matériau vers le site d’élimination », selon le gouvernement de l’état. Lorsqu’ils atteindront une quantité significative - laquelle n’a pas été renseignée par l’état ou par la Marine - les résidus seront envoyés à une cimenterie située à Sobral (Ceará).

Le reportage a interrogé le gouvernement fédéral sur le remboursement des dépenses des états pour la gestion des déchets pétroliers retirés des plages. La question est restée sans réponse.


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