La face cachée des aliments

 | Par Agência Pública, Pedro Grigori, Reporter Brasil

Le gouvernement autorise l’enregistrement de plus d’un produit agrotoxique par jour cette année. Les dernières autorisations de vente ont été publiées au Journal officiel de lundi 11 février, 12 des 19 produits désormais approuvés sont extrêmement toxiques.

Traduction par Du ALDON pour Autres Brésils
Relecture Philippe ALDON

Ce texte a été traduit du portugais. Il est disponible en version originale sur le site de Agencia Pública

écrit par Pedro Grigori | Agência Pública/Repórter Brasil

Le site Por Trás do Alimento [1] est soutenu par l’Instituto Ibirapitanga et l’Instituto Alana.

Dans les 42 jours qui ont suivi l’accession de Jair Bolsonaro à la présidence de la République, le ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de l’Approvisionnement (MAPA) a publié l’autorisation de 57 nouveaux produits fabriqués avec des agrotoxiques. En moyenne, plus d’un par jour. Les dernières autorisations ont été publiées dans l’édition de ce lundi 11 février, au Journal officiel de l’Union. Il y a 19 produits, dont 12 qui ont été classés comme extrêmement toxiques - le degré toxicologique le plus élevé possible.

Tous les ingrédients des nouveaux produits étaient déjà commercialisés au Brésil. La nouveauté est qu’ils sont désormais autorisés pour utilisation sur de nouvelles cultures, pour une production par de nouvelles entreprises ou pour être combinés avec d’autres produits chimiques. Avec cela, le Brésil atteint 2 123 produits élaborés avec des produits agrotoxiques en circulation.

Depuis l’entrée en fonction de Jair Bolsonaro à la présidence de la République, le ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de l’Approvisionnement (MAPA) a accordé l’autorisation de 57 produits pesticides.

Parmi les pesticides dont l’autorisation a été approuvée cette semaine, figure le Mancozèbe, utilisé dans des cultures comme celles du riz, des bananes, des haricots, du maïs et de la tomate. En plus du Piriproxifem, indiqué pour le café, la pastèque, le soja et le melon. Même s’ils sont classés comme extrêmement toxiques et préconisés pour les produits qui font partie de l’alimentation de la quasi-totalité des Brésiliens, les pesticides sont, selon le ministère de l’Agriculture, sans danger.

Cependant, d’autres pays ne considèrent pas ces produits de la même façon que le Gouvernement fédéral. Parmi les substances toxiques figurent l’Imazétapir et l’Hexazinone, qui ne sont plus commercialisées dans l’Union européenne pour leur toxicité très élevée. Le premier est un herbicide utilisé dans des cultures telles que celle du soja, dont l’homologation a été refusée par les Européens en 2004. Le second est un herbicide utilisé dans les plantations de canne à sucre, interdit en Europe en 2002.

Dans les deux cas, il s’agit de poisons utilisés par pulvérisation aérienne, une pratique dans laquelle le phytosanitaire est lancé par de petits avions, atteignant plus rapidement les grandes plantations, tout en contaminant également les régions proches des cultures.

Sur les 19 substances toxiques approuvées, aucune n’est nouvelle. Mais aujourd’hui, elles sont fabriquées par plus d’entreprises, ou dans de nouvelles cultures. Parmi celles-ci figure le glyphosate, dont trois nouvelles homologations ont été approuvées. Deux d’entre eux par la société Monsanto, qui a découvert et développé le produit, le mettant en vente pour la première fois en 1974 aux États-Unis. Le pesticide est un acide, mais il est appliqué sur les cultures sous forme de sel, comme l’Isopropylamine, l’ammonium ou le potassium. Les nouvelles homologations accordées à Monsanto sont destinées à la commercialisation du poison sous forme de sel de Di-ammonium. Ils arrivent sur le marché sous les noms de "Roundup Original Mais et Decisive", sous le classement " Hautement Toxique ". Ce qui différencie les produits sera la quantité requise pour l’application.
Selon le service de communication de Monsanto, les nouveaux produits peuvent être utilisés en plus petites quantités, soit une réduction d’environ 30%.

Parmi les substances toxiques approuvées figurent l’Imazapyr et l’Hexazinone, interdites de vente sur le marché européen, jugées très toxiques.

Par ailleurs, « Agroimport do Brasil » a également obtenu l’autorisation de vendre une nouvelle combinaison de glyphosate sous forme de sel d’Isopropylamine. Le produit est plus agressif sur le plan toxicologique, classé comme Extrêmement Toxique.

Le glyphosate peut être utilisé dans plusieurs cultures, telles que le soja, le maïs et le coton - qui sont parmi les plus importantes pour l’agronégoce brésilien, ce qui en fait l’un des toxiques le plus vendu dans le pays. L’ingrédient actif est utilisé par plus de 100 marques, seulement au Brésil, mais il suscite de nombreuses polémiques.
En août 2018, la juge fédérale suppléante de la 7ème Juridiction du District fédéral, Luciana Raquel Tolentino de Moura, a ordonné la suspension de l’autorisation des produits à base de glyphosate au Brésil jusqu’à ce que l’Agence nationale de surveillance sanitaire (ANVISA) ait effectué le réexamen de l’utilisation du dit poison qui est en cours depuis 2008. Elle a fixé au 31 décembre, de cette même année, la date limite pour conclure cette étude. Cependant, un mois plus tard, le juge Kássio Marques, président en exercice de la Cour fédérale régionale de la première région (TRF-1), a infirmé cette injonction. Selon lui, il n’était pas possible de suspendre les homologations de produits sans analyser les graves impacts que cette mesure pourrait avoir sur l’économie du pays.

Le glyphosate peut être utilisé dans plusieurs cultures, comme celles du soja, du maïs et du coton.

Selon le site web d’ANVISA, la réévaluation est arrêtée, presque 11 ans après avoir été lancée. Selon ANVISA, ils espèrent conclure l’analyse toxicologique encore en 2019. Dès lors, la note technique qui en résultera fera l’objet d’une consultation publique, quand la société pourra se manifester et contribuer à la réévaluation du pesticide.

Autorisation pour les Australiens, les Suisses, les Indiens et les Chinois

Des entreprises de différentes parties du monde ont obtenu des autorisations pour vendre des agrotoxiques au Brésil. Parmi ceux-ci, le fongicide systémique Azoxystrobine est l’un des plus toxiques, ayant obtenu deux autorisations de mise sur le marché : celle de la société australienne "Nufarm Indústria Química e Farmacêutica" et celle de la société suisse "Syngenta Proteção de Cultivos", pour des cultures de coton, riz irrigué, café, sucre de canne, soja et blé. La société indienne "Arysta Lifescience do Brasil" a fait homologuer son herbicide "Cléthodime Haloxifope-P-méthylique" pour les cultures d’eucalyptus et de pins. "Adama Brasil" a été autorisé à produire l’insecticide au carbamate Méthomyl pour le coton, les pommes de terre, le café, les haricots, le maïs, le soja et le blé. Le sel de diméthylaniline 2,4-D de "BRA Defensivos Agricolas" a également été approuvé. Il est utilisé dans les cultures de riz, café, canne à sucre, maïs, prairie, soja et blé. "Rotam do Brasil" et "Syngenta" ont aussi enregistré l’Abamectine utilisée pour le coton, la canne à sucre, le maïs et le soja.

Importation

Avec une population de plus de 200 millions d’habitants et une économie basée sur l’agro-industrie, le Brésil est devenu le plus grand consommateur d’agrotoxiques dans le monde - environ 7,3 litres de pesticides par personne chaque année. Ainsi, les yeux des producteurs multinationaux du monde entier se tournent vers ce pays. Sur les 19 nouvelles autorisations publiées cette semaine, 16 proviennent de Chine, 5 des États-Unis et d’’Inde. Sur 10 agréments, le détenteur du brevet n’a pas une seule usine installée au Brésil.

Le grand nombre d’entreprises sur le marché des agrotoxiques explique également la raison pour laquelle plusieurs groupes demandent l’homologation pour le même poison ou principe actif. Dès que les entreprises productrices qui ont initialement obtenu le brevet perdent celui-ci, les autres peuvent faire une demande d’homologation pour utiliser ces matières actives et produire de nouveaux produits agricoles. Il y a aussi des cas comme celui de Monsanto, le principal vendeur de glyphosate, qui demande l’homologation de nouvelles versions du même poison ou l’utilisation de ces mêmes produits dans différentes cultures.

Sollicité par les auteurs de ce reportage, le ministère de l’Agriculture a répondu aux questions après sa publication. Le ministère de l’Agriculture assure que l’analyse technique des produits a été achevée en 2018 et reconnaît la stratégie de développement du marché intérieur. A propos du nombre élevé d’autorisations, le MAPA explique que l’augmentation du nombre d’enregistrements “ vise à promouvoir la concurrence entre les entreprises sur le marché et aussi à réduire le temps nécessaire pour homologuer un produit agrotoxique, ou similaire”.

Le dossier précise également que les changements apportés aux procédures de rationalisation des approbations se fondent sur les pratiques internationales et les meilleures données scientifiques disponibles : “Tout au long de l’année 2018, seules deux nouvelles matières actives ont été autorisées sur le territoire national sur une liste de 35 ingrédients en instance d’analyse. Ce sont des demandes d’homologation de produits qui, en règle générale, ont une toxicité moindre et sont utilisés en plus petites quantités que celles déjà autorisées”, indique la note.

Autres demandes d’enregistrement

Le nombre de substances toxiques approuvées au Brésil augmente chaque année. En 2005, seulement 91 enregistrements ont été autorisés, alors que l’an dernier, il y en avait 450, un record historique. Et ce nombre devrait continuer d’augmenter. Dans l’édition de ce lundi du Journal officiel, des demandes d’enregistrement pour plus de 79 produits ont été publiées. Le mois dernier, 131 autres demandes ont été divulguées.

Interrogé par Agência Pública et Repórter Brasil, si le fait d’enregistrer 57 pesticides en un peu plus de 40 jours était considéré comme normal, le ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et des Approvisionnements ne s’est pas prononcé avant la publication du présent reportage.

Avant d’arriver sur le marché, la substance doit être évaluée par le ministère de l’Agriculture, l’Agence environnementale brésilienne, IBAMA et l’Agence nationale de vigilance sanitaire, ANVISA. Ces Agences effectuent plusieurs tests pour mesurer, par exemple, le degré toxicologique et le potentiel de dangerosité environnementale. Tout le processus peut prendre plus de cinq ans - délai critiqué par le groupe parlementaire lié à l’agro-industrie. Ces dernières années, les agences d’évaluation affirment moderniser le système pour que les processus prennent moins de temps.

Tereza Cristina (DEM), actuelle ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de l’Approvisionnement du Brésil

IBAMA, par exemple, affirme que "l’amélioration des procédures et l’intégration de nouvelles ressources informatiques" est responsable de l’accélération du processus. Entre-temps, le ministère de l’Agriculture signale que l’accélération du rythme est due à une nouvelle politique qui donne la priorité aux produits à faible toxicité, qui contiennent des extraits biologiques, microbiologiques, biochimiques, semi-chimiques ou extraits végétaux.

La Campagne Permanente Contre les Agro-toxiques et pour la Vie s’est opposée à la libération des pesticides, affirmant qu’il s’agissait d’une rétribution immédiate à tout le soutien apporté par l’agronégoce dans les campagnes électorales.
“Nous rejetons avec véhémence la flexibilisation du cadre juridique des pesticides au Brésil et l’afflux de nouveaux produits enregistrés cette année. Les pesticides au Brésil représentent déjà aujourd’hui un grave problème de santé publique, et l’introduction d’un plus grand nombre de produits sur le marché aggravera encore les dangers auxquels la population est exposée.”

Mise à jour le 13/02/2019 à 11h21 : La réponse du service de presse de Monsanto a été incluse.

Mise à jour le 14/02/2019 à 15h : Après la publication du rapport, le Ministère de l’Agriculture a répondu aux questions de Agência Pública e da Repórter Brasil. Les réponses ont été incluses dans le texte.

Voir en ligne : Agencia Pública

[1À propos de Por Trás do Alimeto / La face cachée des aliments.

Vous vous souciez de votre nourriture ? Peu de Brésiliens savent qu’ils vivent dans le pays qui consomme le plus de pesticides au monde. Savoir comment nos aliments sont produits et quels produits chimiques sont utilisés avant qu’ils n’atteignent la table est également inquiétant au sujet des aliments. Et aussi avec l’environnement, la population rurale et l’économie du pays.
C’est l’objet de ce site Web, une initiative journalistique qui étudiera comment sont produits les aliments que nous mangeons et exportons.

Trás do Alimento est un partenariat entre Agência Pública et Repórter Brasil, qui ensemble ont reçu plus de 60 prix nationaux et internationaux.

Chaque semaine, vous pourrez suivre des rapports inédits, des enquêtes époustouflantes et l’évolution du Congrès et de l’Exécutif sur ce thème si important pour la santé des Brésiliens, pour l’économie et pour l’environnement.

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