La Révolte des Malês : l’histoire qu’on ne raconte pas

 | Par Carta Capital, Pai Rodney de Oxóssi

En dépit de son échec, la Révolte des Malês a influencé de nombreuses luttes contre l’esclavage.

Traduction pour Autres Brésils : Pascale Vigier
Relecture : Renata Mattos Avril

"Le 25 janvier un nouveau soleil d’espérance se lève. Venus de la lointaine mère Afrique, exposée dans toute sa noblesse, ils étaient à Salvador, Bahia.”

Ainsi, le Groupe Récréatif et Culturel École de Samba Mocidade Alegre se frayait un passage au Carnaval de 1979 et ébranlait l’avenue Tiradentes avec le refrain : “ô ô ô ô Alauacabá, Alauacabá ô ô ô ô !” L’expression arabe Allahu Akbar, qui signifie quelque chose comme “Dieu est grand”, faisait allusion aux musulmans noirs qui ont dirigé la Révolte des Malês en 1835.

Avant que n’intervienne la Loi 10.639/2003 [1] , seules les écoles de samba exaltaient les réalisations et les rébellions du peuple noir. Malgré leur grande importance dans la constitution de l’histoire du Brésil, elles ont été presque entièrement ignorées dans les archives officielles. La Révolte des Malês, durement réprimée par l’élite blanche dominante, est un exemple important du courage des asservis dans la lutte pour la liberté.

Pendant longtemps, on a mis en avant la prédominance des noirs islamisés parmi les instigateurs de la rébellion. Pourtant, outre des africains musulmans, il y avait aussi des noirs d’origine haussá, mahi et nagô [2], importants pour l’organisation des premiers terreiros de candomblé. La menace répandue depuis la Revolta dos Búzios [3] , à l’ombre de l’Indépendance d’Haïti et de la Révolution Française, a rendu la répression contre les noirs asservis d’autant plus cruelle. Dans les terreiros, les dates du calendrier catholique étaient déjà utilisées pour masquer le culte des orixás, tandis que les maîtres s’occuperaient de leurs dévotions. C’était également le moment le plus propice aux insurrections.

La persécution religieuse était un des leitmotivs de la révolution, qui a surgi avec l’idéal de libération du peuple noir et avec l’objectif de tuer les oppresseurs blancs et aussi qui s’opposerait à cet objectif, en particulier les traîtres. Plus de la moitié de la population de Salvador était constituée de noirs à l’époque, mais les malês présentaient une différence importante : ils savaient lire et écrire en arabe. Parmi les insurgés, beaucoup étaient des "noirs à rente" [4] qui circulaient à travers la ville, collectant des informations et vendant leurs produits. Nombre d’entre eux ont pu, grâce à leur gain, acheter leur affranchissement et acquérir des armes.

Une bonne partie du contingent de révoltés s’est acheminée du Recôncavo bahianais, d’où les premiers calundus [5] réorganisaient les noirs autour du culte des orixás et des ancêtres, vers Salvador. Le leader Ahuma avait été pris et torturé, de même que le Alufá Pacífico Licutan. Ces agressions ont motivé l’exécution des plans de la rébellion.

Avant même que la révolte ne prenne consistance, les objectifs des malês ont été arrêtés par une dénonciation. Revolvers, épées, lances et poignards n’ont pas été suffisants, cependant malgré leur désorganisation et leur faiblesse en nombre, les noirs continuèrent la lutte et prirent la ville. Ils ont été massacrés. Les survivants ont été condamnés à mort, soumis aux châtiments les plus inhumains ou déportés vers l’Afrique. “Et à l’heure de raison, feux d’artifice, aurore et trahison. De la révolte, il ne reste plus rien, la défaite a été l’autre solution” , chantait la Mocidade lors de ce glorieux Carnaval.

Après cela, la répression envers les noirs asservis, surtout ceux d’origine malê ou nagô, est devenue encore plus dure. Des soulèvements successifs, qui incluaient diverses ethnies, s’étaient déjà produits depuis le début du siècle et même au siècle précédent. En dépit de son échec, la Révolte des Malês a influencé de nombreuses luttes contre l’esclavage.

Luiza Mahin a fait de sa maison un véritable quartier général lors de nombreuses rébellions, en particulier la Révolte des Malês

À ce propos, une autorité se détache. Luiza Mahin a fait de sa maison un véritable quartier général lors de nombreuses rébellions, en particulier la Révolte des Malês. Après avoir échappé au châtiment, cette grande guerrière, une femme d’origine jeje, peut-être une princesse de l’ancien Dahomey, mère de l’écrivain abolitionniste Luís Gama, a poursuivi sa mission révolutionnaire jusqu’à son arrestation à Rio de Janeiro et, d’après certains historiens, sa déportation vers l’Afrique.

“ Par une plainte triste et solitaire, le noir demandait à Allah, son protecteur, force et courage à l’heure où la victoire sera à sa gloire.” Ainsi la Mocidade Alegre sortait, acclamée, de l’avenue. Dans un Carnaval révolutionnaire, elle clamait la liberté du peuple noir et du peuple brésilien en pleine dictature militaire. Le régime, qui a persécuté aussi les écoles de samba, ne s’est pas même rendu compte de la métaphore.

Les malês sont restés connus comme les noirs lettrés, parlant couramment l’arabe, habiles stratèges et combatifs. Peut-être les intellectuels de l’époque, étant donné qu’une grande partie des maîtres savait à peine écrire leur propre nom. La dure répression, les restrictions, le bannissement ont mis fin à la rébellion, mais non à la résistance. Lors des “années de plomb”, la mort dans les sous-sols, la torture, l’exil ont gravé la même lutte de toujours pour la liberté, ainsi que pour l’égalité des chances et des droits.

Les noirs ont poursuivi et poursuivent leurs insurrections, en défiant les pouvoirs des institutions par des divertissements du carnaval et des gnoses préservées dans les lieux de résistance, qui créent la grande révolution de décolonisation de notre temps. Descendants de nagôs, mahis et haussás, nous sommes la continuité de cette lutte. Avec chacun son arme à la main, hommes et femmes noirs chanteront encore la gloire de la Révolte des Malês et raconteront la vérité que l’Histoire persévère tant à cacher.

Voir en ligne : A Revolta dos Malês : a história não contada

Photo de Couverture : Gravure de Rugendas © Wikipédia.

[1Promulguée sous le mandat du président Luiz Inácio Lula da Silva, cette loi rend obligatoire l’enseignement de l’histoire et de la culture afro-brésiliennes dans les classes primaires et secondaires.

[2Les noirs haussá viennent en grande partie du Nigeria et du Niger ; les mahi et les nagô du Bénin.

[3Aussi nommée Conjuration Bahianaise, la Revolta dos Búzios de 1798 avait pris pour modèle la Révolution française.

[4Expression désignant une catégorie d’esclaves qui devait payer une somme quotidienne dont le montant était fixé par leur propriétaire.

[5Terme générique désignant la pratique religieuse africaine, équivalant au candomblé.

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