Kim Kataguiri et le MBL : visages d’une nouvelle droite « militante » au Brésil

 | Par Laurent Delcourt

Laurent Delcourt [1]
Publié sur « Le regard du CETRI »
1er septembre 2016

Il a été désigné en 2015 par le magazine Time comme l’un des trente adolescents les plus influents dans le monde. Courtisé par les politiques, choyé par les médias, adulé par la jeunesse dorée des beaux quartiers des grandes villes du Sud du pays, il est la figure de proue du Movimento Brasil Livre (MBL), l’une des principales chevilles ouvrières des vastes mobilisations qui ont abouti à la destitution de la présidente Dilma Rousseff en mai 2016. Signe de son ascension fulgurante au sein de ce mouvement anticorruption et pro-impeachment, il s’est même vu confier, début 2016, la tenue d’une rubrique hebdomadaire dans la très sérieuse Folha de São Paulo, devenant ainsi le plus jeune chroniqueur du prestigieux quotidien pauliste.

Âgé aujourd’hui d’une vingtaine d’années, Kim Patroca Kataguiri se présente comme un citoyen engagé, un entrepreneur et un faiseur d’opinions. Fils d’un métallurgiste à la retraite d’origine japonaise et d’une employée de maison, le jeune homme s’est d’abord fait connaître en diffusant sur le web des vidéos satiriques, vues des millions de fois, dans lesquelles il fustige le gouvernement du Parti des travailleurs (PT) et dénonce la corruption institutionnalisée, n’hésitant pas à l’occasion à revêtir un costume d’un ninja redresseur de torts. Hyperactif, le porte-parole emblématique du MBL n’a cessé depuis d’intervenir dans les débats publics, multipliant les dénonciations, les happenings protestataires et les appels à l’action. Passé maître dans l’art de capter l’attention médiatique, il va jusqu’à se lancer, en avril 2015, dans une marche, dite de la « Liberté », entre São Paulo et Brasilia, visant à faire pression sur les parlementaires pour qu’ils engagent la procédure d’impeachment de la présidente, laquelle aurait, selon lui, fermé les yeux sur le «  le plus grand scandale de corruption de l’histoire du pays » [2]. Reçus un mois plus tard, en grande pompe par les leaders de l’opposition et le président du Parlement, après avoir bénéficié d’une très large couverture médiatique pendant leur périple, les marcheurs obtiendront finalement gain de cause un an plus tard. Infatigable, Kim Kataguiri a néanmoins repris récemment son bâton de pèlerin pour défendre le gouvernement intérimaire de Michel Temer, accusé d’avoir fomenté un coup d’État institutionnel contre la présidente.

Libéralisme économique, État minimal, anti-pétisme viscéral

La lutte contre la corruption et l’impeachment de la présidente n’ont pas été les seuls thèmes de prédilection de celui qui se définit comme l’archétype d’une nouvelle génération de militants. Dans ses discours et ses chroniques enflammés, il s’attaque pêle-mêle à l’État «  Léviathan agonisant, omnipotent, intrusif et incompétent  », aux impôts et aux subsides, à l’enseignement public, considéré tantôt comme « fabrique d’idiots  » tantôt comme « un centre de recrutement de trafiquants  », aux programmes sociaux du gouvernement ou au salaire minimum. Le ton se veut politiquement incorrect et sciemment provocateur. La «  justice sociale, affirme-t-il ainsi avec aplomb, est l’autre nom de charité avec l’argent d’autrui et de jouissance aux dépens des autres ». Pas plus que les politiques sociales, taxées de « clientélistes », le Parti des travailleurs (PT) ne trouve grâce à ses yeux. Cible privilégiée du jeune homme, il est accusé d’avoir instauré le « gouvernement le plus corrompu de l’histoire du pays » et de chercher à mettre en place, avec l’aide de ses alliées de gauche (mouvements sociaux, syndicats, collectifs d’artistes, etc.), qualifiées eux- de« fascistes rouges », un projet « totalitaire » attentatoire aux libertés. Devenu un habitué des propos à l’emporte-pièce, dignes des litanies anticommunistes et paranoïaque de la Guerre froide, il va même jusqu’à déclarer publiquement : «  Il ne faut pas se contenter de faire saigner le PT, il faut lui mettre une balle dans la tête  ».

Définissant le MBL non pas seulement comme un «  mouvement de réaction, mais de propositions  », Kataguiri oppose au projet « totalitaire » du PT et des gauches latino-américaines, les valeurs du marché. Dans ses prêches, il ne manque jamais de célébrer l’évangile du libéralisme économique comme porteur d’un projet alternatif (sic) pour le Brésil : « Nous voulons libéraliser l’État, nous voulons moins d’impôts, moins de bureaucratie, et la privatisation de toutes les entreprises publiques  ». « Nous défendons un État minimal (....) qui garantit les libertés individuelles, la propriété privée (...). Nous défendons la privatisation de l’école, des hôpitaux (....) et de la Petrobras ». Élogieux vis-à-vis gouvernement Macri en Argentine, élevé au rang de modèle à suivre, citant régulièrement les grands noms du libéralisme et du conservatisme politique, de Von Mises à Hayek, en passant par Burk, Tatcher, Reagan et Friedman, le juvénile et arrogant leader du MBL n’hésite pas non plus à camper, dans le débat public, un rôle d’expert et de donneur de leçon avisé. À ceux qui lui reprochent de ne recycler que des idées rétrogrades, il rétorque : « Je veux montrer qu’il est possible d’être jeune, cool et libéral ».

Le MBL : une « start-up » militante aux services d’intérêts réactionnaires

Kataguiri explique souvent dans ses interviews qu’il a quitté l’université pour l’action politique, en constatant l’ignorance de ses professeurs de l’école de pensée (néo)libérale, participant ainsi à la construction de son image d’autodidacte surdoué. Ses discours formatés et stéréotypés invitent pourtant à nuancer cette trajectoire de self-made-man d’extraction modeste. Le jeune homme en effet est bien plus sûrement le « produit » des formations et du marketing politiques de Estudantes pela Liberdade (EPL), filiale brésilienne de l’organisation internationale libertarienne Students for Liberty créée aux États-Unis en 2008 pour promouvoir l’ultralibéralisme [3]. «  Plusieurs de nos membres, explique ainsi l’un des fondateurs de l’organisation, voulaient participer aux mobilisations [de juin 2013], mais, comme nous recevions des fonds d’organisations comme Atlas et Student for Liberty, nous ne pouvions développer des activités politiques (...). Nous nous sommes donc résolus à créer une marque, le Movimento Brasil Livre, derrière laquelle nous pouvions nous vendre (....). Nous avons créé un logo, mené campagne sur Facebook (....). Puis nous avons cherché quelqu’un pour assumer (...). Nous avons alors rencontré Kim et Renan qui ont donné une impulsion incroyable au mouvement (....) [Kataguiri] a été formé [par EPL] tout comme une bonne part des organisateurs locaux [du MBP], membres également de EPL. (...) nous les avons formés, à travers des cours de leadership  ».

De fait, à l’instar mouvement anticorruption et pro-impeachment au Brésil, le MBL n’a guère été le fruit d’un élan spontané. Au centre d’un vaste réseau de think tanks, de fondations, d’entreprises privées, de groupes de pression et de bailleurs de fonds individuels, il a été créé, note très justement l’hebdomadaire The Economist, pour « promouvoir une réponse libre-échangiste au problème du Brésil ». Loin d’être le collectif citoyen qu’elle prétend être, cette « start-up », organisatrice d’événements protestataires, entend surtout œuvrer à la réduction de la voilure de l’État et à la promotion du libéralisme économique, quitte à nouer des alliances plus que douteuses. L’annonce récente, faite par le MBL, de présenter plusieurs dizaines de candidats aux prochaines élections municipales d’octobre 2016, sous la bannière des partis les plus rétrogrades et les plus corrompus du pays, ou encore, son rapprochement prévisible avec les puissants lobbies des grands propriétaires terriens et des évangélistes, ne laissent d’ailleurs planer aucun doute sur la motivation réelle des coordinateurs du mouvement et de ceux qui l’ont inspiré, appuyé, voire financé [4] : le démantèlement de l’héritage luliste.

Représentant brésilien d’une « nouvelle vague conservatrice » qui déferle actuellement sur le continent, profitant d’une conjoncture économique difficile et du reflux des régimes de gauche, les jeunes hipsters du MBL cultivent avec brio leur image de représentants, dynamique, cool et « dans l’air du temps » d’une nouvelle génération de militants pour susciter l’adhésion des plus jeunes. En réalité, ils ne sont que le dernier avatar du vieux fonds élitiste, réactionnaire, antisocial et anticommuniste de la société brésilienne, convertis-en en idéologie anti-pétiste. « En se cachant derrière des causes présentées comme universelles, explique ainsi le journaliste Paulo Moreira Leite, [cette nouvelle droite] cherche à faire oublier qu’elle agit au nom d’intérêts bien particuliers...[alléguant] que tout ce qui se maintient grâce à l’État constitue non seulement un embryon de communisme, mais est aussi le fruit d’un vol (...). Quand [ses membres] s’expriment, ils se font passer pour des anarchistes de droite, mais ses véritables leaders et inspirateurs ont dans le passé flirté avec la dictature militaire, voire davantage (...).  ».


Bibliographie

– Amaral M. (2015), A nova roupa da direita, Agência de reportagem e jornalismo investigativo, 23 juin 2015.
– Delcourt L. (2016), « Mouvement anticorruption ou coup d’État déguisé ? Printemps trompeur au Brésil », in Le Monde Dimplomatique, mai, p. 1 et 9.
– Delcourt L. (2016), « Entre appel au putsch, ordre moral et discours anti-pauvres, la montée en puissance d’une nouvelle droite au Brésil », Basta !, 25 mars, www.bastamag.net.
– Economist (The) (2015), Brazil’sLiberals. Niche no longer. Tatcherism is winning adherents, 28 février.
– Time (2015), “Meet the Teen Spearheading Brazil’s Protests Against its President”, 27 octobre.
– Zibechi R.(2016), « La crise au Brésil et la nouvelle droite », Alterinfos AméricaLatina, 29 avril 2016.

Voir en ligne : CETRI

[1Chargé d’étude au Centre tricontinental (CETRI, Louvain-la-Neuve)

[2À savoir l’affaire, dite du « Lava Jato » (« lavage express ») impliquant l’entreprise publique Petrobras, des entreprises du BTC, plusieurs partis, de la coalition gouvernementale comme de l’opposition, et de nombreuses personnalités politiques.

[3Créée en vue de former les leaders de demmain, l’organisation Estudantes pela Libertade connaît un incroyable essor au Brésil depuis quelques années, étendant son emprise sur plusieurs associations étudiantes autrefois réputées être des bastions de gauche, sinon d’extrême gauche. Depuis 2011, EPL remporte presque chaque année la direction de l’association des étudiants de l’Université de Brasilia, engrangeant près de 60 % des voix lors de l’élection de 2015. Profitant de la faiblesse et de la division de la gauche, l’organisation, d’ores et déjà présente dans de nombreuses universités privées gagne désormais du terrain dans plusieurs universités d’État comme celle du Minas Gerais et du Rio Grande do Sul.

[4Un reportage publié par la Folha de São Paulo le 27 mai 2016 basé sur l’enregistrement d’une conversation téléphonique révèle que les quatre principaux partis qui ont manoeuvré (DEM, PMDB, PSDB) en faveur de l’impeachment de Dilma Rousseff ont fourni un appui matériel et financier à Kim Kataguiri. Ces révélations interviennent après plusieurs enquêtes sur les financements - plus qu’opaques - du mouvement et l’appui reçu d’acteurs aussi divers que la Fiesp (Fédération industrielle pauliste), de fondations internationales libertariennes ou néooconservatrices (Atlas, Students for Liberty et l’Institute of Human Studies), soutenus par les frères Koch, magnat de l’industrie du pétrole et principaux bailleurs de fonds du Tea Party aux États-Unis, et des hommes d’affaires comme le magnat miliadaires helvético-brésilien, Jorge Paulo Lemann. Le MBL dément ces accusations, expliquant que l’essentiel de ses financements vient des cotisations de ses membres et de la vente d’articles (t-shirt, tasse, autocollant, etc.) aux couleurs du mouvement.

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