Erika Hilton et la résistance “transvestigênere” au pouvoir

 | Par Agência Pública, Mariama CORREIA

En Janvier 2022, le mois de la visibilité des personnes trans, la conseillère municipale ayant obtenu le grand nombre de voix, en absolu, ’la plus votée du Brésil’ parle de la résistance et de la Commission d’Enquête Parlementaire (CPI) sur la violence faite aux personnes trans et travesties.

Publié le 28 janvier 2022 par Mariama Correia

Traduction de Du Duffles pour Autres Brésils
Relecture Philippe Aldon

Dans le même pays où, en 2020, les candidatures et l’élection de personnes transgenres ont atteint des records [1], ces dernières subissent, dans la politique institutionnelle, des agressions et des attaques visant à empêcher le plein exercice de leurs mandats. Selon le "Dossier sur la violence faite aux personnes transgenres brésiliennes" publié ce 28 janvier par l’Association nationale des travestis et des transsexuels (ANTRA) [2], l’année dernière, la violence politique liée au genre a frappé "de manière disproportionnée les parlementaires transgenres/travestis".

Le document, lancé à l’occasion de la Journée de la visibilité des personnes trans (29/01), indique que la transphobie en politique se manifeste sous "diverses formes de menaces et d’attaques aux personnes en raison de leur identité de genre, de leur origine ethnique et des causes qu’elles défendent " et précise que la violence transphobe s’est aggravée depuis l’élection de Bolsonaro.

"Depuis janvier de l’année dernière, le cercle s’est beaucoup resserré pour moi", confirme Erika Hilton conseillère municipale (Parti socialisme et liberté, PSOL), qui est entrée au Conseil municipal de São Paulo lors des dernières élections en tant que la femme ayant eu le plus de voix du pays et la première conseillère transgenre de la plus grande ville d’Amérique du Sud.

Vous appréciez notre site ? Aidez-nous à en maintenir la gratuité !
Vous appréciez nos actions ? Aidez-nous à les concrétiser !

Soutenez Autres Brésils Faire un don

Lors d’un entretien, Erika a déclaré que, malgré les différentes formes de violence qu’elle a subies depuis qu’elle siège au sein de la législature municipale - à la fois voilées et directes, notamment lorsque son bureau a été envahi et qu’elle a dû, à partir de ce moment-là, se faire accompagner au quotidien par des agents de sécurité - elle ne craint pas d’assumer son identité travestie, noire, originaire de la périphérie et militante des droits humains. Travestie est, rappelons-le, une identité féminine, comme elle a tenu à l’expliquer sur son Twitter. La conseillère municipale utilise également le terme “transvestigênere” , qu’elle a créé pour englober "toutes les identités des hommes et des femmes trans, des travestis, des personnes trans non binaires, des personnes qui échappent au CISthème".

Dans son entretien, Erika parle également de son travail en tant que responsable de la Commission des droits humains au sein du Conseil municipal et en tant que présidente de la première Commission d’enquête parlementaire (CPI) sur la violence faite aux personnes transgenres et travesties.

Erika Hilton est la première femme travesti elue conseillère municipale à Sao Paulo.
Photo de Rafael Canoba

Vous préférez être identifiée en tant que travestie et non en tant que femme transgenre ou transsexuelle. Vous avez même inventé le terme “transvestigênere”. Pouvez-vous expliquer ce terme ?

Oui, je m’identifie en tant que travestie, en tant que femme trans, en tant que “transvestigênere”, qui est un terme que j’ai créé avec Indianare Siqueira pour englober toutes ces identités, les hommes et les femmes trans, travestis, les personnes trans non binaires, les personnes qui fuient le "CISthème". Bien sûr, chacun d’entre nous a ses spécificités, car c’est d’identités dont nous parlons.

"Transvestigênere" est un effort pour nous regrouper dans toute cette diversité, car nous avons aussi beaucoup de choses en commun, nous sommes contre l’imposition d’un genre qui nous a été assigné avant que nous sachions qui nous étions.

L’Institut Marielle Franco a récemment publié une enquête sur la violence politique liée au genre et à l’origine ethnique au Brésil. Le document rapporte une partie de ce qui s’est passé dans la vie des politiciennes noires après les élections de 2020, lorsque nous avons eu un nombre record de candidatures et d’élections de personnes trans. La publication met en lumière, entre autres, les attaques contre les transsexuels et les travestis dans la politique institutionnelle et contient une déclaration de votre part sur l’agression dont vous avez été victime au sein du Conseil municipal de São Paulo pendant la semaine de la visibilité trans, en janvier de l’année dernière. Vous avez depuis une escorte policière. Un an plus tard, cet épisode a-t-il encore des répercussions dans votre vie et dans votre travail parlementaire ? Vous sentez-vous en sécurité tant dans vos activités quotidiennes que dans votre travail ?

Ah, ça a tout changé. Depuis janvier de l’année dernière, le cercle s’est beaucoup resserré pour moi. Je suis toujours accompagnée d’agents de sécurité et d’un chauffeur, avec des protocoles stricts pour me déplacer. Pour aller à la gym, au travail, pour aller et revenir de la maison. Je ne reçois même pas de journal chez moi, de peur que mon adresse ne soit divulguée. À ce moment-là, l’un de mes agresseurs a déclaré sur un ton menaçant qu’il connaissait toutes mes données, y compris mon lieu de résidence. Après l’épisode de la tentative d’invasion de mon bureau, nous avons dû sceller les fenêtres sur recommandation de spécialistes de la sécurité et de garder la porte vitrée toujours fermé à clé – pour concilier sécurité et transparence.

Et c’est tout un contexte qui rend nos vies encore plus dangereuses. Un contexte d’attaques contre moi, contre Duda Salabert [3], de menaces contre Benny Briolly [4]...Enfin, on n’est jamais trop prudents.
Avez-vous été victime de violences institutionnelles et politiques dans l’exercice de votre mandat ? Comment faites-vous face à cela ?

Lors de l’exercice du mandat, la violence par mes pairs est voilée. Ils ne me manquent pas de respect en tant que personne, parce que j’en impose beaucoup, je bénéficie de très bonnes relations, je ne laisse jamais de place à cela. Ces menaces sont voilées, mais tout aussi néfastes, voire plus.

La violence à laquelle je fais référence, fondée sur le conservatisme et la transphobie, est le reflet de quelque chose qui a toujours existé dans cette Assemblée, mais mon arrivée et mes priorités ont aggravé la situation. Ils essaient de mettre leur veto, de rejeter, de saboter, tout, toutes les propositions de lois, tout ce qui parle de genre. Du genre humain au genre alimentaire. Je le jure. Voilà le niveau !

Dans ce rapport de l’Institut Marielle Franco, vous dites que la violence passe dans votre corps bien avant la politique. Ces expériences passées vous ont-elles préparée à la violence à laquelle vous êtes confrontée en tant que conseillère municipale ?
Elles m’ont rendu plus forte, plus expérimentée et plus endurante, c’est certain. Elles m’ont même préparé à ce que je sois déjà protégée de beaucoup de ces attaques.

Pour en revenir à l’attaque dans la salle du Conseil municipal, les co-conseillères Samara Sosthenes et Carol Iara, du PSOL comme vous, ont également subi de graves agressions à ce moment-là, dans la même semaine. Une enquête a été ouverte sur les liens entre les trois affaires, pointant du doigt la transphobie et la motivation politique des crimes. Y a-t-il eu une conclusion ? Pensez-vous que ces attaques étaient dirigées contre votre parti ou contre des femmes travesties, noires et périphériques ?

Je pense que leurs affaires ont déjà été classées, selon la Police civile. Classées au milieu de l’année dernière. Je sais qu’elles ont été traitées indépendamment des miennes. Je veux dire, il est évident qu’il y a un contexte commun... la transphobie ancrée dans la société et notre arrivée récente dans les espaces publics de pouvoir et de visibilité, mais les cas n’avaient aucun lien, non.

L’enquête sur ce qui leur est arrivé est déjà close. En ce qui me concerne, le processus est toujours en cours en raison du nombre de cas et des faits.

Samara et Iara n’ont pas pu bénéficier d’une protection policière car elles faisaient partie de mandats collectifs. D’ailleurs la position du Conseil à l’époque était qu’il ne serait pas en mesure de fournir des gardes de sécurité chaque fois qu’une accusation d’agression contre des parlementaires était faite. Avez-vous reçu le soutien que vous attendiez, y compris de la part d’autres parlementaires ? Si l’on prend votre cas comme exemple, parmi des nombreux autres rapports similaires au Brésil, selon vous, ces dénonciations sont-elles traitées avec le sérieux nécessaire ?

Oui, heureusement, j’ai eu le soutien de mes collègues parlementaires en raison de la gravité et de la quantité de faits. On a essayé d’envahir mon bureau. Mes démarches se poursuivent, ainsi que les enquêtes, qui ne sont pas closes, il y a déjà des indications de condamnation pour certains de mes agresseurs et malgré cela les menaces continuent, de plus en plus graves.

C’est pourquoi la Chambre maintient ma protection, il ne s’agissait pas de faits isolés et les enquêtes sont en cours.

Mais je suis consciente que je suis une exception. Tous les parlementaires transgenres ne reçoivent pas le soutien que j’ai reçu, en raison de la visibilité qu’ont eu les faits que j’ai subis.

En 2021, selon Transgender Europe (TGEU), le Brésil concentrait 41 % de tous les cas de meurtres de personnes trans et LGBTQIA+ dans le monde. Les meurtres de personnes trans et travesties ont augmenté pendant la pandémie, selon ANTRA. Vous avez proposé la première CPI pour enquêter spécifiquement sur la violence contre les personnes transgenres et travesties à São Paulo. En tant que présidente de la CPI, quelle est votre évaluation du travail accompli jusqu’à présent ?

J’ai l’habitude de dire que notre CPI, au niveau municipal, sert à déblayer le terrain, à éclaircir la forêt qui cache les cas de violence en ville et dans le pays. Ces données sont encore très peu signalées, elles ne sont pas qualifiées en tant que cas de transphobie par les autorités publiques, elles sont regroupées avec les autres violences LGBTphobes. Ainsi, en plus de traiter les cas qui résonnent et percent les bulles médiatiques, nous parvenons à cartographier les goulets d’étranglement de la sous-comptabilisation, en établissant des partenariats très importants avec la Police civile et le Ministère public de São Paulo pour donner un débouché aux cas quotidiens qui nous apparaissent dans les domaines les plus divers : violence dans les services publics d’éducation, de santé, de transport, d’assistance sociale, violence physique et verbale, violence policière, institutionnelle, manque de continuité dans les traitements d’hormonothérapie, qui nuisent à notre santé. Nous avons un canal de dénonciation direct avec la société, denuncie@cpitrans.com.br

Que faut-il faire pour assurer la sécurité des personnes transgenres et travesties ?

Je pense qu’une bonne base pour combattre la violence et assurer la sécurité est l’accès effectif aux droits fondamentaux. Une fois que la société nous verra comme des citoyens et citoyennes avec des droits. Une fois que nous fréquenterons les écoles, les hôpitaux, les logements, les marchés, les équipements culturels, bref, une fois que nous vivrons la ville et la société sans être obligatoirement marginalisées dans les coins de rues de prostitution, en dormant sur les trottoirs, cette familiarisation de notre présence aura déjà un effet très positif. C’est pour l’essentiel que nous nous battons.

Pensez-vous que la CPI et les accusations qu’elle porte puissent être le grand héritage de votre mandat ?

Ce sera certainement l’un des héritages de notre mandat. Mettre au jour les goulets d’étranglement de la violence, sa sous-comptabilisation et la création de politiques publiques visant à la combattre et à la prévenir.

Mais pas seulement. Je suis fière de dire que notre mandat, malgré tous les boycotts et les tentatives d’intimidation, a déjà laissé des traces profondes dans la ville. Avec la CPI, avec notre performance à la présidence de la Commission des droits humains, avec la mise en œuvre du Fonds municipal de lutte contre la faim, projet dont je suis l’auteure, approuvé par consensus au Conseil municipal et sanctionné par la Mairie lors de l’anniversaire de la ville, les réalisations budgétaires visant à étendre les soins de santé à la population noire, la production législative longue, diverse et intersectionnelle de notre mandat... En 2022, nous aurons de grands combats et de grandes constructions.

Un de ces combats sera de transformer en loi le projet de transcitoyenneté , qui existe depuis l’administration Haddad, mais qui est un décret pouvant être révoqué à tout moment. Nous voulons que cette politique cesse d’être une politique gouvernementale et devienne une politique d’État, afin qu’elle ne puisse pas être révoquée, déstructurée, sabotée. En plus d’en faire une loi, nous voulons l’étendre. Nous construisons ce processus avec le Conseil municipal et la Municipalité.

La polarisation politique s’est accentuée depuis l’élection de Bolsonaro. Il y a également eu un recul dans la création de politiques publiques LGBTQIA+, qui avaient progressé. La violence et l’hostilité en politique sont-elles une réponse à ces avancées ? En cette année d’élections et de course à la présidence, ces confrontations ont-elles tendance à s’intensifier, les femmes, les Noirs, les LGBTQIA+, les trans et les travestis défiant les espaces de pouvoir, ou allons-nous vers la construction d’un scénario moins polarisé au Brésil ?

Ah, il n’y a aucun moyen de construire un scénario moins polarisé sans que les débats aient lieu, une fois pour toutes. Je pense donc que les élections de 2022 devraient jouer un rôle dans la popularisation et l’approfondissement de ces débats et causes auprès de l’ensemble de la population, afin que dans les années à venir, nous ne puissions qu’ouvrir la voie à l’expansion des politiques publiques et des droits des femmes, des hommes et femmes noirs, des LGBTQIA+. Mais pour la société en général aussi, l’élection de 2022 doit être celle où l’on parlera d’inverser la politique économique, la fiscalité, pour que les masses laborieuses, les pauvres, la base de la pyramide, en tenant compte de toute sa pluralité et sa diversité - mais aussi de ce que nous avons en commun, nous sommes exploités - aient un tour et une voix dans la refondation que nous voulons pour le pays en 2023.

Vous dénoncez toujours le fait que les personnes trans et travesties sont communément stigmatisées, associées à la prostitution et dépeintes uniquement comme des victimes de violence. Et vous parlez aussi de l’importance des références positives. En tant que première conseillère transgenre de la plus grande ville d’Amérique du Sud, vous considérez-vous comme un exemple, notamment de résistance ?

Oui, nous manquons de références positives, mais je crois que nous sommes dans un processus de subversion de cette condition qui ne peut plus être arrêté ou inversé. Nous sommes nombreuses à arriver, et pas seules, dans des espaces de leadership. En matière de culture, de politique, de mode, de gastronomie, d’éducation et de santé. Et pas seulement au Brésil. Au Chili, avec Emília Schneider, avec la mise en place de politiques trans en Argentine, Sarah McBride, sénatrice aux USA, Michelle Suárez, en Uruguay, bref, les références fusent dans le monde entier !

Voir en ligne : Erika Hilton e a resistência transvestigênere no poder

[1Un total de 55 personnes transsexuelles se sont portées candidates aux élections de 2018. Les données sont de l’Association Nationale des Travesties et Transsexuelles (Antra). Selon les données du Tribunal Supérieur Électoral, ce ne sont que 27 personnes, qui ont demandé l’utilisation de leur nom social. Au total, 17 personnes se présentaient pour la Chambre des députés ; Duda Salaberi a été la première candidate, s’identifiant comme travesti, pour le Sénat (parti PSOL, État du Minas Gerais). À l’issue du scrutin, la première femme transgenre et noire, Erika Malunguinho, a été élue à l’Assemblée d’un État au Brésil, dans l’État de Sao Paulo. Deux autres personnes ont été élues à travers un mandat collectif. Il est intéressant de noter que si les partis de gauche et centre gauche comme le PSOL, PCdoB et PT ont été ceux avec lesquels le plus de personnes trans ont brigué un mandat, d’autres enseignes de centre et centre-droit ont aussi été choisies : PSDB, DEM, Avante, PSB, PPS, PCB, REDE, PP, MDB, PSD, PDT et PHS.

[2C’est la cinquième édition du rapport. Voir aussi Lancement du dossier sur les meurtres et la violence contre les personnes trans en 2019 Observatoire de la démocratie brésilienne

[3conseillère municipale à Belo Horizonte, Minas Gerais

[4conseillère municipale à Niteroi, Rio de Janeiro

Agenda

L'équipe d'Autres Brésils est en train de préparer de nouveaux événements... restez attentifs !

Tous les événements

Suivez-nous

Newsletter

Abonnez-vous à la Newletter d’Autres Brésils
>
Entrez votre adresse mail ci-dessous pour vous abonner à notre lettre d’information.
Vous-pouvez vous désinscrire à tout moment envoyant un email à l’adresse suivante : sympa@listes.autresbresils.net, en précisant en sujet : unsubscribe infolettre.

La dernière newsletter

>>> Autres Brésils vous remercie chaleureusement !

Réseaux sociaux

Flux RSS

Abonnez-vous au flux RSS