EAU : le profit avant la vie

 | Par Le Monde Diplomatique Brasil, Mônica Francisco

Depuis plus de 20 jours, plus d’un million d’habitants de Rio de Janeiro sont confrontés à des problèmes d’approvisionnement d’eau

Traduction de Philippe ALDON pour Autres Brésils
Relecture de Du DUFFLES

Depuis le début de la pandémie, en mars 2020, la population de Rio de Janeiro, et notamment celle vivant dans les favelas et les périphéries, souffre du manque d’eau. Au cours des vingt derniers jours, la situation s’est aggravée et plus d’un million d’habitants de la Baixada Fluminense, des zones Ouest et Nord ainsi que de plusieurs secteurs du Centre de Rio, sont confrontés à des problèmes d’approvisionnement de cette ressource naturelle essentielle à la vie.

Ce qui serait absolument inacceptable dans des conditions de vie « normales » devient encore plus grave lors d’une pandémie qui rend l’utilisation d’eau et de savon indispensable pour assurer l’hygiène, mesure essentielle de prévention contre la propagation de la maladie.

Vivre avec le manque d’eau n’est pas nouveau pour nous les femmes, en particulier les femmes noires des favelas et des périphéries. Nous avons toujours été laissées-pour-compte en matière d’accès à une eau de qualité et à des installations sanitaires de base. Notre vie a été forgée, et l’est encore dans de nombreux endroits, à monter et à descendre des rues escarpées avec des bidons d’eau sur la tête, à faire la queue pour avoir de l’eau pour cuisiner ou même, quand on réussit, pour laver les enfants. Nous continuons de lutter pour obtenir ce qui est du devoir de l’État, la garantie d’un approvisionnement régulier en eau potable.

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Alors que la population souffre, le principal souci de Cláudio Castro (PSC), intérimaire à la tête du gouvernement de l’État, est de privatiser la Compagnie nationale des eaux et des égouts (CEDAE), afin de remédier à l’imbroglio budgétaire annoncé pour 2021, répondant ainsi à une demande du gouvernement fédéral qui veut mettre les membres de la fédération à genoux. Rio de Janeiro sera le laboratoire, peut-être le cobaye, de ceux qui ont déjà prouvé leur incompétence, comme l’immoralité de laisser l’Amapá dans un état de black-out un mois durant, entraînant l’effondrement de toute son économie.

Ce qui est choquant, c’est qu’ils retirent le droit d’accès à l’eau, bien le plus fondamental pour la survie de l’homme pour réparer en urgence l’un des moteurs de la station de pompage de Lameirão dont le débit est réduit de 25% de sa capacité totale. Le conseil d’administration de la société rapporte que le service devrait être normalisé dans 20 à 25 jours, c’est-à-dire que plus d’un million de personnes devront affronter, sans accès à l’eau, les fortes chaleurs de la fin novembre et du mois de décembre, sans parler de l’augmentation des taux de contamination par le coronavirus.

En début d’année, alors que la population était approvisionnée avec une eau au goût étrange et de couleur argileuse, la direction de la CEDAE a profité de la crise de la géosmine pour rendre public le fait qu’une des pompes de la station, en panne depuis plusieurs mois, n’avait pas été remplacée, et qu’une autre était endommagée. Ce faisant, la direction de la CEDAE laissait de nombreuses questions en suspens : n’y aurait-il aucun investissement dans la maintenance ? Comment les dirigeants de la CEDAE ont-ils permis qu’une station de pompage, qui dessert 25% de la population de l’État, reste avec une pompe en panne pendant des mois ? Est-ce vraiment de l’inefficacité ou serait-ce un boycott afin de livrer une entreprise publique générant des profits à l’initiative privée ?

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En raison de la crise d’approvisionnement et faisant suite à l’échec des courriers adressés demandant des mesures immédiates susceptibles de remédier provisoirement au problème, le 26 novembre, le Ministère public (MP) et le Bureau du défenseur public de Rio de Janeiro (DPRJ) ont rencontré le conseil d’administration de l’entreprise, dirigé par Edes Fernandes de Oliveira et récemment décoré, pour ordonner la création d’une cellule de crise. La DPRJ et le MP ont également exigé la présentation de délais pour l’achèvement des réparations et d’un calendrier pour le rétablissement du service dans chaque localité touchée.

En tout état de cause, même sans prévision de solution, ces mesures n’ont pu être mises en œuvre qu’en raison de l’ingérence des deux institutions du domaine public. Et telle situation ne peut s’expliquer que par le profil que l’entreprise publique a adopté suite à la demande de nos derniers dirigeants. Avec l’ouverture progressive de son capital, la CEDAE agit de plus en plus selon les modes d’une entreprise privée, minimisant ses dépenses et maximisant son profit. Depuis la grave crise financière qui a dévasté Rio de Janeiro à partir de 2016, la réputation de l’entreprise publique a entraîné une série de changements structurels, réduisant les incitations à l’expansion de ses services et recherchant une voie d’accumulation des bénéfices - ce qui a entraîné un processus de désinvestissement marginal dans les projets.

Depuis lors, l’entreprise a augmenté ses bénéfices de plus de 300 % et réduit sa dette de 80 %. À première vue, cette performance positive peut constituer un scénario favorable pour le marché, puisque la CEDAE génère un excédent pour le budget public. Cependant, on ne doit pas perdre de vue l’objectif premier guidant l’administration publique : le but d’une entreprise publique ne doit pas être de générer des profits. Lorsqu’une entreprise publique réalise des bénéfices, cela signifie qu’elle n’affecte pas ses ressources de la manière la plus efficace, maximisant l’accès à son service. Il est important de rappeler que la CEDAE ne fonctionne qu’à environ 26,8 % de sa capacité totale.

L’inquiétant dysfonctionnement de la station de pompage de Lameirão nous place devant une évidence : l’organe de gestion de la CEDAE ne doit épargner aucun effort - et encore moins aucune ressource financière - pour garantir un taux de profit élevé. Cet excédent doit revenir au secteur d’exploitation de l’entreprise et servir de réinvestissement afin de promouvoir les travaux d’infrastructure, en générant des emplois et des revenus aux endroits où ils sont les plus rares et, bien sûr, une plus grande offre de services à la population de Rio de Janeiro car l’eau et l’assainissement sont des droits et non des marchandises.

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Mônica Francisco est députée PSOL de l’Etat de Rio de Janeiro et présidente du Front parlementaire contre la privatisation et pour la défense de l’économie de Rio de Janeiro.

Voir en ligne : Le Monde Diplomatique : « ÁGUA : O lucro acima da vida »

Photo de couverture : © Anandan Anandan/Unsplash

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