Comment enseigner l’histoire afro-brésilienne à l’école ? Expériences d’enseignantes

 | Par Agencia Mural, Jessica Bernardo

L’enseignement de l’histoire et de la culture africaine et afro-brésilienne est obligatoire à l’école depuis 20 ans, mais cette loi a encore du mal à être appliquée à cause du manque de formation des enseignant·es et des choix pédagogiques peu adaptés. De telles thématiques sont pourtant essentielles pour aborder les questions ethniques et raciales.

Traduction pour Autres Brésils : Roger Guilloux
Relecture : Felipe Kaiser Fernandes

Les cours sur l’esclavage étaient une source de honte pour Andreia Tenório, 37 ans, lorsqu’elle étudiait à l’école municipale d’enseignement fondamentali (EMEF) General de Gaulle, à Jardim Ibirapuera, un quartier de Jardim São Luís, dans la zone sud de São Paulo. « Ce fut mon pire moment à l’école », se souvient l’ancienne élève.

À l’époque, l’histoire de la population noire au Brésil se résumait à l’horreur de la période esclavagiste. À l’école, on ne parlait pas de sujets tels que l’histoire et la culture afro-brésiliennes, et encore moins des grandes personnalités noires du pays, telles que Luiz Gamai et Carolina Maria de Jesus.

« Je devais justement étudier ce que le programme scolaire et la législation [actuelle] détestent, à savoir, l’apparition des Noirs depuis l’esclavage, en tant que personnes inférieures », explique Andreia.

Aujourd’hui, elle enseigne dans l’école où elle a fait ses études. L’éducatrice, qui est noire, est fière d’offrir à ses élèves une vision différente de celle qu’elle a vécu en classe.

Andreia Tenório est enseignante à l’EMEF Général de Gaulle, où elle a également étudié
@Léu Britto/Agência Mural

Aujourd’hui, les livres pour enfants présentés dans les classes ont des protagonistes noirs. Des thèmes tels que la beauté des cheveux crépus et la lutte contre le racisme font partie du quotidien de l’école.

« Il s’est produit quelque chose de très emblématique l’année dernière : les filles ont commencé à porter leurs cheveux en liberté et à la black power ou encore avec de petites tresses. Elles arrivaient alors avec des tresses et disaient “regardez, professeur, mes cheveux sont tressés comme les vôtres” », raconte Andreia.

Aux efforts de l’enseignante, il faut ajouter que le changement intervenu dans la classe est également le résultat d’une modification importante de la législation brésilienne. Il y a vingt ans, l’enseignement de l’histoire et de la culture africaines et afro-brésiliennes est devenu obligatoire dans les écoles grâce à la loi 10 639, approuvée par le président Luiz Inácio Lula da Silva (PT) au cours de son premier mandat.

L’enseignement de l’histoire et de la culture africaine et afro-brésilienne est obligatoire dans les écoles depuis 20 ans
@Léu Britto/Agência Mural

Agencia Mural s’est entretenu avec quatre enseignantes d’écoles publiques et un spécialiste de l’éducation pour essayer de cerner l’impact de la loi et les défis qu’il reste à relever dans les écoles pour lutter contre le racisme.

Pour Andreia, des progrès importants ont été réalisés au cours des 20 dernières années, mais les écoles doivent inclure l’agenda racial dans le projet politico-pédagogique de manière définitive, en planifiant des actions sur l’ensemble de l’année. « De nombreuses écoles concentrent encore les thématiques ethniques et raciales sur le dernier mois plutôt que de l’étaler sur l’ensemble de l’année scolaire », indique-t-elle.

Cibele Lima, 38 ans, éducatrice à l’EMEF Joaquim Bento Alves de Lima Neto, dans le district de Grajaú, zone sud de São Paulo, affirme que la législation a été un facteur déterminant pour changer la vision du racisme dans les écoles.

« [Nous avons commencé] à nous intéresser à la contribution des Africains et de leurs descendants à toutes les périodes de l’histoire du Brésil. Dans les arts, dans les sciences, dans la résistance, dans les forces armées, dans les institutions gouvernementales », explique-t-elle.

Néanmoins, selon Cibele, il est nécessaire d’investir davantage dans la formation continue des enseignants, car beaucoup d’entre eux, en raison de leur propre expérience scolaire, n’ont pas eu de contact avec ce thème au cours de leurs études.

Cette professeure, qui enseigne l’histoire aux élèves de niveau collège, mentionne qu’elle a changé l’approche de ses cours sur l’esclavage après avoir suivi une formation sur l’éducation ethno-raciale dans le cadre de sa maitrise.

« Il a fallu que j’entre en master, que je suive tout un cours sur l’éducation ethno-raciale — et j’avais déjà six ans d’expérience dans le réseau [municipal d’éducation] — pour comprendre que cette approche fondée sur ma propre expérience n’était peut-être pas la meilleure », nous dit Cibele.

« Aujourd’hui, par exemple, je travaille beaucoup sur des personnalités brésiliennes noires, des femmes noires écrivaines, des scientifiques  », ajoute-t-elle. Par ailleurs, elle défend l’idée que les avancées de ces thèmes dans la vie scolaire doivent s’accompagner d’une plus grande discussion sur le racisme structurel dans la société.

« Aussi longtemps que nous vivrons dans une société qui reproduit le racisme de manière aussi naturelle, qui n’en a pas conscience et ne réfléchit pas, ce sera également le cas à l’école, car l’école est un reflet de la société. » Cibele Lima, historienne

Caroline Vaz, 30 ans, résidente et professeure à Itapevi, ville de l’agglomération de São Paulo, affirme que des cas de manifestations de racisme entre les élèves continuent à se produire, même si ce sujet est abordé plus fréquemment en classe.

« Il arrive souvent qu’un élève se tourne vers un autre et lui dit “hé singe !” en guise d’un bonjour », nous dit cette enseignante de l’école publique Paulo de Abreu. Elle indique qu’elle a dû prendre des mesures face aux commentaires racistes des élèves et expliquer que ces infractions sont considérées comme des délits.

Dans ses activités au jour le jour, Carol affirme qu’elle essaie de travailler sur l’estime de soi des élèves noirs et de discuter de l’ethno-racisme en allant au-delà des programmes scolaires, en abordant l’apartheid et l’esclavage, par exemple.

Elle critique également l’importance accordée à l’histoire européenne dans les programmes scolaires.

« L’histoire de l’Afrique est aussi essentielle que [celle du continent européen] ». Caroline Vaz, enseignante

Rose Bernardo, qui enseigne la géographie au lycée Professor Clóvis de Silva Alves, à Itaquaquecetuba, dans l’agglomération de São Paulo, plaide également pour que les programmes scolaires accordent davantage de place aux autres continents.

« L’élève est parfois désorienté : il croit que l’Afrique est un pays, qu’il s’agit d’une seule et même chose. Le programme scolaire pourrait être un peu plus exhaustif et contribuer à rendre l’Afrique aussi familière à l’élève que l’est l’Europe », commente-t-elle.

« Si l’on interroge les élèves sur le pays qu’ils aimeraient visiter à l’étranger, ils ne mentionnent presque jamais un pays d’Afrique ou un pays proche du nôtre, en Amérique du Sud », explique Rose.

L’enseignante rappelle que le continent africain possède l’un des biomes les plus fascinants au monde, la savane, et qu’il est également un lieu important pour les discussions sur l’alimentation de la planète.

Les enseignants soulignent l’importance de la connaissance de la culture africaine
@Léu Britto/Agência Mural

Contrôle de l’application de la loi

L’une des principales réclamations des spécialistes de l’éducation et des membres du mouvement noir concernant les 20 ans de la loi est le manque de contrôle de l’application effective de cette mesure par les secrétariats à l’éducation des municipalités et des États.

Le thème est considéré comme important, même pour lutter contre les écarts dans l’apprentissage entre les élèves noirs et blancs. Une enquête réalisée en 2019, à partir des données du Système d’évaluation de l’enseignement de base (Saeb), a montré qu’il existe une différence significative de niveau de maitrise des connaissances entre élèves noirs et blancs.

Réalisée par l’Iede (Interdisciplinarité et Évidences dans le débat sur l’éducation) à la demande de la Fondation Lemann, cette étude a évalué des élèves de 5e et de 9e années dans les matières de la langue portugaise et des mathématiques.

Les résultats ont montré que les différences de maitrise des contenus d’apprentissage apparaissent même lorsque les élèves appartiennent au même groupe socio-économique.

En mathématiques, parmi les élèves de niveau socio-économique élevé, 34,4 % des Blancs ont un niveau d’apprentissage adéquat, alors que seulement 17,3 % des noirs ont le niveau d’apprentissage attendu. Parmi les élèves de faible niveau socio-économique, 15,8 % des Blancs ont le degré de maitrise attendu dans cette matière et seulement 8 % des Noirs.

Billy Malachias, consultant en éducation au CEERT (Centre d’étude des relations de travail et des inégalités), explique que la loi 10 639 est une conquête de l’activisme noir et qu’elle a fait évoluer la société dans les discussions sur le racisme au cours des dernières années, mais que son application n’a pas été homogène dans tout le pays.

C’est pourquoi, selon lui, il est nécessaire de contrôler ce qui a été fait dans les villes, en liant le transfert de fonds aux municipalités à des indicateurs de réduction des inégalités dans l’éducation.

« Le changement des indicateurs d’inégalité d’apprentissage entre les élèves noirs et blancs ne sera effectif que si les lignes directrices des programmes scolaires sont mises en œuvre ». Billy Malachias, consultant en éducation

« Sommes-nous en mesure de percevoir une amélioration de la qualité de l’éducation et une réduction de l’inégalité entre les groupes noirs et blancs ? Quand c’est le cas, cela indique que la municipalité agit correctement et qu’elle peut accéder à davantage de ressources financières », explique Billy.

L’enseignant explique que les écoles doivent investir dans une éducation préparant les élèves à une société diversifiée et que parler des questions ethniques et raciales est une éducation à la coexistence.

Billy suggère de porter un nouveau regard sur tout ce que l’Afrique peut nous apprendre. « Ce sont les Africains qui ont introduit les techniques minières et agricoles ici. Et cela n’apparaît pas, dans la dynamique du processus de la construction du Brésil ».

« L’école a beaucoup à apprendre de l’Afrique », conclut-il.

Voir en ligne : História afro-brasileira nas escolas : professoras comentam

Photo : Léu Britto/Agência Mural

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