Le 7 octobre, les 150 millions d’électeurs brésiliens choisiront leur nouveau président de la République, les gouverneurs des 27 États (le pays est une république fédérale), les 510 députés et 81 sénateurs du Parlement. Le Brésil, traversé par une crise profonde, connaît les élections présidentielles les plus tourmentées depuis la fin de la dictature militaire en 1985. Début septembre, personne ne pouvait prévoir qui serait qualifié pour le second tour. L’ancien président Lula était favori avec 39 % des intentions de votes, malgré sa condamnation controversée à douze ans de prison. Bien que soutenu par des mouvements sociaux et par tous les partis de gauche et de centre gauche, Lula n’a pu déposer sa candidature après la confirmation par le Tribunal supérieur électoral de son interdiction à se présenter.
Sa formation, le Parti des travailleurs (PT, gauche) a dévoilé au dernier moment, le 11 septembre, à peine un mois avant le scrutin, le candidat destiné à le remplacer : Fernando Haddad, professeur de sciences politiques, ancien maire de São Paulo et ancien ministre de l’Éducation de Lula. Mi-septembre, Haddad, encore peu connu, n’était crédité que de 5% des intentions de vote. Dix jours avant le scrutin, il est remonté à 22% dans les sondages. Preuve que la popularité de Lula continue de mobiliser, principalement dans les régions du Nord et Nord-est où vivent les populations parmi les plus déshéritées du pays.
Une vice-Présidente féministe et communiste
En tant que ministre, Fernando Haddad a été le maître d’œuvre de la démocratisation de l’accès aux universités, grâce à l’attribution massive de bourses aux étudiants. Ce début d’ouverture a permis aux enfants des classes moyennes inférieures et, dans une moindre mesure, à ceux des classes très pauvres, d’entamer des études supérieures auparavant largement réservées aux classes aisées. Son programme n’est pas très différent de celui présenté par Lula, avant sa condamnation. Il propose notamment une réforme fiscale et bancaire ainsi qu’un plan de renégociation de la dette individuelle.
Au Brésil, où les inégalités demeurent exacerbées, les riches ne payent que très peu d’impôts. Les taux d’intérêts bancaires y sont également très élevés, aggravant l’endettement des ménages : le taux d’intérêt moyen des crédits aux particuliers y avoisine les... 57,7 % l’an [1] ! Le candidat du PT a choisi comme vice-Présidente Manuela D’Avila. Militante féministe, l’ancienne députée communiste de 37 ans défend en particulier le droit à l’interruption volontaire de grossesse, sujet éminemment polémique dans un pays où les mouvements ultra-conservateurs et religieux sont très présents.
L’extrême-droite brésilienne conseillée par Steve Bannon
La première place dans les sondages est pour le moment occupée par le candidat d’extrême-droite Jair Bolsonaro, avec 28 % d’intentions de vote. Ancien militaire de réserve, il est depuis 27 ans député fédéral de l’État de Rio. Homophobe, sexiste et raciste notoire, il prône la dérégulation du port d’armes et la privatisation des entreprises publiques (lire son portrait sur Bastamag). L’un des leaders de l’alt right, l’extrême-droite états-unienne, Steve Bannon – ancien directeur de campagne de Donlad Trump – lui a proposé appui et conseils.
En troisième position arrive le candidat centriste Ciro Gomes (11%). À la fois critique des réformes néo-libérales accélérées depuis la destitution de la présidente Dilma Rousseff (PT), l’ancien ministre de l’intégration nationale de Lula prône une ré-industrialisation du pays ainsi qu’une politique agraire qui favoriserait l’agro-business aux dépens des droits des peuples autochtones.
Le candidat néolibéral appelle à un « vote utile » à droite
Gomes est talonné par Geraldo Alckmin, ancien gouverneur de l’État de São Paulo et candidat du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), d’inspiration néolibérale. Celui-ci souhaite notamment transformer plusieurs régions amazoniennes en « chantier de construction ». Malgré le soutien des médias traditionnels et d’une partie non négligeable du secteur financier, ce défenseur des politiques d’austérité néo-libérales du gouvernement actuel a du mal à convaincre les électeurs. Largement battu en 2006 au second tour face à Lula, il n’est cette fois pas sûr de se qualifier. Ce serait la première fois depuis plus de vingt ans que le PSDB risque d’être éliminé dès le premier tour. En cinquième place, on trouve la candidate écologiste-évangéliste Marina Silva (5 %). Ministre de l’écologie de Lula pendant cinq ans, elle a déjà été deux fois candidate à la présidence de la République, rassemblant à chaque fois environ 20 % des suffrages.
Pour le second tour, le scénario le plus probable est donc un affrontement entre gauche et extrême-droite, via le duel entre Franando Haddad et Jair Bolsonaro. Si ce dernier surfe sur la détestation qu’inspire le PT au sein d’une partie des élites brésiliennes et de la droite, il souffre néanmoins d’un très fort sentiment de rejet de la part de l’électorat populaire, dont les revenus sont inférieurs au salaire minimum, ainsi que de l’électorat jeune et féminin. Cette hostilité s’est notamment concrétisée sur Facebook, avec la création du groupe « Femmes unies contre Bolsonaro » (lire notre article) qui compte plus de 3 millions de membres. Elles organisent partout, y compris à Paris, des manifestations contre le candidat sexiste et homophobe [2].
Bolsonaro est – pour l’instant – donné perdant au second tour dans tous les cas de figure, sauf face la candidate Marina Silva. Les équipes de campagne du candidat néolibéral Geraldo Alckmin se sont ainsi emparées de l’argument d’un « vote utile » à droite, arguant que leur candidat serait le seul à pouvoir battre celui de la gauche au second tour. Il reste une semaine au candidat néolibéral pour convaincre classes aisées conservatrices et électorat de droite de le choisir lui plutôt que sa version raciste et machiste. Un vote utile non pas contre l’extrême-droite, donc, mais contre la gauche...