Victoire à gauche pour un mandat de la dernière chance

 | Par Florence Poznanski

Florence Posznanski est politogue et militante (Belo Horizonte)

Ce 26 octobre, la Présidente Dilma Rousseff a été réélue à la tête du Brésil, au terme de trois mois de campagne au suspens inégalé. Favorite au début et par deux fois donnée vaincue, elle offre au parti des travailleurs (PT) sa quatrième victoire consécutive avec le résultat le plus serré de l’histoire du parti, 51,64% des suffrages valides [1].

Liesse des partisans du PT après l’annonce des résultats des élections présidentielles 2014, à Brasilia. Photo : Ichiro Guerra

Retour sur une campagne épique

Dilma Rousseff partant début juillet avec 18% d’avance sur son concurrent de droite Aécio Neves (PSDB : Parti Social-Démocrate Brésilien), le tragique accident d’avion du candidat du Parti Socialiste Brésilien (PSB, centre) Eduardo Campos bouscule le cours de la campagne. Véhiculant la promesse d’une nouvelle politique, Marina Silva, l’écologiste-évangélique-ex-pétiste qui le remplace, fait décoller les scores du PSB et, fin août, talonne Rousseff d’un point dans les sondages, menaçant de la dépasser. Mais l’ascension de Silva est brève et à partir de septembre les intentions de vote en sa faveur baissent en continu jusqu’au premier tour du 5 octobre. Elle laisse finalement la deuxième place à Neves qui perce dans les sondages la veille du scrutin.

Bien qu’en tête du premier tour avec 41,59% contre 33,55% pour Aécio Neves, Dilma Rousseff sort affaiblie du scrutin par le jeu des alliances. Marina Silva et la plupart des autres candidats vaincus au premier tour se rangent derrière Neves dans un bloc « anti-PT ». Même le parti d’extrême gauche PSOL (Parti SOcialisme et Liberté, extrême gauche) arrivé quatrième avec 1,55% des voix, ne donne aucune consigne de vote.

S’en suivent trois semaines d’entre-deux tours particulièrement tendues, où les deux candidats vont s’affronter autour d’un même leitmotiv : celui du changement au travers de stratégies d’accusations réciproques. Aécio Neves, d’un côté, cherche à surfer sur la vague des scandales de corruption et de la récession économique qui ont affaibli le gouvernement PT pour s’attribuer la légitimité de la bonne gestion. Bien que lui-même impliqué dans de nombreux scandales de corruption étouffés par les connivences de la presse, il se dore d’une image éthique du petit fils prodige du défunt et admiré Président Tancredo Neves, et d’héritier politique du père du « plan real », Fernando Henrique Cardoso. L’agressivité de son propos va jusqu’à décrire un PT qui aurait assis sa victoire sur la dépendance des pauvres et des ignorants, et qui se serait injustement approprié des retombées positives de programmes sociaux qu’auraient créés, avant lui, ses prédécesseurs de droite.

Confrontée à ces violentes accusations, Dilma Rousseff, pour qui le succès des programmes sociaux lulistes est le principal atout, et qui centre son programme sur l’extension de ces succès par des réformes encore plus ambitieuses, se voit obligée de lui rendre la pareille en s’efforçant de déconstruire les arguments de son adversaire. Aux critiques sur la récession économique et l’inflation, elle répond en rappelant l’actuel taux de chômage, le plus faible de l’histoire. Aux velléités de Neves de s’approprier la paternité des programmes sociaux lancés par Lula, elle s’emploie à rappeler qu’à l’époque où il gouvernait l’Etat du Minas Gerais, il sous-rémunérait les professeurs du secteur public et a été accusé de dévier quelques milliards d’euros destinés à l’éducation et à la santé. Divergeant des sujets de campagne, elle aborde aussi ses penchants pour l’alcool et la drogue.

Pendant plus de deux semaines, les deux candidats sont pratiquement ex æquo dans les sondages avec une courte avance de 2 points pour Neves et aussi plus de 10% d’indécis. Les spots télévisés de propagande électorale s’attachent souvent à dénigrer l’image de l’adversaire plutôt qu’à présenter des propositions et le tribunal supérieur de justice exige l’arrêt de la diffusion de certains d’entre eux. Lors de la dernière semaine de campagne, alors que Dilma Rousseff se voit à son tour créditée de quelques points d’avance, les deux candidats s’engagent à moins de critiques mutuelles et à plus d’échanges sur les propositions de programme. Malgré cela, le dernier débat télévisé du 24 octobre reste tendu, à cause d’un nouveau scandale lancé par la revue de droite Veja, affirmant que la Présidente connaissait l’existence des faits de corruption dévoilés il y a quelques mois au sein de l’entreprise publique pétrolière Petrobras. Mais le scandale n’aura aucun effet sur le résultat du scrutin.

Une courte victoire chargée de grandes expectatives

Contrairement à son prédécesseur Lula qui en 2002 remportait pour la première fois les élections avec 61% des voix, Dilma Rousseff, élue en 2010 avec 56% des voix, se contente cette fois d’une très courte majorité d’un peu plus de 3 millions de suffrages. Un résultat socialement marqué par la fidélité des classes populaires et l’évolution des exigences de la nouvelle classe moyenne, endettée mais petite possédante qui, moins touchée par les programmes sociaux du gouvernement, tend en partie à suivre le discours conservateur de l’élite.

Découpage par état du résultat des élections présidentielles 2014 au Brésil

Géographiquement, le découpage reste similaire à celui de 2010. D’un côté le Nord, le Nord-est et plus faiblement le Minas Gerais, et au Sud-est, l’état de Rio de Janeiro acquis au PT ; et de l’autre, le Sud et les terres de l’agrobusiness à l’Ouest, derrière le PSDB. Les variations se retrouvent dans le District Fédéral qui passe à droite, et dans les Etats du Sud et Sud-est comme le Paraná, l’état de São Paulo et Santa Catarina qui accentuent leur vote à droite, atteignant un record de 64% en faveur de Neves à São Paulo, pourtant touché par un grave rationnement d’eau dû à une mauvaise gestion des ressources par le gouverneur PSDB, réélu. A l’inverse, l’Etat du Pernambouc, anciennement gouverné par le défunt Eduardo Campos, qui au premier tour avait placé Marina Silva en première position avec 48%, maintient sa préférence pour Dilma Rousseff au second tour avec un vote à 70%.

Le résultat des élections des gouverneurs n’a fait qu’altérer la répartition des états alliés mais pas leur nombre. La base alliée des gouverneurs dont les partis étaient liés à la coalition de campagne, ou qui ont déclaré leur soutien à la Présidente, reste au nombre de 15 états, le même nombre depuis 2002. Le PT perd l’état du Rio Grande do Sul et le District Fédéral mais gagne le Minas Gerais et le Ceara et se maintient avec 5 gouverneurs. Le parti communiste du Brésil (PCdoB, gauche) remporte l’état du Maranhão, bastion de la famille colonialiste des Sarney depuis la fin de la dictature. Le PSDB quant à lui passe de 8 gouverneurs à 5, au profit du Parti du Mouvement Démocratique Brésilien (PMDB, centre/centre gauche) qui passe de 5 à 7 gouverneurs.

La courte majorité de Rousseff aux présidentielles se retrouve dans la composition des deux chambres du Congrès, renouvelées aux législatives du 5 octobre. A la chambre des députés, le PT perd à lui seul 18 députés et la base alliée de l’actuel gouvernement, composée de 13 partis (PT, PMDB, PP, PROS, PSD, PR, PT do B, PRP, PDT, PTB, PC DO B, PRB, PMN) passe de 365 à 336 députés. Un nombre suffisant pour garantir la majorité mais moins confortable pour aborder des projets de lois sensibles comme la réduction de la majorité pénale de 18 à 16 ans voulue par la droite, la légalisation de l’avortement ou la suppression du financement de campagnes électorales par les entreprises privées revendiqué par la gauche. Le nombre de députés millionnaires passe ainsi de 194 à 248 et le nombre de policiers, de militaires, de représentants des secteurs religieux et de l’agrobusiness a augmenté, selon le Département Intersyndical d’Action Parlementaire (DIAP), pour qui le nouveau Congrès sera le plus conservateur depuis le coup d’état militaire de 1964. A l’inverse , le nombre de représentants du monde syndical passe de 83 à 46 députés, toujours selon le DIAP et les femmes, les noirs, les jeunes et les indigènes restent toujours sous-représentés.

Une situation délicate pour le nouveau gouvernement de Dilma Rousseff qui a basé toute sa campagne sur des promesses de réformes plus audacieuses. Parmi les plus importantes, la réforme des institutions politiques au travers de l’élection d’une assemblée Constituante. Proposée par la Présidente lors des manifestations de juin 2013, le projet a été rejeté par l’actuel Congrès et certains ministres jugeant l’entreprise trop risquée. Dès lors, plus de 480 mouvements sociaux, syndicaux, religieux et culturels se sont saisis du thème pour en faire l’objet d’une campagne nationale revendiquant, entre autre, la démocratisation du système électoral, le renforcement des instances de participation, l’abolition les oligopoles médiatiques et une Justice plus transparente. Celle-ci s’est terminée début septembre par un referendum populaire, sans portée légale, organisé par ces mouvements sociaux qui a rassemblé près de 8 millions de vote, dont 97% en faveur de la convocation de la Constituante. A plusieurs reprises dans sa campagne, la Présidente a évoqué l’importance de cette réforme et le rôle crucial joué par la société civile dans le rapport de force vis-à-vis du Congrès, instance légalement responsable pour l’organisation d’un référendum officiel sur le sujet.

D’autres mesures sont attendues, comme le combat contre l’impunité et la corruption, la réforme du système fiscal qui pèse trop sur les ménages modestes et pas assez sur les plus riches, mais aussi l’amélioration du système de santé et la relance de l’économie. Un chantier colossal pour une Présidente qui se dit renforcée et déterminée dans un contexte politique qui, mis à part l’appui des mouvements sociaux envers qui elle s’est engagée à poursuivre le dialogue, n’a pourtant jamais été aussi défavorable. Reste à voir comment la courte majorité de l’électorat qui l’a reconduite entend accompagner son mandat. Compte tenu de la résistance du Congrès, le poids de la rue sera plus que jamais déterminant.

Note :
[1] Un clin d’œil, il s’agit exactement du même score de François Hollande en 2012 !

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