Tout part en vrille : l’éducation n’est plus la solution et seule reste la résistance

 | Par Denise Silva Macedo

Par Denise Silva Macedo

Source : Carta Capital – 08/07/2017 – Texte original :
https://www.cartacapital.com.br/blogs/blog-do-socio/deu-tudo-errado-a-educacao-nao-e-mais-a-saida-e-o-que-sobra-e-a-resistencia

Traduction : Jean Saint-Dizier pour Autres Brésils
Relecture : Etienne Tromeur / Adèle Goliot

Des cerveaux ou des fesses. Sans argent pas d’études. Si tout part en vrille. Les dernières perles des marchands et des consommateurs de l’éducation aliénante au Brésil. Un professeur de l’Unicamp [1], un député, quelques élèves du secondaire. Qui sont donc ces acteurs d’une scène pédagogique, au sens large, très inquiétante ? Juste quelques-uns parmi ceux, nombreux, qui attaquent le système de quotas dans les universités publiques, qui soutiennent que cette même université est destinée à ceux qui peuvent la payer et qui croient dur comme fer au succès matériel et au boniment de la méritocratie.

Des institutions, telles que des écoles et des universités, publiques ou privées, n’existent pas dans le vide au milieu de rien, mais dans des contextes sociaux souvent graves et confus, qu’elles reproduisent dangereusement. J’étudie depuis sept ans les impacts de ces contextes sur ces institutions qui, en principe, devraient être le refuge et le bastion de l’éthique, de l’esthétique, du savoir, de la connaissance désintéressée – comme le soutenait Nietzsche –, des discussions productives, de la décolonisation du savoir, de la culture d’une vision et d’un cheminement collectif et, dans le cas brésilien, de l’identité de l’Amérique Latine. En principe...

En cette époque contemporaine s’ouvrent des écoles de princesses, des pédagogues sont embauchés comme nounous, l’enseignement supérieur s’élabore comme un enseignement secondaire un peu amélioré, des directeurs d’écoles soutiennent l’école sans parti [2] , le gouvernement post-impeachment gèle les investissements dans l’éducation pour les 20 prochaines années, les parents sous-traitent l’éducation de leurs enfants aux écoles qui proposent déjà des coachs et des plateformes éducatives standardisées qui remplacent les professeurs et leurs vains discours.

En ces temps d’ultra-néo-libéralisme, les parents sont devenus des clients, les élèves sont préparés au bac depuis l’école primaire, les professeurs sont devenus des produits et ont rapidement courbé l’échine, la plupart du temps sans même percevoir leur propre dévalorisation. Les syndicats se sont vertigineusement fragilisés, sous les coups de boutoir de politiques défavorables en matière de droit du travail, ainsi que dans une inaction qui augmente les difficultés des professeurs à résister au massacre. Le sens critique agonise ; la conscience collective devient utopie ; le questionnement a fait place au sympathique consentement muet, vide et lâche.

L’enseignant est aujourd’hui un professionnel anéanti, d’un point de vue économique, politique et idéologique. Beaucoup tentent de résister, mais, comme cela se passe depuis des temps immémoriaux, ce qu’ils défendent n’est même pas entendu. Milton Santos [3] avait déjà dit en son temps que l’intellectuel était l’acteur social le plus opprimé au Brésil, et Darcy Ribeiro [4] avait déjà révélé que la crise de l’éducation que traversait le Brésil n’était pas une crise, mais un projet idéologique.

Les pièces du jeu éducatif s’emboîtent, en pratique et en théorie. Comment en sommes-nous arrivés là ? De plusieurs manières. L’une d’entre elles est le manque de questionnement. Comme l’a dit Cornelius Castoriardis, le problème de la nature contemporaine de notre civilisation moderne est qu’elle a cessé de se remettre en question. Ne pas se poser certaines questions est extrêmement dangereux, mais le système se structure de manière à décourager et bâillonner toute remise en question. Ainsi est mis en place le jeu de tensions entre les silencieux et les poseurs de questions. Tous paient un prix, celui de perdre leur dignité ou celui de provoquer la curiosité, ce qui devrait être souhaitable dans le processus éducatif, mais ne l’est en fait pas du tout. Ça ne l’est pas, parce que ce projet idéologique dont parle Darcy Ribeiro a assuré l’éclosion de générations et de générations de professeurs et de docteurs, acritiques, formatés par des cursus supérieurs, publics ou privés, orientés vers la technique et le marché.

De l’autre côté de ce monde, comme une perversité, les médias officiels contribuent considérablement à ce processus de décadence éthique, intellectuelle et critique. Ils profitent et provoquent, dialectiquement, l’abrutissement du plus grand nombre tel que l’a définit Luciano Pires [5], détournant l’attention des questions vraiment importantes : ils anesthésient des millions de téléspectateurs, chaque jour, par l’exposition à la violence ; transforment certaines des personnes les plus stupides en célébrités ; dictent les directions politiques ; retirent du débat ce qui ne leur convient pas et décident du sujet de conversation du jour, au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner.

La méconnaissance historique et sociale de ce que les quotas et autres dispositifs ont déjà apporté aux étudiants et à leurs familles, le manque d’éthique ancestral de la politique brésilienne et la pensée élitiste et fallacieuse de la méritocratie de la classe moyenne rôdent autour du quotidien éducationnel au Brésil. Ils renvoient à Paulo Freire : “Lorsque l’éducation n’est pas libératrice, le rêve de l’opprimé est d’être l’oppresseur.” Ils pénètrent les engrenages sociaux, atteignant les universités, où l’on trouve déjà des étudiants de troisième cycle, en master et en doctorat, qui veulent devenir des princes et des princesses, dans ce qui ressemble à un processus de disneylandisation sans retour.

Darcy Ribeiro disait qu’il avait tenté de mettre au point une université sérieuse et qu’il n’y était pas parvenu. Oui. Aujourd’hui personne ne pourrait le consoler. Dans de nombreuses écoles et universités, publiques ou privées, beaucoup de choses ont mal tourné. Le mode d’entrée et de sortie du secondaire de nombreux adolescents explique une partie de ce naufrage. Tout indique que, minée sans répit par l’état lui-même, l’éducation n’est plus la lumière au bout du tunnel. De façon dialectique, elle ne fait que renforcer et amplifier la violence et l’exclusion sociale. Il ne nous reste que le souvenir des mots de Darcy Ribeiro complétant sa propre pensée : “Je détesterais être à la place de ceux qui m’ont vaincu”, et la conscience claire de toujours savoir de quel côté nous nous trouvons.

Voir en ligne : Carta Capital

[1Université de l’État de Sao Paulo qui comporte trois campus : l’un à Campinas, le deuxième à Piracicaba et le dernier à Limeira.

[2Le programme « école sans parti » est un mouvement réactionnaire dont les idées agitent l’opinion publique brésilien. En ligne de mire : l’éducation critique au brésil.

[3Géographe, mort en 2001.

[4Anthropologue et intellectuel brésilien mort en 1997. Auteur entre autres de « O Povo Brasileiro – A formação e o sentido do Brasil ».

[5Auteur et dessinateur brésilien qui écrit sur le sujet. Voir http://www.portalcafebrasil.com.br/author/lucianopires/

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