Au cours des trois décennies qui se sont écoulées entre le mouvement de machette et l’entretien dans l’arrière-cour de sa maison de Pau Darco, dans le sud de l’Etat du Pará, Tuíre a joué un rôle de leader au sein de son peuple, en menant plusieurs marches et manifestations à Brasília. Elle se remet actuellement d’un traitement contre le cancer.
Elle a été une pionnière dans le rôle des femmes dans la lutte des peuples autochtones, ce qui, des décennies plus tard, a conduit à l’élection de députés autochtones telles que Célia Xakriabá et l’actuelle présidente de la FUNAI, Joenia Wapichana, ainsi que de la ministre des peuples autochtones, Sônia Guajajara. "Dans le passé, j’étais seule, mais aujourd’hui, j’ai ces femmes guerrières à mes côtés", dit-elle.
Tuíre prend la machette avec laquelle elle a défié l’État et commence à chanter. À la fin, elle la retourne pour montrer la lame tranchante, et dit :
"J’étais silencieuse parce que j’étais malade et que je me soignais, mais maintenant cette machette représente à nouveau ma voix. C’est mon combat, c’est mon histoire. Je ne vais pas me taire”.
La chanson qui précède l’annonce est un chant kayapó qui affirme que l’ennemi peut venir, mais qu’il n’obtiendra rien.
Au cours de l’entretien, qui s’est déroulé en kayapó et a été traduit simultanément par le mari de Tuire, Kôkôto Kayapó, le chef cacique Dudu, Tuíre a condamné les invasions du territoire [2] de son peuple par les chercheurs d’or et a qualifié de lâches les hommes politiques qui ont approuvé le Seuil Temporel [3] au Congrès.
Elle a également déploré la construction de Belo Monte et s’est montrée très émue lorsqu’elle a évoqué les leçons qu’elle avait apprises de ses grands-parents, ainsi que son désir de léguer son héritage de lutte à sa petite-fille, âgée de cinq ans, qui porte le même nom qu’elle.
"Elle me représentera quand elle sera grande. Elle est la nouvelle Tuíre qui émerge, qui grandira et défendra le peuple de la même manière que je le fais", dit-elle.
Vous trouverez ci-dessous les principaux extraits de l’entretien. Le texte final a été traduit avec l’aide de la petite-nièce de Tuíre, Emi Kayapó.

Préparez-vous votre petite-fille à devenir votre successeure ?
Nous, les Kayapó, avons une coutume différente. Lorsque nous avons un enfant ou un petit-enfant, nous nous occupons de lui depuis sa naissance jusqu’à ce qu’il grandisse. Nous dormons avec eux, nous les tenons dans nos bras et nous vivons avec eux au quotidien. Vous (les Blancs) avez une coutume différente : vous laissez vos enfants grandir aux soins d’autres personnes. Vous ne suivez pas leur croissance et leur développement. Nous ne les quittons pour rien au monde. Ils sont toujours avec nous dans tout ce que nous faisons. Nous nous occupons de nos petits-enfants, nous dormons avec eux et les prenons dans nos bras. Pendant ces moments, nous commençons à leur raconter des histoires et à leur transmettre des enseignements depuis qu’ils sont bébés.
Votre grand-mère vous a-t-elle appris à être une guerrière ?
Lorsque ma grand-mère me parlait, elle me transmettait des enseignements. Elle me disait que je grandissais et que mon grand-père était un homme qui se battait pour défendre nos droits. J’ai tout appris de mes grands-parents. Ils m’ont tout enseigné. Tout ce qu’ils disaient, je l’apprenais. Mes grands-parents m’ont appris à ne laisser aucun Blanc entrer dans la réserve autochtone et y prendre place. Ils nous ont dit, à nous Autochtones, de prendre soin de ce qui nous appartenait et de notre forêt afin qu’elle ne soit pas défrichée.
Mon grand-père voyageait beaucoup et a fini par se mêler avec des Blancs. Il a été tué par les Blancs qu’il avait rencontrés. Ils l’ont tué, ainsi que les gens avec qui il se trouvait. Vous pouvez l’écrire ! Ils ont tué mon grand-père cruellement, froidement et sans pitié. Alors je vous demande : qu’a-t-on fait ? Rien. Il n’y a pas eu de justice. C’est pourquoi aujourd’hui je défends et je continuerai à défendre : je n’accepte pas de Blancs dans la Réserve Auchtone ! Je n’accepte pas de Blancs sur les terres autochtones !
Ces invasions vous indignent-elles ?
Je continuerai à dire que je suis contre tout ce que font les Blancs. Ma grand-mère m’a toujours enseigné, m’a toujours parlé et expliqué les choses. C’est pourquoi je ne vous céderai jamais notre forêt et notre terre. Vous pouvez parler, vous pouvez vous battre, mais nous continuerons à les défendre et nous ne vous donnerons rien, parce que tout ici nous appartient. Même si je ne connais pas votre langue. Même si je ne sais pas écrire avec un stylo, je continuerai à les défendre avec ma langue maternelle. Ce qu’ils ont fait à mon grand-père et aux personnes qui étaient avec lui est une injustice. Tant que je serai en vie, je continuerai à me battre, et voici ma petite-fille, qui est venue me donner de la force. Je continuerai à me battre pour elle et pour les autres à venir.
Comment va votre santé ?
J’étais malade et faible, mais je me rétablis bien et je prends soin de ma santé. Bientôt, je ferai mes peintures, couper mes cheveux et mettre du roucou [4] sur mon visage. Parce que je suis Kaiapó et que je représente ma culture et mon peuple. Je me tiens maintenant sans aucune peinture sur mon corps, presque comme vous (les Blancs). Ce n’est pas ce que je veux être. Je suis heureuse quand je suis peinte, quand je porte mes ornements. Je suis heureuse quand je montre ma vraie culture.
Que pensez-vous des orpailleurs qui envahissent les terres du peuple Kayapó ?
A aucun moment les Autochtones n’ont demandé aux orpailleurs d’entrer sur leurs terres pour chercher de l’or. C’est l’orpailleur lui-même qui s’est proposé, est venu en intrus et qui a commencé à chercher de l’or. Et je ne l’accepte pas. Je suis contre l’orpaillage. L’exploitation minière est quelque chose que nous n’acceptons pas, nous défendons notre forêt parce qu’il s’agit de notre survie. Je suis contre l’orpaillage. Je suis contre la déforestation. Je suis contre tout ce qu’ils veulent faire pour nuire à notre terre autochtone.
Que pensez-vous du Seuil Temporel approuvé par le Congrès , quel est votre avis ?
Je suis contre le Seuil Temporel. Ces gens qui prétendent tout savoir, qui se proclament propriétaires de tout, qui se considèrent propriétaires de toutes les choses - ces sénateurs, ces ministres - qui ne cessent de dire qu’ils sont grands, qu’ils ont droit à tout, pourquoi n’ont-ils pas le courage de venir jusqu’à nous, Autochtones, et de discuter face à face pour entendre ce que nous avons à dire ? Pourquoi parlent-ils et font-ils les choses dans notre dos ?
Ils essaient de faire passer de nombreuses lois sans notre autorisation, sans notre accord. Ces gens disent qu’ils ont le pouvoir de parler, mais ce ne sont que des lâches. Nous sommes tout le temps au Congrès et ils ne nous reçoivent jamais. Ils fuient en permanence. Nous, les Autochtones, nous n’avons pas peur de dire la vérité. Nous ne nous cachons pas, nous ne racontons pas d’histoires. Nous n’avons pas deux visages. Nous avons du caractère et ce que nous disons est la vérité. Regardez-moi bien, regardez-moi attentivement. Vous pensez que j’ai peur de vous ? Vous pensez que j’ai peur de vos menaces ? Je n’ai pas peur. Je n’ai pas peur de dire la vérité.

Que représente cette machette dans votre main ?
Mon corps représente la machette, et la machette représente mon corps, parce qu’ils sont une seule et même force. Une force et une lutte. Une seule histoire. Je suis une femme, mais j’ai la même détermination qu’un homme dans les moments de colère. J’ai les mêmes droits qu’un homme. Je n’ai peur d’aucun homme. Je n’ai peur de personne, car je possède la même force que vous prétendez avoir.
Vous avez utilisé votre machette pour empêcher la construction de Belo Monte, mais des années plus tard, le barrage a été construit sur le fleuve Xingu. Que pensez-vous de ce barrage ?
J’ai toujours été contre, mais certains de mes concitoyens l’ont accepté sans me consulter. Aujourd’hui, je n’ai rien. Je refuse tout argent de qui que ce soit. Je ne possède pas d’argent. Comment cela se fait-il ? Parce que je n’accepte pas cette lâcheté, ce mensonge que vous nous offrez. Vous mentez dans tout ce que vous dites. Beaucoup de gens ont essayé de me corrompre, mais ils n’y parviendront pas, parce que je ne l’accepte pas. Je suis fille du fleuve Xingu. Ce qu’ils ont fait était lâche, mais aujourd’hui, avec mes connaissances, je ne laisse plus rien arriver. Je me bats, je parle et je me défends. Je n’oublie pas facilement tout ce qui s’est passé, car je me suis beaucoup battue et je continuerai à me battre.

Comment voyez-vous la participation des femmes autochtones dans la vie politique ?
Nous avons la ministre Sônia Guajajara, la présidente de la FUNAI, Joenia Wapichana, et la députée Célia Xakriabá.
Je me suis beaucoup battue depuis mon adolescence et aujourd’hui j’ai atteint un âge où je veux transmettre et apprendre aux jeunes femmes afin que nous ayons une force unique pour défendre nos droits. Les femmes occupent de plus en plus d’espaces et j’en suis heureuse, car je veux qu’elles aient des connaissances et une voix. Aujourd’hui, il y a des femmes qui sont chefs caciques, leaders, qui occupent des postes et qui étudient et acquièrent des connaissances. Dans le passé, elles ne connaissaient que mon histoire, mais aujourd’hui, il y a un groupe de femmes qui suivent le même chemin que moi, qui luttent, qui cherchent à faire valoir leurs droits, qui s’expriment et se battent. Dans le passé, j’étais seule, mais aujourd’hui j’ai ma famille avec moi et ces femmes guerrières.
*Daniel Camargos est membre du réseau Rainforest Investigations Network du Centre Pulitzer, en partenariat avec Repórter Brasil.