Il y a quinze ans, en pleine célébration de la fête des mères, les périphéries de São Paulo allaient devenir le théâtre d’une vague de terreur et de violence sans précédent. Entre le 12 et le 21 mai 2006, plus de 500 personnes, pour la plupart jeunes et noires, y ont été exécutées, lors de l’épisode désormais connu sous le nom de « crimes de mai ». La plupart des victimes ont été exécutées à bout portant par des groupes d’extermination - des hommes cagoulés, lourdement armés, à bord de véhicules sans plaque d’immatriculation.
La négligence, l’échec et l’incurie des enquêtes menées par les polices civile et militaire, ainsi que l’omission du ministère public de São Paulo, organe chargé du contrôle des forces de sécurité publique de l’État, ont conduit au classement et à l’impunité de la quasi-totalité de ces crimes.
Les membres des familles des victimes, qui vivent depuis plus de quinze ans avec l’absence de leurs proches assassinés, luttent pour obtenir des réponses sur les circonstances de leurs décès et pour la réouverture des enquêtes.
Négligence et omissions
Parmi les centaines de meurtres commis au cours de cette période, seuls deux policiers militaires ont été condamnés, dont l’un s’est volontairement livré à la justice.
Plusieurs rapports établis au fil des ans indiquent que les procédures de base n’ont pas été respectées au cours des enquêtes, comme l’audition des témoins oculaires cités dans les faits et établissant un lien entre les meurtres. En effet, seuls 13 % (4 sur 31) des crimes impliquant des civils et pour lesquels des escadrons de la mort étaient soupçonnés ont fait l’objet d’une enquête en bonne et due forme [1].
En outre, selon les rapports, dans différents cas, les policiers militaires n’ont pas préservé les scènes de crime, facteur primordial pour permettre une enquête adéquate. Plusieurs témoins ont également rapporté qu’avant l’arrivée des experts, les douilles de balles tirées, restées sur le sol dans les rues avaient été ramassées par les policiers militaires eux-mêmes, afin de faire disparaître des preuves.
Le diagnostic de la Commission spéciale sur la crise de la sécurité publique de l’État de São Paulo, créée pour enquêter sur les crimes, a montré que la plupart des coups de feu avaient été tirés à courte distance, majoritairement du haut vers le bas et dans des régions vitales du corps - comme la tête et le tronc.
Ces caractéristiques, confirmées par l’examen de 124 rapports, présentent des preuves solides d’exécution. En effet, selon le rapport de la Commission, en cas de situations de confrontation, il y aurait eu une plus grande dispersion des orifices d’entrée des tirs, les membres supérieurs et inférieurs des victimes étant également touchés.
La majorité des cas ont, cependant, été enregistrés comme « résistance suivie de mort », la nomenclature utilisée par les agents publics pour décrire la mort des suspects qui ont affronté la police.
Les familles et des études indépendantes montrent qu’il y a eu une tentative systématique de criminalisation des personnes innocentes pendant ces dix jours.
Les Mères de Mai : vérité, mémoire et justice
Au lendemain des crimes de mai 2006 le pays a vu l’émergence du mouvement des Mères de Mai, composé de mères, de proches et de victimes de la violence d’État.
L’initiative de former un mouvement de victimes de la violence est venue initialement de trois mères dont les enfants ont été assassinés pendant cette période : Débora Maria da Silva (mère d’Edson Rogério Silva dos Santos), Vera de Freitas (mère de Mateus Andrade de Freitas) et Ednalva Santos (mère de Marcos Rebelo Filho).
Leur but ? Lutter pour la vérité, pour la mémoire et pour la justice pour toutes les victimes de la violence !
Au départ, l’un des principaux objectifs du mouvement était de rechercher la vérité sur les événements de mai 2006, en dénonçant la version officielle du massacre, qualifiée « d’attaques du pcc [2] ». Depuis sa naissance, le mouvement a ainsi montré que l’État était d’une part le principal agent derrière le massacre et d’autre part le grand responsable pour le meurtre de centaines de victimes innocentes.
Au fil des ans, les Mères de Mai n’ont pas ménagé leurs efforts pour dénoncer la continuité de la violence comme l’un des héritages de la dictature militaire qui a sévi dans le pays entre 1964 et 1985.
La culture de l’impunité est ainsi l’un des héritages les plus tragiques de la dictature militaire. De la même manière que les crimes de la dictature restent impunis aujourd’hui encore, les crimes de mai restent également impunis. D’autant plus que jusqu’à présent, aucune reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État pour ces centaines de meurtres n’a vu le jour.
Depuis sa création, les Mères de Mai se battent pour que justice soit rendue et pour que la mémoire de leurs enfants ne soit pas perdue. De par leurs luttes, les Mères ont transformé le deuil individuel en une lutte collective. Ces femmes se sont rassemblées, ont marché côte à côte et ont également offert leur aide et leur solidarité à d’autres familles de victimes de la violence d’État.
Aujourd’hui, des collectifs des Mères se sont répandus dans tout le pays, dans plusieurs villes du Nord au Sud. Ces collectifs se sont ainsi réunis en 2016 pour créer le Réseau national des mères et des membres des familles des victimes du terrorisme d’État. Depuis lors, des rencontres nationales ont été organisées pour soutenir les membres des familles et demander justice dans des États tels que São Paulo, Rio de Janeiro, Bahia, Goiás et Céara.
Lors de ces réunions nationales, les mères et les membres des familles partagent leur lutte pour la justice, discutent du racisme institutionnel et des défis rencontrés au cours des enquêtes et des procédures. Dans cette lutte, la justice apparaît alors comme un désir qui déborde sur la vie même de leurs enfants assassinés par l’État.
En chemin, les mouvements et les collectifs de mères et de membres de la famille nous montrent ainsi une nouvelle façon de « faire de la politique ». Une façon qui implique la reconnaissance des différences, le besoin d’écoute, les liens de solidarité et la quête pour une démocratie qui ne tuerait plus ses fils et ses filles parce qu’ils, parce qu’elles sont Noir.es.