En faisant une recherche sur Facebook sur les groupes concernant les personnes noires et l’emploi, je tombe sur un groupe qui attire mon attention : Indique uma Preta [1] . En cliquant, je m’attendais à trouver des demandes inquiètes pour trouver du travail et une liste d’offres d’emploi. Mais, à ma grande surprise, il y avait plus que ça.
Dans un post, Beatriz Pagéu, une jeune fille de 19 ans de Salvador, raconte son histoire : « Je commence à travailler lundi. Je suis contente mais en même temps, je suis détruite ». Elle explique qu’elle vit une relation abusive qui lui provoque des crises d’anxiété. Elle voudrait quitter la maison où elle vit avec son petit ami mais elle n’a pas les moyens de payer seule un loyer et ne connait personne pour partager les frais. A la fin du post, elle demande si l’une d’entre nous pourrait l’aider.
Son message parvient à 7 000 femmes du groupe. Nous sommes toutes noires et, d’après la PNAD 2019 (Pesquisa Nacional por Amostra de Domicílios [2] ), nous représentons 28% de la population brésilienne. En bas du post, on trouve des dizaines de réponses : « Courage, ma belle », « écoute, ma jolie, cherche dans les groupes d’étudiants. Je ne suis pas de Salvador mais j’ai fait ça ici à Rio », « Tia Cida, est-ce que vous pouvez l’aider ? ». Beatriz ne trouve personne pour partager un appartement, mais elle trouve du soutien. Après une journée dans le groupe, on peut voir que l’ambiance va au-delà d’une simple recherche d’emploi. C’est un espace d’écoute bienveillante, un lieu où nos douleurs sont comprises.
Le marché du travail est un environnement hostile : on nous apprécie tant que nous prenons soin de ses foyers et que nous élevons ses enfants, mais on veut nous éloigner quand nous cherchons des postes à responsabilité. L’enquête « Potências (in)visiveis » [3] menée par Indique uma Preta et Box 1824, une agence de recherche sur les tendances comportementales, révèle des chiffres qui attestent de cet état de fait. Au Brésil, une femme noire gagne 44% du salaire d’un homme blanc. Seulement 6% des noires accèdent à des postes de direction dans la ville de São Paulo.
Je continue à dérouler la page du groupe et je tombe sur Talita, une ex-comptable qui, maintenant, tresse les chevelures afro. « J’ai travaillé dans le secteur des entreprises pendant six ans et j’ai arrêté parce que je n’avais plus de santé physique ni mentale. Il y a trois ans, j’ai commencé à travailler dans ce que j’aime », se confie-t-elle. Elle n’est pas dans le groupe pour chercher un emploi mais pour trouver des clientes. Comme elle, beaucoup de femmes abandonnent des emplois qui ne sont pas valorisants ou qui les font souffrir et montent leur propre entreprise.
Emily rêvait de devenir patronne de la librairie où elle travaillait. D’ailleurs, elle suivait une formation pour se préparer. « Mais on m’a boycottée pour que je ne sois pas cheffe », raconte-t-elle. Diplômée en lettres, elle fait un master de tourisme et veut ouvrir une agence de tourisme spécialisée dans la culture afro à Rio. Et elle n’est pas la seule : au Brésil, 49% des propriétaires de petits commerces sont des femmes noires.
Plus la société nous éloigne des lieux de pouvoir, plus nous cherchons le soutien de nos consœurs. Dans des groupes tels que Indique uma Preta, nous parlons de nos professions mais également de cours, de films, d’évènements et nous faisons des confidences sur nos amours ou nos solitudes. Nous nous indignons quand l’Etat tue l’un de nos frères ou l’un de nos enfants et nous célébrons la victoire des autres.
Amanda Abreu, Dani Mattos et Verônica Dudiman sont les fondatrices du groupe, qui est maintenant aussi un cabinet-conseil dont le but est d’établir des liens entre le marché du travail et le monde diversifié des professionnels noirs. L’idée de se soutenir mutuellement est en train de prendre forme en dehors des réseaux sociaux.
« C’est un quilombo : il est là en tant qu’espace sécurisé », explique Verônica, reprenant un concept qui a fait un retour en force : le quilombisme. Celui-ci évoque l’histoire de la résistance des esclaves noirs qui, après s’être enfuis, ont formé des communautés contre le pouvoir colonial.
Un quilombo virtuel, c’est le nom que nous pouvons donner à ce groupe. C’est cet espace qu’a trouvé Beatriz, la jeune fille qui cherchait un endroit pour vivre. Au cours de notre conversation, elle a dit qu’une amie lui avait parlé de ce groupe au début de l’année alors qu’elle était sans emploi et gagnait un peu d’argent en vendant des confiseries. « Quand j’ai écrit ce post, j’ai reçu beaucoup de soutien, de mots gentils et d’encouragement. Je me suis sentie accueillie par des femmes que je n’avais jamais vues de ma vie. J’ai senti, plus que jamais, que les femmes étaient disposées à s’entraider »
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Malu Barros, chercheuse dans le domaine culturel et conceptrice du contenu de Box 1824, souligne qu’il s’est passé la même chose dans les groupes formés pour l’enquête « Potências (in)visiveis ». Les femmes, au nombre de mille et toutes noires, ont partagé leurs problèmes au fil des conversations et ont créé un mouvement pour s’entraider. Quelque chose de presque naturel pour nous : nous sommes là pour nous soutenir et avancer ensemble.
« C’est la matérialisation de la phrase d’Angela Davis : quand une femme noire avance, tout avance », a déclaré Verônica.
« Quand on voit le groupe de Facebook et d’autres initiatives virtuelles, il est possible de percevoir ce mouvement, lent, mais constant. Ce sont des lieux de résistance rassemblant des milliers de femmes noires en perpétuel échange, qui occupent l’espace et luttent contre un système qui veut sans cesse nous maintenir en bas de la pyramide, loin des espaces de décision ».
Je parle de nouveau avec Beatriz sur WhatsApp. Je veux savoir comment elle va maintenant et je lui demande comment finit son histoire. Sa tentative pour trouver du travail dans le groupe n’a pas marché, mais elle y est restée tant qu’elle vendait ses sucreries. Elle a trouvé du travail en octobre. Mais, déjà, les choses ne se passaient pas bien avec son petit ami, ils vivaient dans la cour de derrière chez la mère de ce dernier. La situation en est arrivée à un tel point que Beatriz s’est mise à avoir des crises d’angoisse au petit matin et c’est à ce moment-là qu’elle a décidé de chercher un autre endroit où habiter. Et quel meilleur endroit que le groupe pour demander de l’aide ? Ainsi, elle a trouvé un appartement à la fin de l’année et maintenant, elle vit avec quatre jeunes à Salvador.
« A toutes celles qui sont passées dans ma vie et qui y sont encore, je suis reconnaissante pour leur empathie, pour leur envie d’aider. Seule, je ne serais certainement pas allée si loin », a déclaré la jeune fille à la fin de notre conversation. « Pour nous, femmes noires, je souhaite que la lutte pour la liberté et l’égalité ne cesse jamais, car cela a été un long chemin pour arriver jusqu’ici ».