Pour se désintoxiquer de Bolsonaro, lutter comme la forêt. Pour aider Lula à faire ce qu’il faut, à lutter comme la forêt.

 | Par Eliane Brum, Sumaúma

Il faut rompre avec la séquestration de notre subjectivité. Pour que la petite fenêtre du possible qui s’ouvre avec la défaite du président fasciste devienne un horizon, nous devons avancer non plus dans l’opposition au bolsonarisme, mais bien dans une relation radicale avec la vie.

Un éditorial de Eliane Brum dont elle a autorisé la trauduction en français

Traduction pour Autres Brésils : Philippe ALDON
Relecture : Du DUFFLES

Autres Brésils propose une traduction par semaine, choisie par l’équipe éditoriale de Sumaúma. Pour mieux connaître Sumaúma voir en fin d’article

Oui, nous le savons. Jair Bolsonaro a été battu dans les urnes, il quittera le Planalto après 2 mois supplémentaires de malfaisance mais, lui et le bolsonarisme restent bien vivants, adossés aux votes de 58 millions de Brésiliens faits à l’image et à la ressemblance de leur messie. Et ils sont là, partageant un même territoire appelé Brésil. Dans la semaine qui a suivi l’élection, nous avons vu leurs partisans chanter l’hymne national en faisant un salut semblable à celui des nazis, défiler avec le maillot de l’équipe nationale dans d’étranges mises en scène et entonner solennellement pour un pneu l’hymne national brésilien. Ne me demandez pas d’expliquer le pourquoi du pneu, car je n’en ai aucune idée. Les bolsonaristes sont partout autour de nous ; ils partagent parfois la même maison et ils pensent qu’il est légitime de demander l’illégitime : le retour de la dictature. La question est de savoir comment allons-nous vivre avec elles et eux ?

Parce que nous le devrons.

Avant de penser à cela, il faut constater qu’il y a quelque chose de très grave qui est en train de se produire avec les bolsonaristes. Et je n’essaie pas de faire ni de l’humour ni de l’ironie. C’est sérieux, vraiment. Les scènes dans lesquelles certains d’entre eux ont été impliqués cette semaine nous ont fait rire, comme on n’avait pas ri depuis longtemps dans ce pays. Les mèmes, d’ailleurs, devraient être élevés à la condition d’art et faire l’objet d’un concours à part entière. Toutefois, les faits qui sont devenus des mèmes sont graves. Que les bolsonaristes se nourrissent de fausses informations est une vieille information. Mais l’après-élection a révélé ce que la falsification de la réalité et la croyance en la falsification font à la vie d’une personne ainsi que ce qu’une masse de gens qui falsifient la réalité et croient en la falsification font à la vie d’un pays. On peut dire beaucoup de choses sur les bolsonaristes et on l’a fait. Mais il faut aussi dire, avec gravité, qu’ils sont malades.

Il y a là un mal social qui doit être traité comme tel et auquel le gouvernement élu doit s’attaquer. Face à un fait qu’ils n’ont pas pu complètement falsifier, la victoire de Lula sur Bolsonaro, ils ont déraillé. Ce ne sont pas seulement les scènes devenues des mèmes, comme celle du type accroché des kilomètres durant à un camion qui cassait les barrages des putschistes, ni les faits criminels, comme celui de chanter l’hymne national en faisant un salut similaire à celui des nazis, comme cela s’est produit dans la ville de São Miguel do Oeste, à Santa Catarina. Face à un fait qui ne pouvait être falsifié, la victoire de Lula, ils ont célébré l’arrestation du ministre Alexandre de Moraes, président du Tribunal supérieur électoral. Ils ont donné crédit aux fausses informations, célébrant une arrestation qui n’a jamais eu lieu comme si elle était bien réelle. Ils ont également célébré l’arrestation de l’éducateur Paulo Freire, devenu l’ennemi du bolsonarisme. Paulo Freire est mort en 1997. Ils ont néanmoins célébré son arrestation, alors qu’il est mort il y a un quart de siècle. Ils ont aussi fait croire que Lula est en phase terminale d’un cancer, sans prêter aucune attention au fait que le président élu est en excellente santé, en train de se projeter pour un succès au Sommet du climat en Égypte.

Dans les jours, les semaines, les mois à venir, nous saurons ce qu’il adviendra de cette masse de gens face à la réalité qui continue à s’imposer. Et dans quelques années, nous saurons ce qu’il adviendra des enfants dont les parents ont rompu avec la réalité. C’est une autre question. Nous nous soucions beaucoup des enfants qui ont été violés par le gouvernement Bolsonaro qui a lutté contre leurs droits fondamentaux, sabrant les fonds sociaux tout en faisant exploser le budget, d’abord pour privilégier sa clique, puis (aussi) pour gagner les élections. Et nous devons effectivement nous en soucier. Mais peut-être devons-nous aussi nous préoccuper des enfants, parfois les mêmes, qui vivent dans la même maison que des personnes incapables de se connecter à la réalité. Il serait judicieux de comprendre qu’il y a beaucoup de souffrance, ce qui ne fait qu’accroître l’importance de l’école.

Que pouvons-nous faire ? En tant que société, nous devons nous en tenir à la réalité. Au divorce consommé avec la réalité, nous devons répondre par plus de réalité. Et la réalité la plus profonde est la vie elle-même. La meilleure façon de combattre le projet de mort qui se poursuivra avec le bolsonarisme et ses adhérents sera de rester fidèle à la vie. Je dis cela parce que nous, partie de la société brésilienne horrifiée par la falsification dont elle a été victime, nous qui avons passé 4 ans en tant qu’otage d’un criminel au pouvoir utilisant la machine étatique contre la population, nous sommes également malades. Les signes en sont partout. Je n’ai pas de travaux de recherche pour le prouver, seulement la perception qu’autour de moi, beaucoup sont tombés malades même après les élections, comme si le corps pouvait enfin s’effondrer avec le début de soulagement qu’apportait le résultat des élections.

Cependant, ce mal que nos corps expriment par des pathologies pouvant être médicalement traitées, ce mal est beaucoup plus persistant dans notre subjectivité. Nous sommes prisonniers du bolsonarisme, du quotidien de ses abus et soubresauts. Nous sommes liés à l’horreur bolsonariste comme des otages à leur kidnappeur car nous étions effectivement des otages. Et parce que c’est le moyen que beaucoup d’entre nous avons trouvé pour survivre à l’impossible.

Il est temps de rompre.

Et nous ne pouvons rompre réellement que si nous parvenons à rompre subjectivement. Si notre démocratie en lambeaux a pu arriver jusqu’ici, c’est grâce à la résistance de chacun des collectifs et des institutions qui, même avec d’énormes défaillances, ont été capables de fixer des limites, surtout en cette année électorale. C’est à travers les brèches de la vie auxquelles nous nous sommes accrochés que nous avons pu continuer à respirer. Il est temps d’agrandir ces brèches et de les transformer en horizon.
Je pense que nous devons avancer, mais avancer en cessant de nous préoccuper de ce qu’ils font tous les jours et continuerons à faire, comme les partisans de la secte de Donald Trump nous l’ont montré même après l’invasion du Capitole, si nous ne réagissons pas, en tant que société, à ce qui rend malade 58 millions de Brésiliens. Il ne s’agit en aucun cas d’ignorer la réalité qu’ils représentent. Cela signifie que nous devons évoluer non plus par rapport à eux, mais dans une relation profonde avec la vie. Nous devons être. Ne pas être en opposition avec eux, comme nous l’avons été jusqu’à présent, mais être dans la fabrication du présent qui n’est possible que dans l’imagination du présent. Je ne parle même plus de l’avenir, mais du présent, vraiment. De l’ici et du maintenant. Faire ce qui est bon pour nous. Reprendre l’art, la danse, la poésie, l’éducation émancipatrice, la spiritualité, qu’elle soit religieuse ou non, la joie de vivre ensemble, parler de ce qui nous donne de la joie. Assumer le débat qui nous élargit parce que l’autre ne nous menace pas, au contraire : il nous élargit. Nous devons imaginer notre propre vie et imaginer un pays, pour libérer notre subjectivité assujettie qui a passé 4 ans à se réveiller d’un mauvais sommeil pour comprendre ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont dit, ce qu’ils ont manigancé, ce que nous devons faire pour nous défendre.

Cela suffit de vivre comme des malades car cela nous rend malades aussi. Désormais, nous avons une petite fenêtre, très petite certes, que nous devons élargir de toutes nos forces additionnées. Mieux que de les additionner, parce qu’une somme reste une, nous devons les mélanger, nos forces.

C’est ce que j’ai appris en vivant dans la forêt et en observant les peuples de la forêt, moi qui suis encore une apprentie débutante. Si la forêt existe malgré toutes les agressions qui lui sont faites, c’est parce qu’elle vit farouchement. A la mort, une forme de vie se superpose. Ce qui dessèche comme croûte reverdit sauvagement à la première pluie. Ce qui meurt est immédiatement dévoré pour garantir la vie de ceux qui vivent. Des fleurs s’ouvrent dans les endroits les plus dévastés, en permanence il y a des animaux qui sèment des forêts, il y a des champignons qui communiquent en vastes communautés, des arbres qui conversent sans interruption. Nous construisons nos maisons, en un acte généralement violent car il détruit la maison d’autrui et la forêt passe son temps à saboter tout ce que nous érigeons, en essayant de nous dévorer et de s’établir à nouveau. Il est littéralement impossible de laisser un reste d’aliment une minute sans qu’une multiplicité d’êtres vivants ne le transforment immédiatement en aliments ou en éléments de création de leur maison. Si cela dure plusieurs jours, cela devient un écosystème, une mini-planète. Je suis toujours étonnée, lorsque je vais à São Paulo, du fait que là-bas, la nourriture laissée dans une assiette peut passer la nuit sans que rien ne se produise. Je me rassure, mais je sais que le silence est la voix de la mort. La vie est toujours très bruyante, pleine d’odeurs et de mouvements.

Je n’ai pas le moindre doute que la nature se réimaginera après notre disparition de cette planète, disparition que les sociétés transnationales légales et illégales, leurs actionnaires et leurs dirigeants, les gouvernants qui les servent, ainsi qu’une partie des parlements et une partie du pouvoir judiciaire se sont efforcés d’accélérer au point de modifier le climat et la structure de la planète.

Qui vit veut vivre. Au regard de ce qu’elle fait chaque jour en notre nom contre la nature, peut-être que l’inaction d’une grande partie de la société peut nous aider à comprendre qu’une grande partie des êtres humains sont à moitié morts. Il est temps de quitter ce monde des morts et d’assumer que nous voulons vivre. Pour ce faire, nous devons abandonner la vie quotidienne déterminée par l‘opposition au bolsonarisme et reprendre notre engagement à vivre dans les plus petits actes. Faire attention à la vie qui nous entoure, à la vie qui se déroule tout le temps, constitue une bonne occasion.
L’engagement pour la vie n’est pas un acte qui commence et se termine avec l’individu. C’est un acte dans lequel celui qui se reconnaît comme tel découvre qu’il ne peut être qu’en rapport à l’autre. S’engager pour la vie dans la sphère publique, c’est lutter - ensemble - pour que les affamés puissent manger. L’engagement pour la vie dans la sphère publique c’est lutter - ensemble - pour que Bolsonaro et tous les criminels du bolsonarisme fassent l’objet d’une enquête, soient jugés et punis, car c’est - pas seulement, mais dans une large mesure - l’impunité des criminels de la dictature qui a généré Bolsonaro et le bolsonarisme. L’engagement pour la vie dans la sphère publique consiste à lutter - ensemble - pour identifier et faire rendre des comptes à ceux qui ont ordonné le meurtre de Marielle Franco et qui ont également tué Anderson Gomes. L’engagement de la vie dans la sphère publique consiste à combattre le racisme - tous les racismes, y compris ceux commis quotidiennement contre d’autres espèces. L’engagement pour la vie, c’est de vivre en convivialité, ce mode de faire qui nous a été interdit. Nous luttons quand nous dansons, quand nous faisons de l’art, quand nous conversons, quand nous fêtons, quand nous nous embrassons, quand nous rions jusqu’à en avoir mal au ventre. On rit avec l’autre, pas de l’autre. Se rire de l’autre - et non avec l’autre - est la perversion du bolsonarisme.

C’est ce choc de la réalité, celui de la vie qui s’impose férocement et que nous avions oublié, qui peut guérir les malades du bolsonarisme au-delà des urnes. Cette force vitale qui pousse tant de gens à avoir des enfants alors que la planète est en plein effondrement climatique et que le fascisme se répand dans le monde non pas comme un virus, mais comme seul l’humain est capable de se répandre et de produire la mort.
Quelques jours avant les élections, lorsque mon livre Banzeiro òkòtó - uma viagem à Amazônia Centro do Mundo (Un voyage en Amazonie Centre du Monde) a remporté le prix Vladimir Herzog Amnistie et Droits humains, j’ai fait un bref discours en recevant le magnifique trophée réalisé par l’immensément regretté Elifas Andreato (1946-2022). Ce discours a été filmé, quelqu’un a accéléré ma voix pour l’adapter au temps d’Internet, et la vidéo est devenue virale. J’y disais, comme je l’ai écrit tant de fois, que nous devions surmonter la catastrophe représentée par la réélection de Bolsonaro, mais que, si nous y parvenions, au lendemain de la victoire de Lula, nous devrions nous réveiller déjà debout, pour aller à la lutte. Une fois la catastrophe surmontée, le plus difficile resterait à affronter. Et c’est ce que je crois. Non par foi, mais par expérience et connaissance. Mais lutter, pour moi, c’est lutter comme la forêt. C’est vivre avec acharnement, en se délectant de chaque parcelle de la vie et en élargissant chaque brèche de la vie.
Plus encore que la reconstruction d’un pays, la victoire de Lula ouvre la possibilité d’un retour au contact avec la réalité. Pour cela, nous devons résister à toute volonté de mystifier Lula lui-même, car nous n’avancerions pas d’un iota. Nous n’avons pas de pays à reconstruire, car cela impliquerait de croire aux fausses nouvelles selon lesquelles ce pays était autrefois quelque chose que nous devrions retrouver. Si c’était vrai, ni Bolsonaro ni le bolsonarisme n’auraient été produits dans les entrailles du Brésil. Nous n’avons pas un pays à reconstruire, nous avons un pays à imaginer : Imagin-action. Nous devons imaginer un pays sans racisme et nous devons imaginer un pays sans faim. Nous devons surtout imaginer, parce que c’est le changement structurel qui déterminera tous les autres, une planète dont les centres sont la vie et pas les marchés. Imaginer pour libérer le présent de son manque de futur.

Pour que cela soit possible, la forêt doit continuer d’être forêt. Selon les scientifiques, l’Amazonie atteint le point de non-retour, entre 20 et 25 % de déforestation, soit le moment où la forêt ne peut plus jouer son rôle de grand régulateur du climat. Nous sommes très proches des 20%. Il est évident que cette destruction n’est pas homogène : certaines parties de la forêt ont déjà atteint le point de non-retour et émettent déjà plus de dioxyde de carbone qu’elles n’en absorbent. D’autres sont plus éloignées du point de non-retour, comme les Terres Indigènes, qui sont les plus protégées. Mais la forêt est interconnectée et tout ce qui s’y passe agit en chaîne. Et ce qui arrive à la forêt agit en chaîne sur une planète extrêmement diverse mais intimement liée.
La défaite de Bolsonaro constitue une chance unique d’arrêter la destruction de l’Amazonie et de trouver des moyens de récupérer les zones dégradées avant que cela ne soit impossible. L’acte le plus efficace pour y parvenir est de délimiter les Terres Indigènes qui ne le sont pas encore. Et ce n’est pas une faveur : d’abord parce que la Constitution de 1988 a déterminé que toutes les terres des peuples autochtones devaient être délimitées dans un délai de 5 ans. Trois décennies ont passé et la détermination constitutionnelle n’a pas été respectée. Ensuite, parce que la qualité de vie de chacun en dépend, de la population de n’importe quelle ville du Brésil, de la population de n’importe quelle ville de la planète. Le gouvernement élu doit reconnaître et accorder un titre aux terres quilombolas, étendre les unités de conservation et protéger tout ce qui n’a pas été protégé par le gouvernement Bolsonaro. Mais pas seulement, car même avant Bolsonaro, le système de protection était très, très en dessous de ce qui est nécessaire. Le gouvernement élu doit mener à bien la réforme agraire en Amazonie, en reconnaissant et en soutenant les implantations paysannes engagées dans l’agroécologie. Quiconque vit en Amazonie et/ou suit les massacres commis contre les agriculteurs familiaux, les colons, sait que sans réforme agraire, il ne sera pas possible de protéger la forêt.

Ce qui doit être fait est établi depuis longtemps, il y a des plans et des projets pour tout, y compris le retrait immédiat de 20 000 orpailleurs de la Terre Indigène Yanomami, dont une partie est réduite en esclavage. Il faut juste le faire.
Et la question est bien là. Nous savons que Lula a été élu grâce à un faisceau de coalitions allant de Marina Silva, ministre de l’environnement de 2003 à 2008, principale responsable de la réduction du taux de déforestation en Amazonie, aux prédateurs connus de la forêt et d’autres biomes, comme le Cerrado. Il est clair que Lula n’aurait pas pu être élu sans ce faisceau de coalitions. Ce qui a permis la victoire (étroite) de Lula est cependant ce qui pourrait empêcher la protection de l’Amazonie. Il ne sera pas possible de concilier l’inconciliable au moment charnière que vit la plus grande forêt tropicale de la planète. Tout ce qui doit être fait aujourd’hui aurait déjà dû être fait hier. La protection de l’Amazonie doit être un engagement radical car nos vies en dépendent - et même, bien qu’ils ne s’en rendent pas compte, la vie de ceux qui la détruisent.
Il ne suffira pas de créer un ministère des Peuples autochtones avec un ou une ministre autochtone à sa tête. Il est nécessaire que ce ministère ait un réel pouvoir. Il est essentiel que la promesse de la transversalité de la question climatique soit effectivement tenue par le nouveau gouvernement. Ce qui signifie que la question du climat intégrera et guidera tous les ministères. Il n’y a rien - rien - de plus important que de s’attaquer à la crise climatique, car l’avenir proche des enfants déjà nés en dépend. Plus la planète se réchauffe, avec des répercussions dont il suffit d’ouvrir la fenêtre pour les voir, plus les inégalités entre les sexes, les races, les classes et les espèces s’accentuent. Si personne n’y échappera, ce sont les femmes, les Noirs et les plus pauvres qui sont les premiers touchés, comme le montrent déjà les faits. Pour tenter d’en réchapper, des multimillionnaires construisent des bunkers de luxe sous terre dans des pays comme la Nouvelle-Zélande. Des milliardaires comme Elon Musk, le nouveau propriétaire de Twitter, tentent de trouver une autre planète à coloniser.
L’engagement de campagne de Lula ne pourra être tenu que si les peuples autochtones et les populations traditionnelles (quilombolas, riverains et des dizaines d’autres) sont écoutés. Mais cela ne suffit pas. Il est nécessaire qu’ils soient aussi des protagonistes. Comme les mouvements noirs l’ont appris à la société brésilienne, sans partage du pouvoir, la structure de la société ne change pas. Il est nécessaire que les peuples des forêts et les peuples des autres enclaves naturelles occupent des postes de premier plan au sein du gouvernement.

Le portrait officiel de l’équipe de transition et du gouvernement qui entrera en fonction le 1er janvier devra être composé de plus de femmes, de plus de Noirs (échantillon le plus important de la population brésilienne, il est important de le rappeler), de plus d’autochtones et d’autres peuples de la nature. Elle devra également être moins binaire et moins cisgenre. Et elle devra être plus évangélique, avec des représentants qui respectent l’État séculier. À ce jour, la gauche brésilienne doit avoir appris qu’il est aussi imprudent qu’impossible d’ignorer la force décisive et croissante des évangéliques dans le pays. Ignorer ce phénomène ne sert qu’à renforcer les pasteurs du marché, qui utilisent le fondamentalisme pour faire du chantage et du profit, et à perdre le soutien des leaderships évangéliques dignes de ce nom qui veulent travailler pour le pays sans imposer leur religion.

Comment cela va-t-il se passer avec le faisceau d’alliances qui a conduit Lula à la victoire et avec un vice-président comme Geraldo Alckmin (PSB) ? Cela ne se fera qu’avec la pression de la société brésilienne. La vôtre, la mienne, celle de tout le monde. Sans cette pression, il sera très difficile à Lula d’aller de l’avant avec ses promesses de campagne pour protéger l’Amazonie et affronter la crise climatique. Outre des positions antagonistes au sein même du gouvernement en formation, il y aura un Congrès encore plus toxique que l’actuel, avec un nombre important de forces engagées dans l’agronégoce prédateur, non seulement à la Chambre des députés, mais aussi au Sénat. Pour aller de l’avant, la société brésilienne devra garantir le maintien des propositions de protection de l’Amazonie et des autres enclaves de la nature.
Il faudra exercer une forte pression. La même énergie utilisée pour faire de Lula le candidat doit maintenant être activée pour que le président Lula tienne ses promesses envers l’Amazonie et pour faire face à la crise climatique. Il est très important de comprendre que la lutte contre les inégalités de classe, de genre et de race dépend du respect de ces engagements de campagne.

Nous sommes en guerre, ne vous y trompez pas. Ce n’est pas une guerre entre les bolsonaristes et nous. C’est une guerre entre la minorité qui, comme le dit le chaman Davi Kopenawa Yanomami, a mangé la planète et la majorité qui vit déjà sur une planète plus hostile. Le Brésil joue un rôle crucial dans cette guerre, non pas à cause de l’agronégoce qui détruit l’Amazonie et le Cerrado pour produire du soja destiné à nourrir des animaux asservis dans le monde entier, mais parce qu’il possède sur son territoire 60 % de la plus grande forêt tropicale de la planète.

Les présidents des États-Unis et des pays européens ne se sont pas précipités pour féliciter Lula de sa victoire à cause du Brésil, mais à cause de l’Amazonie. S’ils mettent fin à l’Amazonie, l’intérêt pour le Brésil disparaîtra et le pays sera à jamais un paria, quel que soit son dirigeant, pour avoir fait courir un grand risque à l’ensemble de l’humanité. Il est temps d’agir en fonction de la réalité : le Brésil est aujourd’hui la périphérie de l’Amazonie.

Le choix n’est pas entre lutter ou ne pas lutter ; le choix est à faire sur la façon de lutter. Luttons comme la forêt, en nous accrochant aux interstices de la vie pour en faire un horizon, en utilisant la joie comme instrument de résistance, en imaginant le pays où nous voulons vivre. En occupant, comme le fait la nature, tous les espaces vides, en trouvant le dernier souffle de vie sur la terre dévastée pour renaître, en sabotant jour après jour les agents de la mort par l’affirmation de la vie. Luttons en vivant en convivialité. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, comme le disent les mouvements sociaux de la forêt, ce n’est pas d’un dé-veloppement qui consiste à servir le marché, mais plutôt d’un en-veloppement, un engagement à servir la forêt. Lutter comme la forêt, c’est justement cela : s’engager radicalement pour la vie.


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Voir en ligne : Para desintoxicar de Bolsonaro, lute como floresta

En couverture : Igarapé près du village de Demini, dans la Terre Indigène (TI) Yanomami, dans l’Etat de l’Amazonas. Photo : Pablo Albarenga/SUMAÚMA

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