Au Brésil, la justice autorise une exploration gazière et pétrolière sans Etude d’impact sur le fleuve Amazone Les peuples autochtones Mura, Munduruku et Gavião exigent une consultation

 | Par Agência Amazônia Real, Nicoly Ambrosio

Manaus (AM) – Le processus d’autorisation environnementale pour l’exploration de gaz fossile dans la région de Campo de Azulão, située entre les municipalités de Silves et Itapiranga, à l’intérieur de l’Amazonie, a été soumis à la justice. L’entreprise n’avait pas inclus dans l’Etude d’impact environnemental (EIE) la consultation préalable et informée des communautés autochtones des peuples Mura, Munduruku et Gavião, situées dans la région. Une injonction du Tribunal fédéral a suspendu les permis environnementaux et une autre décision du Tribunal régional de la 1ère Région (TRF-1) l’a annulée.

Reportage de Nicoly Ambrosio pour Amazônia Real
Traduction Philippe Aldon pour Autres Brésils
Relecture Du Duffles

La compagnie d’énergie ENEVA affirme que les opérations d’extraction de gaz à Silves n’auront pas d’impact sur « l’environnement des terres autochtones ». Le cacique Jonas Mura, représentant des six villages autochtones de la région, a déclaré dans une interview à Amazônia Real que les communautés autochtones sont situées dans les zones d’exploration délimitées par l’entreprise.

Le 20 mai, le juge Carlos Augusto Pires Brandão, du Tribunal Régional Fédéral de la 1ª Région (TRF-1), a annulé l’injonction qui suspendait les licences environnementales accordées à ENEVA par l’Institut pour la protection de l’environnement d’Amazonas (IPAAM). Le Tribunal de deuxième instance a accepté les arguments de l’entreprise et a souligné que l’injonction signée par la juge fédérale Mara Elisa Andrade, du 7e Tribunal fédéral environnemental et agraire, le 19 mai, « contredit un intérêt public manifeste et présente un risque d’atteinte grave à l’ordre administratif et à l’économie publique ».

La juge a répondu à la demande de l’Association de Silves pour la préservation environnementale et culturelle (ASPAC) et de l’Association des Mura, qui ont déposé une action civile publique dénonçant des irrégularités dans le processus d’autorisation environnementale pour le projet Complexo Azulão, par ENEVA, notamment l’absence de large diffusion de l’Etude d’impact environnemental et de consultation préalable et informée des communautés autochtones et traditionnelles de la région.

Le juge a également suspendu deux audiences publiques prévues les 20 et 21 mai, qui avaient pour objectif de discuter de l’exploration gazière et pétrolière à Campo de Azulão. Dans la décision, il détermine que l’octroi de licences doit être effectué par l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (IBAMA) avec l’approbation de la fondation nationale des peuples autochtones (FUNAI).

Le procès intenté par l’ASPAC et l’Association des Mura a affirmé que l’octroi de licences n’est pas de la responsabilité de l’IPAAM, mais de celle de l’Ibama et que la FUNAI doit être consultée, car il y a des impacts socio-environnementaux directs sur les peuples Mura, Munduruku et Gavião, habitant six villages de la région de Silves : Village Gavião Real I dans la communauté de Livramento ; Village de Santo Antônio sur la rivière Anebá ; Village Barbosa Village ; Village de São Francisco, sur le lac Curuá ; Aldeia Curuá, sur le lac des Pedras ; et Village Mura-Karará, sur la rive gauche de la rivière Urubu, soit environ 190 familles au total.

Le cacique Jonas Mura a déclaré que les communautés auraient dû être consultées sur le projet, ce qui ne s’est jamais produit depuis qu’ENEVA a commencé l’exploitation commerciale du champ de gaz fossile d’Azulão, en septembre 2021.

« Le premier fait et la très grave erreur d’ENEVA ont été de ne pas nous avoir consultés. Nous sommes les peuples originaires ici à Silves et personne n’était au courant du projet, ils ont même envahi la région et donné des ordres, construisant ces méga plateformes près de nos villages », a-t-il dénoncé.

Dans une note envoyée aux médias, les organisations se sont dit surprises des audiences publiques, qui, selon elles, ont été annoncées sans divulgation préalable ni débat public sur l’Etude d’impact environnemental de Campo de Azulão, « qui n’a été présentée ni par ENEVA ni par l’IPAAM ».

Les organisations demandent également qu’une étude spécifique soit préparée sur la composante autochtone et la composante quilombola, qui selon elles est absente de toutes les phases de l’autorisation environnementale et du Rapport d’impact environnemental (RIMA) présenté par l’entreprise, en plus de l’identification des impacts de l’engagement d’ENEVA et de la mise en œuvre de plans de gestion économique et d’autres mesures d’atténuation et de compensation.

Dans le RIMA présenté par ENEVA, seules les communautés riveraines de la municipalité de Silves, situées dans la zone d’influence directe du projet, sont identifiées, à savoir les communautés São João, Santa Luzia de Sanabaní, São Sebastião d’Itapaní et Ituan. Le rapport cite également l’existence de pêcheurs et d’une colonie à Itapiranga dans la Réserve de développement durable d’Uatumã, qui ne seraient pas directement touchés par les activités d’exploration de gaz fossile.

L’entreprise a révélé dans une note qu’elle respecte les licences environnementales du projet et qu’elle n’exige pas de consultation préalable avec les communautés traditionnelles, autochtones ou quilombolas. « Les études techniques réalisées n’ont pas identifié d’impacts environnementaux sur les terres autochtones ou quilombolas ou sur les unités de conservation. Il n’y a pas non plus d’impacts environnementaux qui impliqueraient d’autres Etats fédérés », a rapporté ENEVA.

La note du projet indique également que la FUNAI n’a pas participé aux procédures d’autorisation environnementale parce qu’il n’y a pas d’ingérence du projet sur les terres autochtones. « Avec toutes les exigences légales remplies à Campo de Azulão susmentionné, il est important d’informer que le gaz produit à l’unité de Silves fournit actuellement plus de 50 % de toute l’énergie consommée dans l’État voisin de Roraima. Toutes les étapes du processus d’autorisation environnementale, impliquant l’autorisation préalable, l’installation et l’exploitation, nous le répétons, se déroulent conformément à la législation. ENEVA a soumis l’EIE/RIMA dans le délai requis ».

Impacts socio-environnementaux

Une campagne internationale de solidarité avec l’ASPAC a marqué les réseaux sociaux
Reproduction Facebook

Les communautés locales ont précédemment déclaré ne pas vouloir extraire de gaz dans la région, car, selon elles, les opérations exposent leurs territoires aux fuites, à la déforestation et à l’invasion. Le cacique Jonas Mura a déclaré que l’impact environnemental causé par l’exploration gazière dans les territoires autochtones a affecté l’autosuffisance des peuples. « Nous vivions de la chasse et aujourd’hui le gibier s’est éloigné à cause du bruit des machines ENEVA. Les poissons ont disparu de la rivière, nous n’avons plus ces poissons que nous avions auparavant à cause du bruit des traversiers qui arrivent aujourd’hui dans la municipalité de Silves apportant diverses machines et pièces », a-t-il rapporté.

Jonas a également parlé des explosions et des « flashs effrayants » à toute heure du jour et de la nuit, qui effraient les enfants, effraient les animaux et rendent difficile la chasse pour la subsistance. « Maintenant, ils font du feu toute la nuit et toute la journée, feu énorme qui éclaire et effraie non seulement le gibier, mais aussi les autochtones qui, non coutumiers du fait courent angoissés d’un côté à l’autre, pensant que tout va prendre feu », a-t-il dit.

La biologiste Márcia Ruth Martins da Silva, d’ASPAC, souligne « le risque potentiel de déforestation, d’extinction et de fuite de la faune locale, de mort des sources d’eau, de contamination de l’air et des eaux de surface et souterraines dans le bassin amazonien, causée par l’exploitation d’ENEVA ce qui entraînerait des problèmes de santé majeurs et même des décès pour les populations. Mais, effectivement, il faut avoir une étude approfondie des impacts environnementaux, pour quantifier et estimer le temps qui conduit à ces dommages environnementaux », a-t-elle déclaré. Márcia ajoute que les communautés dépendent des ressources en eau pour leur survie, considérant que le poisson représente encore 55 % de l’alimentation familiale des populations autochtones. « En plus de l’utilisation des eaux de surface et souterraines pour la consommation humaine, animale et végétale ».

Une étude de 350.org [1], publiée en 2020, montre que la production de pétrole et de gaz dans le bassin amazonien peut causer ou exacerber des impacts socio-environnementaux considérables, tels que la déforestation, les invasions et les conflits, dans 47 terres autochtones et 22 unités de conservation environnantes. Parmi les communautés directement touchées par l’opération d’ENEVA en Amazonie figurent les six villages où vit le peuple Mura.

Les villages sont situés sur un territoire en cours de reconnaissance en tant que Terre autochtone (TI) et non démarqué physiquement, selon la Coordination Régionale de la FUNAI à Manaus. « La FUNAI a déjà effectué deux visites sur le territoire et procède à la phase initiale du processus de démarcation », a déclaré l’agence au rapport. La Terre autochtone Gavião, comme l’appellent les gens qui y vivent, dépend des études d’identification et de la préparation du rapport pour être officiellement reconnue, ce qui est la première phase de démarcation.

Les communautés résistent à l’exploration

Des autochtones Mura manifestent devant la Banque BTG Pactual sur l’Avenida Paulista
Photo Zanone Fraisat/Folhapress

Les Mura avaient déjà prévenu ENEVA et l’un de ses principaux actionnaires, la banque BTG Pactual, qu’ils n’acceptaient pas la présence de sociétés qui explorent le pétrole et le gaz dans la région. Ils ont également dénoncé que leurs territoires et leurs modes de vie étaient déjà mis à mal par les opérations d’ENEVA.

En novembre 2021, le cacique Jonas Mura a participé à une manifestation contre l’extraction de combustibles fossiles en Amazonie devant le siège de BTG Pactual, sur l’Avenida Faria Lima, à São Paulo. Pour lui, la manifestation a été l’occasion d’exiger que la banque cesse de soutenir des opérations qui violent les droits des peuples autochtones et exacerbent la crise climatique. Il fut même reçu par un représentant de la banque, à qui il remit une lettre avec ses revendications. BTG Pactual, cependant, n’a jamais pris aucune mesure pour retirer sa participation dans ENEVA.
En août 2022, lors d’une audition publique et populaire tenue à Itacoatiara dans l’Etat d’Amazonas, des représentants autochtones, riverains et communautaires des populations affectées par l’exploration gazière dans le sud de l’Amazonas ont fait état des dégâts causés par le secteur des énergies fossiles sur les territoires et les populations. La réunion, convoquée par des leaders fatigués de l’absence de consultations publiques officielles, a même vu la participation de représentants des mairies de Silves, Itapiranga et Itacoatiara, membres du Ministère public fédéral, de l’IPAAM et d’ENEVA.

Malgré les rapports sur l’appauvrissement de la faune disponible pour l’alimentation et le risque accru d’invasions de terres, en raison de l’arrivée de nouveaux résidents dans la région, en plus du déficit élevé d’emplois et des licences environnementales non transparentes avec les communautés, aucune des revendications des communautés n’a reçu de réponse.

« ENEVA est à Silves depuis trois ans, avec le soutien du gouvernement fédéral et de la mairie, et, sans information ni co

ntact des communautés, ils sont passés sur nos territoires, y faisant tout à leur guise », a déclaré un des leaders.

Racisme et intimidation

L’Assemblée législative d’Amazonas accorde le titre de Citoyen de l’Etat d’Amazonas à Damian Popolo, directeur des relations extérieures d’ENEVA. Proposition du député Sinésio Campos du PT.
Photo/s : Hudson Fonseca/ALEAM

Contredisant la décision de la 7e Cour fédérale de justice d’Amazonas, qui avait suspendu les audiences publiques pour discuter de l’exploration du gaz et du pétrole à Campo de Azulão, le président du PT d’Amazonas, le député d’État Sinésio Campos, a envahi le 20 mai le siège de l’ASPAC à Silves, insistant pour que la procédure soit effectuée.

Selon des membres de l’Association, Sinésio était accompagné d’agents de sécurité et de la police militaire, en plus d’autorités locales telles que le maire de la municipalité, Raimundo Grana, lorsqu’il a envahi le siège de l’Association et a attaqué verbalement les organisations sociales qui ont signé la demande d’injonction d’annuler l’événement. Le député a proféré des insultes racistes au cacique Jonas Mura, déclarant qu’il n’y avait pas d’autochtones à Silves. « Il nous a dit de le poursuivre pour avoir dit cela », a dénoncé Jonas.

Sinésio Campos, actuel président de la Commission de la géo-diversité, des ressources en eau, des mines, du gaz, de l’énergie et de l’assainissement de l’Assemblée législative d’Amazonas (ALE-AM), est connu pour être un politicien qui soutient l’exploitation minière sur les terres autochtones de l’Amazonie. Lors d’un discours à l’ALE-AM, en décembre 2021, le député a publiquement défendu « l’exploitation minière durable » et a déclaré que la question « n’est pas du domaine de la police ».

Les associés d’ASPEC affirment que Sinésio défend les intérêts d’ENEVA et la raison pour laquelle il a envahi le siège de l’association. Ils estiment que la seule motivation du député était de les « effrayer ». Pour l’organisation, le discours tenu par le député était haineux envers le peuple Mura. « Toute la haine, tout l’intérêt et toute la truculence contre les peuples originaires, juste pour défendre une société d’extraction de pétrole et de gaz, qui détruit l’environnement et l’Amazonie », a déclaré la biologiste Márcia Ruth.

Le cacique Jonas Mura dit qu’avec le soutien de la mairie de Silves, ENEVA efface l’existence des peuples autochtones dans la municipalité. « Nous sommes originaires d’ici et y vivons depuis toujours. J’habite ici depuis plus de 40 ans, je suis né ici et le maire de la ville a encore le courage de dire qu’il n’y a pas “d’autochtone » à Silves. Mon père est né ici, il y a vécu 96 ans et le maire ouvre la bouche pour dire qu’il n’y a pas de peuples autochtones, ce qui nous pose problème et efface notre existence », a-t-il manifesté. Le cacique reproche également à l’IPAAM d’avoir « ouvert les portes » à ENEVA pour explorer le gaz à Silves, car « au lieu de nous aider à protéger les forêts, ils veulent nous passer dessus comme si nous n’existions pas ».

Interrogés par Amazônia Real sur les irrégularités signalées par les communautés traditionnelles dans le processus d’autorisation environnementale pour Campo de Azulão, ni l’IPAAM ni la société ENEVA n’avaient pas répondu jusqu’à la clôture de cet article.

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Nicoly Ambrosio est étudiante en dernière année de journalisme à l’Université fédérale d’Amazonas (UFAM) et photographe indépendante vivant dans la ville de Manaus. En tant que reporter, elle écrit sur la culture et les droits humains. Elle a exposé son travail photographique au festival de photographie de Tiradentes (Tiradentes/MG, 2020) et à la Galeria do Largo (Manaus/AM, 2020). De 2020 à 2022, elle a participé au projet de Formation au Journalisme Indépendant et d’Investigation au sein d’Amazônia Real.

Voir en ligne : Indígenas exigem consulta sobre exploração de gás e petróleo no rio Amazonas

Des organisations dénoncent les impacts sociaux et environnementaux causés par l’exploration gazière et pétrolière sur les terres autochtones où vivent les peuples Mura, Munduruku et Gavião, dans les municipalités de Silves et d’Itapiranga (AM). Sur l’image ci-dessus, le complexe Azulão à Silves.
Photo : Eneva/Disclosure

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