Où sont passés les médecins cubains ?

 | Par Luísa Lucciola

Source : Agência de Jornalismo Investigativo, 06 février 2018
Par : Luísa Lucciola
Traduction : Roger GUILLOUX
Relecture : Marie-Hélène BERNADET

L’un des programmes les plus critiqués de Dilma Rousseff, Mais Médicos est renforcé par le gouvernement Temer et les Cubains continuent à exercer dans le pays, loin des feux de l’actualité.

Miguel Rafael Acea Baró était arrivé, depuis quelques mois de Cienfuegos, Cuba, pour travailler au poste de santé du Tucão, à Vilar dos Teles, dans la Baixada Fluminense [1], quand il a fortement ressenti pour la première fois, le préjugé racial. « Je suis allé à la maison d’un malade âgé qui m’a dit qu’il ne voulait pas que je l’examine. Je me souviens qu’il m’a dit que j’étais très jeune. « Mais j’ai 50 ans ! » lui répondis-je. Il m’a dit que non, que j’étais cubain … »

Quelques jours plus tard, la fille du malade est accourue au poste de santé où Miguel travaillait. Son père se sentait très mal. « J’ai fait ce qu’il fallait faire en tant que médecin : je suis allé le soigner. Et cela a changé sa manière de voir les choses. Un jour après, il dit à sa fille : ʽnous allons faire un gâteau pour ce médecin, car il est excellentʾ. Ceci a marqué ma vie » dit en souriant ce monsieur à l’allure élancée et agitée, le stéthoscope pendu autour du cou. Miguel a continué de s’occuper de ce malade pendant presque une année, jusqu’à sa mort. « J’ai compris que le plus important, c’est la communication entre le médecin et le patient. Il avait entendu parler en mal des cubains mais il n’en connaissait aucun » conclut-il.

Cela fait maintenant plus de quatre ans depuis qu’en août 2013, les premiers doctores cubains, comme on les appelait, ont commencé à arriver au Brésil pour travailler dans le cadre du programme Mais Médicos, créé pour augmenter l’accès aux soins médicaux de base dans le pays. Les 8.500 médecins venus du pays caribéen ont plus en commun qu’un portugais à l’accent marqué. Victimes d’un fort préjugé, ils ont réussi, par le travail et les relations profondes développées avec leurs collègues et leurs patients à prouver le succès de ce programme, reconnu aussi bien dans le pays qu’à l’étranger.

Le programme Mais Médicos a été créé par la Medida Provisória [2] n° 621 du 8 juillet 2013 par la Présidente Dilma Rousseff (Parti des Travailleurs). En plus du recrutement de professionnels stagiaires pour les régions défavorisées - ils sont embauchés dans le cadre d’un modèle de formation sur le tas, sans droits liés au code du travail – le programme prévoyait également la reformulation et l’expansion des cours de médecine au Brésil. De fait, jusqu’en 2016, selon les dernières données mises à disposition par le Ministère de l’Éducation, dix mille places ont été créées dans les cours de médecine, plus de 70% d’entre elles, dans des institutions privées. Cependant, la réorganisation qui devait rendre le programme plus pratique et davantage tourné vers les soins de base a été l’objet de dures critiques de la part des associations médicales et n’a jamais été mis en place.

En novembre dernier, Mônica Bergamo, journaliste à la Folha de São Paulo, a affirmé que le gouvernement fédéral allait interdire la création de nouveaux cours de médecine pendant cinq ans. Bien que cette mesure n’ait jamais été officiellement confirmée, l’Association des Médecins du Brésil (AMB) a confirmé à Pública qu’un « décret interdisant l’ouverture de nouvelles facultés de médecine » allait être publié. Le Ministère de l’Éducation se contente de dire « qu’une étude est en cours sur la possibilité d’un décret sur ce sujet ».

Selon l’AMB, les nouveaux cours ne résoudraient aucun problème. « Le pays dispose de plus de trois cents cours alors qu’il n’a même pas les moyens d’en avoir 100. Bon nombre d’entre eux ne disposent pas d’une structure idéale, le niveau des élèves qui
suivent ces cours est très bas »
nous dit son directeur, Luiz Bonamigo Filho.

Les postes du programme Mais Médicos publiés par décret sont offerts, en premier lieu, aux médecins brésiliens. Mais les postes non pourvus peuvent être occupés par des étrangers. Dans le cas des Cubains, ceux-ci sont embauchés dans le cadre d’un partenariat entre le gouvernement fédéral et celui de Cuba, partenariat qui passe par l’Organisation Panaméricaine de la Santé (Opas).

Actuellement, le salaire d’un médecin de ce programme est de R$ 11520 [3]. En plus de cette somme, celui-ci reçoit des municipalités, une allocation de R$ 2.500 pour le logement et l’alimentation.

L’embauche des Cubains se fait d’une manière différente. Le gouvernement fédéral paie le même salaire qu’aux Brésiliens mais il le verse directement au gouvernement de Cuba qui en retient 70%. Il reste donc, aux médecins cubains, entre trois et quatre milles réaux. A cette somme s’ajoute l’aide municipale qu’ils reçoivent intégralement.

« Les médecins brésiliens ne veulent pas aller en Amazonie. Quand ils y vont, ils veulent des salaires élevés. Si quelqu’un peut gagner R$ 40.000 à São Paulo, pourquoi irait-il en Amazonie pour gagner R$ 11.000 ? » fait remarquer André Santana, avocat qui représente les médecins cubains auprès de la justice.

Médecins brésiliens protestant contre le programme – juillet 2013 - Valter Campanato/Agência Brasil

Le Tribunal Suprême a revalidé le programme et le ministre de la santé est allé à Cuba

Immédiatement après sa création, le programme Mais Médicos est devenu la cible de critiques. Quand les premiers Cubains ont commencé à arriver, en 2013, ils furent reçus dans les aéroports par des groupes révoltés de professionnels de la santé et d’organisations médicales brésiliennes qui les ont hués et insultés.

Même avant cela, les médecins brésiliens s’étaient organisés pour essayer de boycotter le programme. Le 23 août 2013, l’Action Directe en Inconstitutionnalité (ADI) 5035 demandant la suppression du programme, proposée par l’AMB, fut déposée auprès du Tribunal Fédéral Suprême (STF). Parmi les motifs invoqués, il y a la « qualité douteuse » des professionnels de ce programme et le manque de maîtrise de la langue brésilienne.

Le directeur de l’AMB, José Luiz Bonamigo Filho, lors d’une audience au STF - Photo : Nelson Jr./SCO/STF

Ce n’est que le 30 octobre de l’année dernière que le STF, lors d’une séance plénière, a finalement opposé son véto à cette action. Pour le juge d’instruction, le ministre Aurelio Mello [4] , la dispense de revalidation du diplôme et le salaire différencié des médecins cubains allait à l’encontre de la Constitution. Auparavant, Alexandre de Morales, avait fait remarqué que, dans la mesure où les médecins étaient stagiaires et sous le contrôle d’institutions d’enseignement, la non revalidation du diplôme était conforme à la législation brésilienne. En ce qui concerne les salaires différenciés, le ministre n’y a pas vu non plus d’inconstitutionnalité. Il a résumé sa position en indiquant que « les médecins qui se sont inscrits connaissaient les modalités de la bourse ». Par six votes contre deux, l’action a été rejetée par le tribunal, il n’y a eu que la ministre Rosa Weber qui a suivi la position du juge d’instruction.

En dépit de la tension politique autour de ce thème, le succès du programme qui s’adresse à environ 63 millions de Brésiliens peut difficilement être contesté. Etant approuvé par 94% des bénéficiaires, selon une enquête réalisée par l’Université Fédérale du Minas Gerais (UFMG), et recommandé par une étude de l’ONU [5] , le président Michel Temer a sanctionné, en septembre 2016, la loi qui reconduit le programme Mais Médicos pour trois années. Cette prorogation constituait une revendication qui, à l’origine, avait été présentée au Congrès par la présidente Dilma, un mois avant d’être écartée du pouvoir.

Même si, dans la période intérimaire du gouvernement de Michel Temer, le ministre de la santé, Ricardo Barros, en était arrivé à affirmer que le programme Mais Medicos serait provisoire, en janvier de cette année, le responsable du programme a réalisé une visite de deux jours à Cuba, signe de continuité de la coopération entre les deux pays. Mais ce voyage a été ignoré des grands médias. Le budget destiné au programme est passé de R$ 2,5 milliards en 2014 à R$ 3,3 milliards en 2018. En septembre dernier, Barros a annoncé une augmentation de 9% des bourses pour les études de médecine et a déclaré qu’il prétendait remplacer progressivement la participation des Cubains par des Brésiliens. En effet, le nombre de Cubains est passé de 11.429 à 8.553. Malgré cela, ceux-ci continuent à représenter le principal contingent du programme. Sur un total de 17.071, il y a 5.247 Brésiliens et 3.271 d’autres nationalités, selon le Ministère de la santé.

Interrogé au sujet de la reconnaissance officielle apportée par Temer et le STF, José Luiz Bonamigo Filho, directeur de l’AMB, a justifié ce maintien par la pression réalisée par les municipalités. « Elles ont fortement insisté et leur demande a été satisfaite. Elles sont le principal facteur de cette rénovation », affirme-t-il. Comme alternative au Mais Médicos, « mis en place comme bouche trou », Bonamigo Filho insiste sur la nécessité de « la solidité juridique des contrats ». « Si les municipalités n’ont pas une santé financière suffisamment bonne pour offrir ce parcours professionnel, que les États et éventuellement le gouvernement fédéral, permettent à une petite municipalité de commencer, comme cela s’est produit pour la Justice et pour d’autres professions », a-t-il conclu.

Le maintien du Mais Médicos par Temer a permis à certains Cubains de continuer à travailler dans le pays et l’arrivée de nouveaux. « Je n’ai pas senti de différence. J’ai vu Temer maintenir le programme et même l’améliorer. En octobre nous allons ré-inaugurer cette unité qui a été réformée ; maintenant, c’est beaucoup plus confortable » fait remarquer Mayeisy Mildestein Murguio qui est au Brésil depuis 2013.

Davantage de soins de base, plus de consultations et moins d’hospitalisations

La priorité du programme Mais Médicos est d’offrir les soins de base dans les régions où il existe une carence de professionnels. Les 18.240 médecins accompagnent les patients dans plus de quatre mille communes et 34 districts sanitaires indigènes, que ce soit dans ce qu’on appelle les Unités de Santé de Base, les postes de santé ou à domicile dans le cas de patients ayant des difficultés pour se déplacer. En cas de nécessité, ils seront dirigés vers le Système Unique de Santé [6] (SUS) pour des examens ou des consultations avec des spécialistes.

Dans une étude qui compare les indicateurs de santé de communes très pauvres et éloignées des centres urbains, ayant adhéré au programme, entre 2012 et 2015, la chercheure Leonor Pacheco, de l’Université de Brasília, a découvert que la couverture des besoins en matière de soins est passée de 77,9% à 86,3% et les hospitalisations évitables ont diminué de 44,9% à 41,2%.

La Cour des comptes (TCU [7] ), lors d’un audit, a également indiqué que les communes ayant accueilli Mais Médicos ont connu une augmentation mensuelle des consultations de 33% alors que dans les autres communes l’augmentation n’a été que de 14%.

« La grande différence est qu’avant Mais Médicos, les médecins ne venaient pas régulièrement et ne travaillaient pas à temps complet, notamment dans les petites communes, qui sont la majorité de celles visées par ce programme. Un bon salaire, à lui seul, n’attire pas et ne permet pas de maintenir un professionnel. Mais dans les capitales et les zones métropolitaines, on a pu mettre des médecins dans les périphéries où il était difficile de les maintenir » explique la chercheure du Département de santé communautaire de la faculté de médecine de l’Université de Brasília.

Quand elle arrive chez Dalila Alves da Silva, à Vila Rosali, de la commune de São João de Meriti dans la Baixa Fluminense, un matin d’octobre, Marlen Cruz Otazo est reçue avec des sourires par la patiente et sa fille. Alors qu’elle a de grandes difficultés pour se déplacer, cette personne âgée tient à se lever quand la docteure entre dans sa chambre. Elle prend ses mains et, le visage triste, lui dit : « J’ai appris la mort de votre père, acceptez mes condoléances. Mais ici vous avez aussi une famille ». Les deux femmes s’embrassent longuement et la docteure, tout en séchant ses larmes commence sa consultation. Son père était mort quatre jours plus tôt, à Villa Clara, Cuba.

Marlen Cruz Otazo avec Dalila Alves da Silva à São João de Meriti – Photo : Beto Franzen / Imprensa PMSJM

Au cours de la consultation, la docteure a pris sa tension, ausculté les poumons, procédé à des examens de toucher au niveau de l’abdomen et a beaucoup parlé avec la patiente qui a de l’hypertension et est diabétique. Elle a noté quelques informations sur son carnet et expliqué qu’elle allait demander à un physiothérapeute de commencer à faire des sessions pour améliorer sa mobilité.

« Il existe une grande différence entre les médecins cubains et les Brésiliens. C’est comme s’ils étaient plus gentils, mais ce n’est pas seulement cela. Ils nous regardent droit dans les yeux, sont à l’écoute, nouent des relations alors que les autres médecins arrivent en pensant déjà au moment où ils vont partir », c’est l’exemple que donne un agent de santé de Rio de Janeiro qui nous a demandé de taire son nom.

Non seulement ils habitent généralement près de leur lieu de travail et sont donc plus intégrés à la communauté mais les doctores, comme on les appelle, sont spécialisés en médecine générale intégrale, orientée vers la santé de la famille.
Une étude de l’Opas, organisme lié à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de 2016 portant sur le programme Mais Médicos à Rio de Janeiro a souligné l’engagement des Cubains comme étant l’une des caractéristiques de leur manière d’agir.

« On observe un comportement différent ; ils se concentrent sur leur tâche sans qu’aucun autre intérêt ou objectif ne les distraient de cette activité qu’ils considèrent comme une mission. […] Le savoir-faire et les compétences pour l’approche communautaire, dimension essentielle pour l’exercice de la médecine de la famille et de la communauté, contrastent avec la pratique de bon nombre de professionnels brésiliens qui centrent, de manière excessive, leur pratique sur un abordage individuel » met en évidence le rapport.

L’infirmière Anne Iandra, de l’équipe de Miguel l’a également remarqué. « La population ici [dans le quartier Jardim da Alegria à Vilar dos Teles] est très défavorisée. Quand quelqu’un s’implique un peu plus, pour eux, c’est déjà une forme d’attention. Très souvent, on arrive dans la maison d’un malade et on ne s’occupe pas seulement de lui, on fait le tour de tout le monde. Et donc, on s’assoit, on parle. Si vous arrivez et ne vous occupez que de ce qui doit être fait et que vous partez, ils vont être véritablement vexés. Si vous leur accordez un peu plus d’attention, c’est déjà excellent. Et le docteur Miguel a cette qualité, il parle aux gens, répond aux questions … prend un café », dit-elle en riant.

Les recherches de Leonor Pacheco, de l’UnB, vont dans la même direction. Une évaluation réalisée dans 32 communes ayant un taux d’extrême pauvreté d’au moins 20%, présente un programme très apprécié aussi bien des patients que de l’équipe locale du SUS. « L’un des aspects très apprécié est de pouvoir disposer de médecins tous les jours et la journée entière. Dans ces 32 communes nous avons rencontré 44 médecins, la majorité venant de Cuba. En raison de la formation humaniste qu’ils reçoivent à l’Ecole de médecine de Cuba, la manière dont ils traitent les malades favorise le contact : l’examen physique est très complet, ils posent beaucoup de questions sur ce que les patients mangent, où ils vivent et sur leur travail », dit-elle.

La docteure cubaine Marlen Cruz Otazo avec la Brésilienne Yelenis Soto Longo au poste de santé Vila Rosali, à São João de Meriti – Photo Beto Franzen / Imprensa PMSJM

L’évaluation de l’Opas souligne que l’activité internationale des médecins cubains peut se produire dans quatre types de situations : les catastrophes, les désastres naturels, le manque de personnel médical et l’assistance médicale dans des lieux éloignés. La majorité des coopérants au Brésil est déjà dans sa deuxième ou troisième mission à l’étranger.

« Beaucoup de choses m’ont incité à sortir de Cuba. J’étais allé au Venezuela et j’avais senti les difficultés des gens, car à Cuba le système de santé fonctionne très bien. Mais là, non. Il y avait beaucoup de personnes dans le besoin. C’est pour cela que j’ai voulu venir par ici, après. Et je suis contente car je résous les problèmes de beaucoup de personnes » dit en peu de mots Marvis Sotolongo Ramos qui travaille à la Clinique Maria Sebastiana, dans l’Ilha do Governador, à Rio.

« Le travail en équipe est au centre de ce programme. Nous faisons de la médecine communautaire et, pour cela, il est nécessaire de pouvoir compter véritablement sur notre équipe, car nous ne sommes pas d’ici. C’est pour cela que je pense que le membre le plus important de l’équipe est l’agent de santé communautaire. C’est lui qui fait le lien entre le médecin et les patients » explique Yenisleidy Lorenzo, 40 ans, docteure exerçant à Gramacho, Duque de Caxias, dans la Baixada Fluminense.

« Il y a des maladies que l’on trouve fréquemment ici et pas là, la tuberculose, par exemple », nous dit la docteure Yelenis Soto Longo, qui travaille dans le même poste de santé et vit avec la docteure Marlen. « Les maladies par transmission sexuelle, c’est une autre chose. Là-bas aussi ça existe mais c’est plus contrôlé ». La dengue, le zika et le chikungunya sont d’autres maladies courantes que les Cubains ont dû incorporer à leur répertoire de traitement.

Mais quand ils doivent citer les principaux problèmes de santé des Brésiliens, les médecins cubains n’hésitent pas une seconde : hypertension et diabète. A côté de ces maladies chroniques, Yenisleidy souligne l’importance des maladies psychiatriques. « Les malades brésiliens ont beaucoup de problèmes de troubles liés à l’anxiété ; beaucoup sont dépressifs. Dans mon pays, cela existe, je ne peux pas le nier, mais ici, c’est à un niveau plus élevé. »

Bien qu’ils évitent de parler de ce sujet, les relations avec les professionnels brésiliens ont représenté une difficulté supplémentaire. « Les médecins brésiliens ont aujourd’hui une meilleure relation avec nous qu’il y a trois ans. Quand nous sommes arrivés, elles étaient rares, il y avait un peu de méfiance. Aujourd’hui, non. Nous avons réussi à interagir davantage », nous assure Mayeisy. Un autre problème, c’est la lenteur de la remise des examens réalisés en laboratoire. « Même des examens aussi simples que l’hémogramme, le lipidogramme, le bilan rénal, l’examen enzymatique, peuvent demander jusqu’à 15 jours. Je pense que la situation est la même dans tout le pays, pas seulement ici (Duque de Caxias) » estime Yenisleidy.

Ceux qui ont la nostalgie de Cuba et ceux qui souhaitent rester

Le reporter a eu des difficultés à interviewer des médecins cubains. Ceci était dû à ce que les services de presse des secrétariats à la santé des municipalités dépendaient d’autorisations de l’Opas lesquelles accordaient ou n’accordaient pas la possibilité de parler avec ces médecins, comme cela était prévu dans leur contrat avec le gouvernement cubain. Bon nombre de médecins ont refusé de nous accorder une interview sans l’autorisation expresse de leurs supérieurs et certains ont décidé, alors qu’ils avaient l’autorisation, de ne pas accorder d’entretiens parce que « nous n’avons rien à dire, nous ne sommes venus ici que pour travailler ». La majorité des personnes du programme d’échanges, entendues par Pública parlent avec nostalgie de leur pays et expriment leur désir d’y retourner. « J’ai la nostalgie de ma maison. Quand je termine, l’année prochaine, je rentre, je ne reviens plus » dit Marlen. « Emmène-nous avec toi ! » dit en riant son agent de santé, Ana Cristina da Costa. « On ne veut pas les laisser partir ! Elle a pris un mois de vacances et nous avons eu du mal à survivre ici. »

« Ce qui me manque le plus, c’est ma famille et la sécurité qu’il y a là » explique Marvis « Ici, c’est beaucoup plus tendu »

Ce n’est pas le cas de Mayeisy, 33 ans, qui est tombée amoureuse d’un voisin de Vila Rosali, à São João de Meriti, Baixada Fluminense. L’année dernière, elle s’est mariée avec Marcos. « J’aimerais pouvoir continuer au Brésil, mais si cela n’est pas possible, j’emmène mon mari à Cuba », dit-elle en riant.

Un après-midi de juin, l’an dernier, un représentant de l’ambassade cubaine est arrivé chez Aleyna*, au Minas Gerais, pour lui communiquer qu’elle avait été exclue du programme Mais Médicos et qu’elle avait 48 heures pour retourner à Cuba. La docteure essayait, au niveau de la Justice brésilienne d’être embauchée de manière indépendante et, en moins de deux jours, elle a dû prendre une décision qui allait changer sa vie, celle de ne pas rentrer. Pour cette raison, aux yeux du gouvernement cubain, Aleyna est considérée comme déserteur et ne pourra pas retourner à Cuba avant huit ans.

« J’avais déjà travaillé trois ans dans le programme. J’avais déjà construit ma vie ici et je ne voulais plus que 70% de mon salaire aille au gouvernement de Cuba » explique-t-elle. Elle fait partie d’un groupe de Cubains qui contestent leur type de contrat, en espérant pouvoir recevoir l’intégralité de la somme payée par le gouvernement brésilien. « Auparavant, nous étions pratiquement aveugles, nous n’avions pas accès à ces informations. Et quand nous sommes arrivés au Brésil, nous avons commencé à nous documenter sur ce sujet et nous avons découvert beaucoup de choses. Ce fut le moment où les gens ont dû prendre position » nous raconte la docteure qui préfère ne pas être identifiée par crainte de représailles de la part du gouvernement cubain.

L’avocat André Santana représente plus de 80 médecins cubains qui souhaitent être directement recrutés par le gouvernement brésilien. Selon le ministère de la santé, il y a 154 demandes de ce type auprès du ministère de la justice, ce qui représente 2,3% du total des médecins cubains. Parmi ses clients, certains ont obtenus le renouvellement de leur contrat, d’autres non.

La première cliente de Santana a été la femme dont le contrat expirait à la fin de trois années et n’avait pas été renouvelé. Quand elle a reçu son billet pour Cuba, deux jours avant la date du retour, elle était mariée à un Brésilien et elle venait d’avoir un enfant. Elle a pris la même décision qu’Aleyna. « Maintenant, mon objectif est de passer l’examen de revalidation », épreuve qui n’est pas exigée pour les Cubains exerçant dans le cadre de Mais Médicos, explique Aleyna. La revalidation en main, elle serait reconnue comme médecin au Brésil et elle pourrait exercer en dehors du programme.

Pour Santana, «  Ceci est une fraude, une gestion douteuse, une sous-traitance précaire. C’est de l’entière responsabilité de l’État puisque c’est lui qui a choisi ce type d’embauche qui non seulement est discriminatoire mais indigne. Voilà ce que nous souhaitons : faire en sorte que le médecin reprenne son travail et reçoive un salaire intégral ».

Lors d’un jugement favorable aux Cubains, le 10 septembre 2017, le juge fédéral Márcio Luiz Coelho de Freitas a affirmé que ce type de contrat « équivalait à une sorte de travail esclave, ce qui […] ne peut être permis ». Trois mois plus tard ce point de vue a été rejeté par le Tribunal suprême.

L’avocat étudie maintenant la possibilité de demander l’annulation du jugement du STF. « La défense n’a pas bénéficié de la garantie du principe de contradiction et d’ample défense. Et même ainsi, les ministres du STF se sont immiscés dans la question de la relation de travail” fait-il remarquer. “Nous avons accueilli la décision du STF avec une certaine incertitude juridique et le plus préoccupant a été que le gardien de la Constitution fédérale a fermé les yeux sur les principes fondamentaux de dignité humaine pour justifier une négociation internationale d’exploitation de travailleurs au profit de bénéfices financiers des États” reproche l’avocat.

*Le nom a été changé à la demande de la docteure

Voir en ligne : Agência Pública

[1Baixada fluminense : ensemble de communes au nord de la ville de Rio

[2Medida Provisória. Il s’agit d’un droit accordé au Président de la République, dans le cas où il y a urgence à prendre une décision, de donner immédiatement à celle-ci la valeur d’une loi pendant une période de 60 jours à partir de sa publication, laps de temps accordé au Congrès pour l’approuver, la modifier ou la rejeter

[3R$ 11520 : soit environ 12 salaires minimums, ± 2800 euros en mai 2018.

[4Les membres du STF ont le titre de ministre

[6SUS : système de santé gratuit et ouvert à tous

[7TCU : Tribunal de Contas da União

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