Où étaient les Noirs Brésiliens durant la Semaine d’Art moderne de 1922 ?

 | Par Alma Preta, Caroline Nunes

Bien que l’événement ait eu pour objectif de contrevenir au modèle eurocentrique traditionnel à l’époque, seule l’élite blanche faisait partie du groupe d’artistes sélectionné

Traduction : Pascale Vigier, pour Autres Brésils
Relecture : Marie-Hélène Bernadet

Le centenaire

Cette année (2022), on commémore le centenaire de la Semaine d’Art moderne de 1922, qui marque le point de départ du modernisme au Brésil. Cependant, le mouvement moderniste n’est pas considéré comme inclusif, car il n’a pas représenté la Négritude [1] brésilienne, non plus que la communauté autochtone.

L’année 1922 a été extrêmement symbolique, puisque c’était le premier centenaire de l’indépendance du Brésil, et que le pays connaissait une série de changements sociaux, politiques et économiques. Trente-quatre ans après l’abolition de l’esclavage , l’événement de l’art moderne était le fait de l’élite blanche – principalement des fils d’anciens seigneurs du engenho ou de barons du café.

Les travaux, qui montraient des thèmes brésiliens fondés surtout sur le folklore “originel” et sur “les légendes rurales”, seraient facilement interprétés de nos jours comme appropriation culturelle et effacement noir. Sur les tableaux, les minorités étaient portraiturées, mais dans la pratique, artistes noirs et autochtones n’étaient pas inclus dans la sélection du groupe. C’est ce qu’explique l’artiste de l’Exposição Recostura, Chris Tigra – qui expose des œuvres de femmes noires brodées , au Théâtre Municipal –.

“Le problème vient de ce que le modernisme, malgré sa volonté de casser des paradigmes – et, de fait, il en a rompu certains et a apporté du renouveau – n’a pas porté le regard au dehors de lui-même et, en ce sens, il s’est dévoré lui-même, en anthropophage. Autrement dit, il n’y a pas eu de Semaine d’Art moderne pour les noirs, les autochtones et autres individus non blancs”, explique l’artiste.

Bien que l’objectif de la Semaine d’Art moderne de 1922 ait été de repenser de façon critique le traditionalisme culturel de cette époque-là, associé alors aux courants littéraires et artistiques européens, Chris pense que l’événement a été parsemé d’incohérence.

Façade du Théâtre municipal de São Paulo, avec l’exposition “Recostura”, de Chris Tigra / Crédits : Yannick Falisse

Des noms comme Mário de Andrade [2], Oswald de Andrade [3], Plínio Salgado [4], Anita Malfatti [5], Heitor Villa-Lobos [6] et Di-Cavalcanti [7] y ont participé. Le Mouvement Anthropophage, surgi, par exemple, avec la publication du “Manifesto da Poesia Pau-Brasil” [8] de Oswald de Andrade, imaginait la “dévoration”, la “digestion” puis la “déglutition” des influences étrangères qui ensuite seraient régurgitées par les artistes avec leurs couleurs locales, afin de décrire fidèlement “l’essence brésilienne”.

La directrice générale du Théâtre Municipal de São Paulo, Andrea Caruso Saturnino, reconnaît que lors de la Semaine d’Art moderne de 1922, des artistes et intellectuels noirs brésiliens qui, à ce moment-là, profitaient pourtant d’une reconnaissance relative – comme les frères Timótheo, Artur et João –, n’ont pas été présents lors de l’événement en raison du contexte historique dominant.

“Les premières années de la République ont été marquées par une intensification de l’inégalité raciale qui affecte le Brésil jusqu’à nos jours, puisqu’une partie des intellectuels et artistes de 1922 intégrait ou était liée à l’idéologie des classes dominantes. Même les propositions les plus novatrices ont eu de la difficulté à rompre avec leur origine de classe”, insiste la directrice.

Occasion, réparation et œil critique

“Il semble aujourd’hui que nous vivons à l’ère de la réparation par la publicité. L’accès en est encore restreint, mais il existe, et toujours accompagné en arrière-plan d’une volonté bizarre : celle de se conformer à un ‘affichage’ pour se protéger d’éventuelles critiques. La démonstration n’est pas une bonne chose, nous devrions parler de concordance, nous commencerons alors à discuter”, souligne Chris Tigra.

L’artiste considère que les espaces dévolus à l’art sont créés à partir d’une pensée de la classe bourgeoise, blanche. D’après elle, le système est structurellement faussé. La directrice générale Andrea affirme que pour réparer l’effacement noir dans les arts, il faut déjà, avant tout, donner un réel espace aux artistes noirs et autochtones dans les programmations artistiques de la ville.

“C’est l’accessibilité qui manque, aussi bien pour les artistes aux lieux considérés ‘prestigieux’ que pour la population noire à ces lieux”, considère-t-elle.

Malgré tout, pour Chris Negra, le mouvement moderniste mis en avant à la Semaine d’Art moderne de 1922 a réussi, même à petits pas, à apporter de la nouveauté dans les limites du contexte dans lequel l’événement était inséré. Chris recommande, pour la population noire, que ce signe soit observé d’un œil critique.

“Le principal consiste à reconnaître que la Semaine a été telle qu’elle a été, d’en constater les déviances et de noter que ces lacunes en disent long sur la construction de ce Brésil-là. Comprendre le passé pour agir dans le présent et interférer sur le futur est dans le mouvement. Tout ce qui est advenu en arrière dans notre histoire a à voir avec ce que nous vivons aujourd’hui, cette totale inégalité. Observer pour ébranler, déloger, créer un nouveau monde qui ne répète pas les mêmes erreurs”, conclut l’artiste.

Voir en ligne : Onde estavam os negros na Semana de Arte Moderna de 1922 ?

[1L’article original et les Mouvements Noirs brésiliens utilise ’négritude’ en référence au mouvement littéraire qui prendra forme dans les années 30.

[21893-1945, poète, romancier,critique d’art, musicologue, collectionneur

[31890-1954,écrivain instigateur de l’anthropophagisme

[41895-1975, écrivain, journaliste, homme politique

[51889-1964, peintre moderniste

[61887-1959, compositeur

[71897-1976, peintre, illustrateur, caricaturiste

[8édition française
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