Les cas de violence d’État au Brésil choquent la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme

 | Par Arthur Stabile, Ponte Jornalismo

Par Arthur Stabile pour Ponte
Traduction : Marie-Hélène BERNADET pour Autres Brésils
Relecture : Du ALDON

Les mères de Maio, de la Zone Est, de Mogi das Cruzes et de Osasco racontent comment la létalité policière a assassiné leurs enfants : “pourquoi est-ce que cela arrive ?”, demande, émue et incrédule la commissaire de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH).

Les familles des personnes tuées par l’État ont raconté leur histoire et sont toujours en quête de justice | Photo : Arthur Stabile/Ponte Jornalismo

“Pourquoi est-ce que cela arrive ?” C’est la question incrédule posée par la commissaire Esmeralda Arosemena de Troitiño, une des représentantes de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme de l’Organisation des États Américains, en visite au Brésil après avoir entendu 12 mères et un père qui ont en commun d’avoir perdu leurs enfants à cause de la létalité policière.

Pendant cette rencontre, qui a eu lieu dans le centre de São Paulo, les familles ont eu la possibilité de raconter à la Panaméenne Esmeralda comment la violence d’État a impacté leur vie. Il y avait les mères de Maio, de la Zone Est, de Mogi, de Osasco, parmi tant d’autres. La rencontre, qui devait durer environ deux heures, a finalement duré quatre heures. Toutes ont parlé, pleuré et demandé de l’aide en quête de justice.

Les récits se rejoignent par la douleur qu’ils expriment et par certaines caractéristiques récurrentes : les victimes étaient de jeunes noirs vivant en périphérie qui se trouvaient, d’après leurs bourreaux - la plupart des policiers militaires - au mauvais endroit au mauvais moment. Ces cas, enregistrés en 2006, 2013 et 2015 et dont le scénario se répète, ont eu lieu dans les zones opposées sud et est du Grand São Paulo, comme les municipalités de Osasco et Mogi das Cruzes et jusqu’à Baixada Santista, sur la côte de São Paulo.

Esmeralda, reconnaissante de la responsabilité qui lui a été confiée pour que justice soit faite | Photo : Arthur Stabile/Ponte Jornalismo

“Deux policiers militaires ont battu mon fils pendant 40 minutes”, raconte une mère. “Mon garçon a été touché par 10 tirs”, se souvient la suivante. “Le mien a reçu quatre tirs dans le dos”, relate une autre mère. Presque toutes racontent les menaces de ceux qui ont détruit leurs familles. “Un policier militaire a tiré sur mon fils, l’a filmé en train d’agoniser et a ensuite posté la vidéo sur internet”, dit encore une autre mère.

A l’écoute de ce témoignage, Esmeralda a demandé à faire une pause. La commissaire a essayé de comprendre mais sans pouvoir imaginer un acte si cruel. D’après la mère, le policier avait une page Facebook sur laquelle il publiait des photos et des vidéos de “suspects pour lesquels cela avait mal tourné”. La représentante de la Commission a été choquée par les propos rapportés par cette mère. “J’ai porté plainte contre lui, mais l’affaire va être classée. Et le policier me menace toujours”, a-t-elle révélé.

“Je ne sais pas jusqu’à quand je vais pouvoir tenir, mais en attendant, je continuerai à résister”, explique une autre mère qui a également raconté une histoire tout aussi tragique. “Nous sommes visées et nous ignorons si nous serons encore là demain. Je ne sais pas comment ce sera l’an prochain, quand la police aura le droit de nous tuer, nous, les noirs et les pauvres de la périphérie”. La terreur des représailles se poursuit.

Les mères craquent et s’effondrent en pleurs, comme Paula Maria José, dont le fils, Abner, est mort à vingt ans. |Photo : Arthur Stabile/Ponte Jornalismo

À plusieurs reprises, les larmes ont coulé sur le visage d’Esmeralda, qui fait partie de la Cour Suprême de Justice de son pays. “Il n’y a pas de mots pour exprimer ce que vous ressentez. Je comprends parfaitement ce que représente ce combat. Nous ne pouvons pas nous résigner. Je sais que c’est très difficile d’être face à la réalité que vous affrontez dans le cadre de la justice”, a déclaré la Panaméenne après avoir attentivement écouté chaque histoire.

Au mois de mars de cette année, lors de la visite de la CIDH à Bogota (Colombie), la fondatrice des Mères de Mai, Débora Silva, a eu l’opportunité de faire le récit des “Crimes de Mai” et de déposer une demande de fédéralisation des cas. A cette occasion, le mouvement, le Cabinet de Conseil Juridique aux Organisations Populaires et la Conectas [1] ont dénoncé le taux élevé de morts causées par la police militaire de São Paulo.

La CIDH a demandé à La Défense Publique de l’État de São Paulo - qui a cédé le local pour la réunion - ainsi qu’à la Conectas, de réunir des informations sur le nombre de morts révélés dans ces récits. La dernière visite de la Commission au Brésil remonte à 23 ans, ce qui explique pourquoi il s’agit d’un moment historique. A l’issue des conversations et des visites dans plusieurs États du Brésil, l’idée est de réunir, dans un délai de 7 mois, une liste de recommandations pour le pays.

“J’ai entendu ici des choses d’une cruauté impensable et je ne peux pas imaginer la douleur que vous avez vécue. Merci de nous confier la responsabilité de vos dossiers. J’espère que nous pourrons enquêter... Nous ferons tout notre possible afin de vous donner des réponses”, a ajouté Esmeralda.

Chaque nouvelle histoire est encore plus dramatique que la précédente, avec toujours le même scénario : l’assassinat de noirs, pauvres et vivant en périphérie. | Photo : Arthur Stabile/Ponte Jornalismo.

Les histoires de violence se sont succédées. Après les récits des mères dont les enfants ont été tués dans la rue par la police, principalement dans les quartiers périphériques, ce fut au tour de ceux qui ont vécu la violence dans les prisons de prendre la parole : des survivants du Massacre de Carandiru au cours duquel 111 prisonniers ont été tués par la police militaire en 1992. Les familles des prisonniers victimes de violences ont livré leurs témoignages à la Commission Interaméricaine.

“J’ai vu plusieurs de mes compagnons mourir avec l’ordre de remise en liberté à la main. C’est la Rota [2] qui a tué, puis ça a été le corridor polonais [3] du Choque [4]. Encore aujourd’hui, on raconte que c’est nous, qui étions là à l’intérieur, les coupables de ces morts, et non la police qui a tiré”, relate un survivant.

Ce 2 octobre 1992, le pasteur Sidney Sales était lui aussi dans le Pavillon 9 de Carandiru, le plus grand complexe pénitentiaire d’Amérique Latine de l’époque. Lui a survécu à l’attaque de la police militaire en faisant le mort au milieu des corps de ses compagnons de cellule tombés sur un sol baigné de sang. “Aujourd’hui, je reçois 950 réaux d’indemnité par mois que j’utilise pour sortir les jeunes de la drogue et de la criminalité. J’en fais plus pour eux que n’en fait l’État”, souligne-t-il.

Esmeralda analyse les photos prises lors du Massacre de Carandiru | Photo : Arthur Stabile/Ponte Jornalismo.

À l’issue de la rencontre avec les mères et les survivants du système carcéral, le groupe de la CIDH a écouté les témoignages des migrants de la région du Parc Dom Pedro, situé également dans le centre de São Paulo. Là, la peur fut bien plus grande : les migrants ont demandé à parler seulement à Esmeralda et à ses assistantes et la presse n’a pas été autorisée à y assister par crainte des fuites et des représailles qu’auraient pu causer leurs témoignages.

Voir en ligne : Ponte

[1ONG en faveur des droits humains

[2Brigade militaire de São Paulo

[3Le corridor polonais, en référence au corridor de Dantzig de l’entre-deux-guerres, est le nom populaire donné à un passage étroit formé par deux rangées de personnes alignées côte à côte, toutes tournées vers le centre pour maltraiter, avec un bâton ou arme blanche, celui qui est forcé à emprunter ce passage.

[4Autre brigade militaire de São Paulo

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