Le rôle de la TV Globo dans les poursuites judiciaires contre Lula

 | Par Bia Barbosa, Coletivo Intervozes

Le journal télévisé a octroyé une large place aux hypothèses de la police, a tout tenté pour étouffer la voix de Lula, a défendu le « marché » et a passé sous silence la violation des droits dont l’ex-président a été victime. La chaîne continue pourtant à recevoir de grasses subventions du gouvernement de Dilma Rousseff.

Source : Carta Capital - 05/03/16
Traduction pour Autres Brésils : Jean Saint-Dizier
Relecture : Piera Simon-Chaix

Ce n’est pas pour rien que les vieilles démocraties ont mis en place des mécanismes de régulation du secteur des communications, garantissant ainsi ce que les normes internationales définissent comme un « discours pluraliste et démocratique ». Quiconque soutient l’État de Droit sait qu’une sphère publique dont les médias sont dominés par une seule chaîne de télévision, tout comme un journalisme qui ne respecte pas un équilibre minimum des opinions, peuvent être destructeurs pour n’importe quelle nation.

Ce vendredi 4 mars, au cours duquel le pays s’est arrêté pour suivre le déroulement del’opération de la Police fédérale (PF) qui força l’ex-président Lula à une pénible déposition, le Brésil a, une fois de plus, assisté à un cours de manipulation de l’opinion publique dispensé par la TV Globo.

Nul besoin, aujourd’hui, de resservir toute l’histoire des Organisations Globo en la matière. Elle est suffisamment connue de tous. Mais, en ce moment de crise politique que nous traversons, alors que les principes constitutionnels sont menacés quotidiennement, il devient fondamental de mettre en lumière le processus « d’information » et de formation de l’opinion publique des Brésiliens.

Il ne s’agit pas ici de défendre l’ex-président Lula et le Parti des travailleurs (PT), ni de nier l’importance qu’un fait comme celui-ci doit avoir pour les organes de communications. Mais ce que l’on est en droit d’espérer d’un concessionnaire du service public de radiodiffusion, en un tel moment, c’est de l’objectivité – même si « l’indulgence et l’impartialité » que défend le présentateur du Jornal Nacional, William Bonner, n’existent pas pour la Globo.

En attendant, ce que l’on a vu tout au long de cette heure et vingt minutes que le principal journal télévisé du pays a consacré à l’arrestation de Lula, n’a strictement rien à voir avec l’impartialité.

Nous n’entrerons pas non plus dans l’analyse du discours des sujets diffusés ce vendredi-là par le Jornal Nacional, celui-là même qui revendique le rôle de synthèse de la journée, « afin que le citoyen reste toujours bien informé ». Regardons plutôt les faits, comme la Globo aime tant à le faire, et laissons chacun tirer ses propres conclusions.

1 – Première partie du JN  : 21 minutes de reportages, et pas plus de 52 secondes (25 fois moins) sur la position de la défense. Dans le sujet de 6 minutes et 10 secondes sur le versement que l’Institut Lula et la LILS ont reçu pour des conférences données par l’ex-président, seule la Police fédérale a eu voix au chapitre.

2 – Deuxième partie : plus de 15 minutes de reportages. Dont 20 secondes sur la position de l’ex-président et 20 autres consacrées à une intervention de Paulo Okamotto, président de l’Institut Lula.

La défense des chefs d’entreprises accusés de connivence dans le chantier du site d’Atibaia a été lue par les présentateurs, pour un total d’une minute et demi.

Dans le sujet sur le tríplex do Guarujá, 7 secondes pour citer la note de l’Institut Lula dans les 2 minutes et 50 secondes du reportage.

3 – La première intervention de Lula, n’a pu avoir lieu que 40 minutes après le début du JN, dans le sujet sur la déclaration qu’il avait faite à la presse et aux militants, depuis le siège de la Direction nationale du PT. Lula a eu la parole pendant 7 minutes et demi. Suivi d’une minute quinze de Dilma critiquant l’opération.

Rui Falcão, président du parti, a eu droit à 16 secondes. Dans le sujet sur les répercussions au Congrès, une minute pour l’opposition et 30 secondes pour le PT – auxquelles ont peut ajouter les deux minutes dont a disposé le reporter pour expliquer comment la droite allait procéder pour paralyser le Congrès jusqu’à la victoire des partisans de l’impeachment.

4 – Dans le reportage sur les manifestations qui ont émaillé le pays, le même nombre d’interventions pour les manifestations pour et contre Lula, mais une différence criante dans les chiffres de la participation qu’elles ont mobilisée. Ensuite, une minute supplémentaire pour montrer les personnes qui, répondant à l’appel de l’opposition, étaient venues taper sur des casseroles et applaudir le début de la transmission du Jornal Nacional.

Du côté opposé, deux minutes de plus, montrant des militants du PT prenant à partie des reporters de la Globo.

Durant tout l’après-midi, sur GloboNews, la chaîne avait déjà beaucoup tiré la ficelle du « PT qui incite les militants à la confrontation », accordant peu de poids à la légitimité de celui qui est attaqué et se défend jusque dans la rue.

Gerson Camarotti, journaliste politique à GloboNews, est intervenu sur internet depuis l’aéroport de Congonhas [où Lula était entendu par la police tandis qu’une manifestation pro et anti-PT avait lieu] pour déclarer, dans une absurde inversion des faits : « ce à quoi on est en train d’assister à Congonhas n’est qu’un exemple de ce que le PT prépare aujourd’hui. »

5 – Le JN propose encore un sujet sur « les répercussions négatives » dans la presse internationale, pendant plus de deux minutes. Et annonce la réaction positive du marché, avec une hausse à la bourse de São Paulo et une chute de la valeur du dollar. Au total, ce furent 64 minutes de temps d’antenne accusant Lula et répercutant les arguments de la PF, pour 13 malheureuses minutes accordées à la défense.

6 – L’un des principaux sujets de discussion de la journée, la légalité de l’arrestation coercitive de Lula et de dix autres interpellés, n’a pas mérité l’attention du Jornal Nacional. Même l’opinion des quatre spécialistes en droit pénal invités par GloboNews tout au long de la journée qui, de manière unanime, ont déclaré qu’une telle interpellation n’avait aucun fondement légal, n’ont pas convaincu le JN.

Une allusion à la déclaration cinglante de deux membres du Suprême Tribunal Fédéral (STF), considérant l’action de la PF arbitraire ? Rien, pas un mot. Dans la Folha de S. Paulo, Marco Aurelio Melo déclare que « le passage en force ne mène nulle part. Il ne fait que générer de l’insécurité juridique pour tous les citoyens. Tant qu’on y est, demain, on monte une barricade sur la place des Três Poderes (située à Brasilia et bordée par les trois pouvoirs, judiciaire, exécutif et législatif, symbolisant ainsi leur séparation). Il a aussi critiqué l’argument sur lequel le juge Sergio Moro s’est basé pour mener l’arrestation coercitive de Lula : « Désirait-il cette protection ? En vérité, je pense qu’il a utilisé cet argument pour justifier le passage en force. (…) Cela implique un retour en arrière, pas une avancée. »

Mais la Globo n’a pas jugé opportun d’entendre le STF sur ce cas précis. Bien au contraire, la chaîne a préféré passer les déclarations de l’Ordre des avocats du Brésil (OAB) et d’associations de magistrats et de procureurs qui défendaient les agissements de la PF.

Au-delà de l’édition du Jornal Nacional de ce vendredi, la couverture de ce « jour historique », comme l’affirment les commentateurs de la Globo, a été émaillée de nombreux incidents condamnables. Par exemple, le discours explicite sur l’économie qui ne se porterait que mieux lorsque le gouvernement aurait changé.

Un autre exemple, l’accusation portée contre Lula, en train, « une fois de plus » de diviser le pays, en tenant des propos de « persécution et d’orchestration ». La commentatrice de GloboNews, Cristiana Lobo, a même parlé de « syndrome de persécution ». À 20h, le canal payant de la chaîne fit un « résumé des déclarations de la journée ». Aucune d’entre elles ne fut critique envers l’opération.

Il n’est cependant pas très difficile de croire à l’orchestration. Surtout lorsque l’on sait que les journalistes de différents médias ont eu vent de l’opération Aletheia avant même les avocats des accusés.

L’association entre le système judiciaire, la police fédérale et les moyens de communication s’est révélée essentielle dans l’atteinte des objectifs de la journée : arrêter illégalement l’ex-président Lula, démoraliser le PT, fragiliser le gouvernement et soutenir les manifestations pro-impeachment prévues pour le 13 mars.

Il n’y a aucune coïncidence dans les derniers évènements. Depuis l’annonce de la délation de Delcídio [1] jusqu’aux fuites sélectives d’informations détenues par la PF, sans oublier le silence de la presse sur les dénonciations de détournement de fonds publics par un autre ancien président, Fernando Henrique Cardoso, ou la tentative de censure contre les blogueurs qui ont relayé la combine de la villa des Marinho à Paraty [2] .

On ne peut pas nier ces coïncidences, indépendamment des indices présentés par la PF contre Lula ou de ce qui sera effectivement prouvé à la fin des investigations.

De même, on est obligé de reconnaître qu’une partie significative de cette crise est une conséquence directe de l’absence d’actions contre la honteuse concentration des moyens de communication dans le pays, durant les 13 années du gouvernement du PT. L’heure est venue de récolter ce qu’on n’a pas voulu planter.

Mais quand les règles du jeu sont bafouées avec tant de facilités ; quand une bonne partie des institutions qui devraient être attentives au respect de la loi est guidée par des facteurs politiques ; quand les médias refusent à la population son droit à une information plurielle, accusent et condamnent à l’avance ; et quand on voit la majorité de la population se laisser berner, applaudissant la spectacularisation à outrance de la justice, ce n’est pas la biographie de Lula, les actions de son gouvernement ou le projet du PT qui est en péril. C’est notre démocratie.

Notes de la traduction

[1Delcídio de Amaral est sénateur du Mato Grosso do Sul (antérieurement au PT, son affiliation ayant été suspendue en décembre 2015). Le 3 mars 2016, la presse lui impute une dénonciation contre Dilma Roussef et Lula dans le cadre de l’opération Lava-Jato, dont il récuse l’authenticité.

[2Cette villa, possession des héritiers de Roberto Marinho, le propriétaire du Grupo Globo jusqu’à sa mort en 2003, est construite sur une zone naturelle protégée de la côte de l’état de Rio. En cours depuis 2008, le procès pour la destruction de la villa n’a toujours pas abouti. La photo qui illustre l’article montre un activiste intervenant durant un reportage de la Globo pour dénoncer le silence médiatique sur l’affaire de la villa des Marinho.

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