Le nouveau Brésil évangélique sera un défi pour le gouvernement Lula

 | Par Agência Pública, Mariama CORREIA

La victoire, dimanche 30 octobre, de Luiz Inácio Lula da Silva (PT) n’efface pas la force de l’extrême droite dans la politique brésilienne, dont le conservatisme religieux est l’un des piliers.

"C’est ce nouveau Brésil que le nouveau gouvernement Lula devra affronter" déclare Ana Carolina Evangelista, politologue et directrice exécutive de l’Institut d’études des religions (ISER). Elle se consacre à la recherche sur le segment évangélique depuis 2016. Au long de cette période, le scénario a rapidement évolué.

Traudction par Du Duffles et Philippe Aldon

Selon la chercheuse, au Brésil, les forces évangéliques se sont subdivisées en politique. La partie de ces forces qui s’est alignée politiquement sur l’extrême droite s’est renforcée au cours des quatre années du gouvernement Bolsonaro, occupant des ministères et des postes dans le système judiciaire. Le groupe parlementaire évangélique au Congrès a également gagné le pouvoir de faire passer les programmes
conservateurs avec le soutien institutionnel de l’exécutif.

"Une grande partie des leaders politiques religieux se sont alignées sur ce nouveau scénario de l’extrême droite au Brésil et dans le monde. Je ne vois pas ces forces, surtout celles qui sont plus explicitement alignées avec l’extrême droite, revenir au centre", analyse Ana Carolina Evangelista.

Ana Carolina Evangelista, politologue et chercheuse à l’ISER

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Pour la chercheuse, dans un Brésil plus évangélique et plus radicalisé, les espaces de dialogue entre le nouveau gouvernement et les leaders religieux doivent être multiples.

"Il existe une multiplicité de modalités selon lesquelles cette population évangélique croissante pratique sa foi. Penser qu’en dialoguant avec les églises et les pasteurs évangéliques les plus emblématiques, le nouveau gouvernement Lula parlera aux évangéliques serait une erreur", prévient-elle.

Lire aussi L’électorat évangélique au cœur de la bataille Lula-Bolsonaro de Ana Carolina Freires Ferreira dans The conversation

Ci-dessous, les principaux extraits de l’interview :

Sous le gouvernement Bolsonaro, le groupe parlementaire évangélique du Congrès a reçu le soutien de l’exécutif pour faire passer son programme conservateur. Bien que les premiers sondages montrent que ce groupe n’a pas progressé en nombre lors de ces élections, de nombreux chefs religieux bolsonaristes ont été élus, comme l’ex-ministre de la Femme, de la Famille et des Droits humains de Bolsonaro, la pasteure Damares Alves, ardente militante anti-avortement. C’est avec cette assemblée législative conservatrice, au sein de laquelle le groupe parlementaire évangélique a acquis un énorme pouvoir au cours des quatre dernières années, que Lula devra gouverner. Quelles sont les tensions que l’on peut prévoir ? Y a-t-il des moyens de dialoguer avec le groupe parlementaire évangélique ?

Observatoire de la démocratie brésilienne _ Glossaire
La majorité des quelque 30 partis représentés au Congrès n’ayant ni ligne ni de programme politiques bien définis, ils laissent à leurs membres la faculté d’adhérer à des groupes d’intérêts appelés bancadas. Ceux-ci peuvent êtres des groupes politiques par États ou des groupes d’intérêts transversaux aux partis politiques et États. C’est le cas du Front évangélique, dit Bancada de la Bible ou encore le Front de la Sécurité Publique, dit Bancada des Balles. Ils peuvent être également de type corporatiste comme le Front Agricole, dit Bancada du Bœuf ou encore le Front en Soutien au Sport, dit Bancada du Ballon.
Pour en savoir plus, voir Étore Medeiros, Bruno Fonseca, « Les fronts parlementaires transpartis »
Dessin de Johanna THOME DE SOUZA

Le groupe parlementaire évangélique restera puissant, même si les premières données ne laissent pas présager une croissance explosive du groupe au sein de la prochaine assemblée législative. Il est encore difficile de savoir quelle sera son ampleur, car le fait qu’un député se déclare évangélique ne détermine pas qu’il fera partie du noyau actif du groupe. Mais nous savons déjà qu’une partie de ce groupe est constituée de ce qu’on appelle les centristes du monde évangélique. Et ce centre dialogue, négocie et s’articule avec le gouvernement en place. Les dirigeants qui composent ce centre aujourd’hui ont des agendas politiques. Si l’agenda moral me semble moins aisément négociable, il existe des agendas d’avantages fiscaux pour les églises, des agendas économiques.

Il est important de se rappeler que le groupe parlementaire évangélique s’est constitué après la première élection de Lula, en 2002, pour prendre ses marques. Pour montrer qu’ils demeurent hostiles à certains agendas, même s’ils ont soutenu Lula de manière pragmatique à l’époque. La différence fondamentale entre il y a 20 ans et aujourd’hui c’est qu’il ne s’agit plus d’un scénario politique présentant un conflit entre la gauche et la droite démocratique. Aujourd’hui, nous avons un conflit entre la gauche et l’extrême droite autoritaire, au Brésil et dans le monde entier. Toute analyse doit tenir compte de ce scénario en toile de fond.

Ainsi, même si nous considérons qu’il y a toujours eu ce groupe évangélique centriste en quête de pouvoir dans les espaces politiques, à même de négocier et de s’aligner sur ceux qui gouvernent, aujourd’hui, une grande partie des leaderships politiques religieux s’alignent sur ce nouveau scénario d’extrême droite au Brésil et dans le monde. Je ne vois pas ces forces, notamment celles qui se sont alignées plus explicitement sur l’extrême droite, revenir au centre. Ils ont maintenant d’autres alliés internationaux. C’est avec cette force politique d’extrême droite, alignée sur des éléments du monde évangélique et catholique conservateur, que le président élu devra composer. Il ne s’agit plus seulement d’une conversation avec les évangéliques en politique. Il s’agit de la puissance de l’extrême droite dans la politique brésilienne actuelle, dont l’un des piliers est le conservatisme religieux.

En matière de progression de l’extrême droite dans le monde, sous le gouvernement Bolsonaro, plusieurs alliances ont été conclues avec des réseaux internationaux d’extrême droite et des rapprochements avec des pays comme la Hongrie. Le Brésil a même joué un rôle de premier plan dans des groupes tels que le Consensus de Genève, un accord entre pays conservateurs contre l’avortement, les droits reproductifs et la justice de genre. La fin du gouvernement Bolsonaro implique-t-elle la fin de ces réseaux et alliances ou resteront-ils actifs ?

Le scénario international montre que ces réseaux internationaux ne perdent pas de leur force lorsqu’ils perdent de l’espace dans les gouvernements mais qu’ils se réapproprient de nouvelles tactiques, . Nous devrons comprendre comment cette réorganisation se déroulera dans le contexte brésilien.

Il est important de rappeler que des membres de l’extrême droite ont été élus, tant à la Chambre des députés qu’au Sénat, ainsi que dans les assemblées législatives des États. Il existe également des alliances d’extrême droite organisées en dehors de la politique, dans des centres qui produisent des formations, dans des véhicules de communication et des forces dans la société civile d’une manière ou d’une autre. Il existe également un soutien populaire, en partie idéologique, en partie en réaction à la profonde crise de la consommation, des revenus, de l’emploi et de la perturbation des politiques sociales que traversent les pays, et pas seulement le Brésil. La tendance est qu’avec une amélioration des conditions de vie, ce soutien populaire va également s’ébranler. Mais ces réseaux ne sont pas pour autant désarticulés.

Tout comme la fin du gouvernement Trump n’a pas signifié la fin du trumpisme aux États-Unis, le bolsonarisme continuera d’exister ici. Nous avons même vu, sous l’administration Biden, la Cour suprême des États-Unis annuler une sentence qui permettait l’accès à l’avortement. Ici, nous n’avons même pas avancé sur la dépénalisation de l’avortement. La voie est-elle libre pour faire avancer les agendas des droits ? Quels sont les risques de réaction que ces réseaux d’extrême droite, alignés sur le conservatisme religieux, déclenchent de nouvelles régressions ?

Je crois que les agendas d’accès aux droits sont réellement menacés. Et je ne vois ni pression ni menace en mesure de faire diminuer ce risque. Le gouvernement Lula aura beaucoup de mal à contenir les régressions, étant donné la force que l’extrême droite a acquise au Parlement. Je prévois des années très difficiles pour ces agendas.
L’extrême droite qui a perdu le pouvoir continuera d’être forte et reconfigurera ses tactiques. Cet ensemble de tactiques, qui inclut le monde religieux mais ne s’y limite pas, est en quelque sorte là pour rester. C’est l’appel aux peurs, à l’intolérance, à la radicalisation, à un sentiment constant de panique et d’insécurité, des tactiques que nous voyons dans d’autres pays du monde et qui ont été appliquées sous le gouvernement Bolsonaro, de manière institutionnelle, au cours des quatre dernières années.

Cette force est tellement consolidée que, même pendant la campagne, Lula a reculé devant le débat sur l’avortement et s’est engagé, dans la Lettre aux évangéliques, en faveur de « l’agenda des mœurs et coutumes  ».

Je ne l’ai pas vu comme une reculade. Il est vrai qu’il y a eu des concessions, mais la logique de la campagne est une chose et l’exercice du mandat en est une autre. Ce nouveau mandat sera confronté à la partie adverse avec beaucoup plus de force : dans le harcèlement judiciaire par les groupes ultraconservateurs brésiliens, avec les forces élues dans les espaces législatifs, avec la présence dans le monde des affaires, dans certains groupes de la société civile. Nous ne parlons plus d’un groupe isolé.

Lors du premier gouvernement Lula, il y a 20 ans, ce groupe d’évangéliques liés à l’extrême droite, auquel vous faites référence, occupait-il déjà des espaces dans la politique brésilienne ?

Nous pouvons dire que ce groupe n’était ni aussi radicalisé ni en dormance politique. A ce moment-là, ce n’était pas un élément de la négociation politique. Aujourd’hui, il a non seulement gagné en force, mais il est aussi plus explicite. C’est pourquoi la question de savoir comment traiter les forces évangéliques en politique aujourd’hui nécessite un examen plus approfondi de la manière dont ces forces sont subdivisées. En 2002, il s’agissait d’une conversation plus pragmatique.

Il ne s’agit pas seulement de faire quelques concessions, il ne s’agit pas seulement de négocier avec ce noyau de personnes avec lequel les gouvernements Lula et Dilma étaient habitués à négocier. Ce noyau existe encore et est disposé à négocier, me semble-t-il, car les ponts n’ont pas été totalement rompus. Il est clair que l’essentiel des forces évangéliques en politique sont actuellement à la recherche du pouvoir. Non seulement pour accéder à des espaces de pouvoir en soi, mais aussi pour un projet politique. Et une partie de ce projet politique est alignée sur l’extrême droite.

Et quel est le projet politique de ce groupe religieux qui s’est aligné sur l’extrême droite ?

Elire un président ultraconservateur, qu’il soit évangélique ou catholique. C’est ce que fait Bolsonaro. Il est à la fois évangélique et catholique, mais il met en place un programme. C’est un projet politique d’imposition, réduisant au silence les voix minoritaires, extrêmement punitif, intolérant, imposant son agenda moral comme l’agenda général de la société.

Il se peut même que le gouvernement Bolsonaro n’ait pas réussi à mener à bien concrètement l’ensemble de ce programme, parce qu’une partie de ce gouvernement était très incompétente. Mais il n’en a jamais dévié. Le pari de ce groupe n’est pas seulement d’avoir accès aux couloirs du pouvoir, car ils l’avaient déjà. Ils sont dans des ministères, à des postes élevés. Ils veulent concrétiser un projet politique, qui a été en partie mis en œuvre et qui peut encore être plus profondément implanté. La victoire de Lula n’efface pas cela. Ce n’est pas une page tournée. C’est ce nouveau Brésil que le nouveau gouvernement Lula, de gauche, devra affronter. Et nous ne pouvons même pas parler d’un gouvernement de gauche, car le nouveau gouvernement Lula est un gouvernement de ce front large qu’il a construit, avec de nombreuses forces à concilier.

Il est prévu que le Brésil devienne officiellement un pays comptant plus d’évangéliques que de catholiques en 2032. Mais, en regardant la politique aussi bien que les médias et la production culturelle, les familles, ne pouvons-nous pas affirmer que nous sommes déjà ce pays évangélique ? Et que cela doit servir de guide pour les quatre prochaines années ?

Le Brésil est également évangélique. Et la partie évangélique du Brésil n’est pas seulement évangélique. C’est cela le guide à suivre. Cette attention portée aux seuls évangéliques, parce qu’ils représentent une force dans la société, ne me semble pas une bonne méthode car les gens ne sont pas seulement évangéliques, même s’ils ont de nouvelles logiques et formes de dialogue politique. Nous gagnerons si nous ne circonscrivons pas, si nous ne spécialisons pas trop cette construction politique à partir des seuls évangéliques. Précisément parce qu’être évangélique au Brésil n’est pas seulement une question d’identité religieuse. Il s’agit de liens, de visions du monde, de dilemmes sociaux.

Le nombre de personnes sans religion a augmenté ces dernières années. La croissance d’une identité dans la foi évangélique est possible, mais je ne pense pas que l’on puisse adhérer à ces projections d’un tournant, car l’engagement religieux est régi par de multiples facteurs. Il y a, sans aucun doute, aujourd’hui, une appartenance et une culture évangélique plus présentes dans la société - dans la politique, dans la musique, dans les familles, dans les dialogues, dans les mèmes. Et cela est déjà en place. Le dialogue que ce nouveau gouvernement devra donc avoir se fera avec un Brésil qui est également évangélique, mais pas seulement.

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"C’est avec cette force politique d’extrême droite, alignée sur des éléments du monde évangélique et catholique conservateur, que le président élu devra composer" affirme Ana Carolina Evangelista.

J’ai parlé à de nombreux pasteurs à São Gonçalo (RJ), alors que j’accompagnais une rencontre de Lula avec des évangéliques. Beaucoup ont dit que la gauche avait commis l’erreur de rompre les ponts avec les leaders évangéliques, qu’elle avait laissé les églises de côté, surtout dans les périphéries. Êtes-vous d’accord ? Car, en fait, les leaders qui se sont rangés du côté de Bolsonaro pendant le gouvernement et la campagne étaient autrefois des alliés des gouvernements du PT, comme l’évêque d’Universal, Edir Macedo, le pasteur Silas Malafaia, de l’Assemblée de Dieu Victoire en Christ et le député fédéral élu, le pasteur Magno Malta (PL).

Les ponts ne se sont pas rompus du fait de la gauche, mais parce qu’une partie de l’univers évangélique avait adhéré à un projet d’extrême droite. C’est la vision du monde, l’agenda politique concret qui a rompu les ponts. La conciliation avec un projet de pays autoritaire, qui exclut, qui est intolérant, qui libère les armes, était impossible. Et, il est impossible de reconstruire les ponts avec ce groupe qui est allé jusqu’à l’extrême. Avec le centre, oui. Une grande partie de ce centre évangélique est aujourd’hui silencieuse ou soutient Bolsonaro, bien que de manière moins explicite. Je crois qu’avec ce centre pragmatique, il sera possible de parler et de reconstruire des ponts.

Cette reconstruction des ponts a commencé un peu tard dans la campagne ? Certains gestes de rapprochement plus incisifs, comme la Lettre aux évangéliques, semblent avoir été réalisés dans la dernière ligne droite, alors que Bolsonaro avait déjà consolidé son leadership dans ce segment.

Je n’ai jamais pensé que la campagne de Lula devait s’adresser spécifiquement aux évangéliques. Parce que je comprends que parler à partir des agendas de la justice sociale, de l’accès aux revenus, de l’économie et de l’emploi est aussi une voie plus large de dialogue avec cette population auto-déclarée ou que nous identifions comme évangélique. Ce qui s’est passé dans la campagne de Lula, c’est qu’il a dû réagir. Essentiellement parce qu’en lien avec l’univers évangélique, un tsunami de fausses nouvelles et un récit déjà connu et ancien, de menaces et de paniques morales que pouvaient représenter le communisme et la gauche, ont été renforcés. Parallèlement à cela, on constatait une augmentation de la persécution politique dans les espaces religieux.

Depuis 2018, lorsqu’une partie du segment évangélique a compris que le gouvernement Bolsonaro mettrait en œuvre le programme moral conservateur qu’ils prêchaient, nous savons que, dans les coulisses, le harcèlement politique et les consignes de vote existaient. Cela a pris d’autres dimensions cette année, surprenant même ceux qui viennent accompagnant ce monde religieux depuis longtemps, avec des lettres de pasteurs, des témoignages de fidèles, que ce soit dans la reproduction de mensonges ou dans le harcèlement politique. Une réponse conjoncturelle à la partie de l’univers évangélique qui avait orchestré cette campagne se faisait nécessaire. Dans le mandat, la stratégie ne peut être limitée à cet univers.

Même acculé sur ce front des attaques de fake news et de persécution politique, promues par de nombreux leaderships évangéliques, Lula n’a pas incorporé de représentants de ces espaces dans la campagne, pasteur ou de l’église X ou Y, comme cela s’est produit durant le gouvernement Bolsonaro. La figure même de Marina Silva (Rede-SP), très forte en tribune, n’a pas comme identité principale le fait d’être évangélique, bien qu’elle ne le cache pas - elle l’avait déjà caché beaucoup plus dans le passé, pour avoir été attaquée par la gauche elle-même.

Outre Marina Silva, d’autres leaders évangéliques progressistes ont également soutenu Lula. Certains ont réussi à se faire élire cette année.

Oui, il y a des parlementaires issus du camp évangélique progressiste élus et c’est une nouveauté. Si auparavant on ne pouvait cité que Benedita da Silva, aujourd’hui nous pouvons citer Marina Silva et le pasteur Henrique Vieira, qui a été élu député fédéral pour le PSOL, à Rio de Janeiro, avec un soutien considérable. Il a eu un résultat très proche de Sóstenes Cavalcante (PL), bolsonariste de premier ordre, président du groupe évangélique, force politique importante à Rio de Janeiro et au Parlement national. Et, par la façon dont il s’est positionné, une fois élu pour le centre-gauche, Henrique Vieira va apporter des moyens d’aborder des questions difficiles, qui ne sont pas dans les extrêmes polarisés, comme la question de la légalisation des drogues, de l’avortement, des droits des femmes.

Ces nouveaux leaders politiques évangéliques progressistes, comme le pasteur Henrique Vieira, représentent aussi souvent des communautés périphériques, où les églises assument des rôles qui devraient incomber à l’État. Une critique récurrente, expliquant que le camp progressiste n’a pas compris le rôle de ces institutions - en particulier dans les périphéries - permet de justifier la façon dont le bolsonarisme a obtenu un soutien massif de la part des évangéliques. Le nouveau gouvernement devra-t-il reconnaître les églises évangéliques comme des espaces qui ne sont plus seulement religieux, mais où l’on fait aussi de la politique ? Est-il possible de construire des politiques publiques au Brésil aujourd’hui sans les prendre en compte ?

Il est nécessaire de considérer que les églises - pas seulement évangéliques - sont des espaces importants de socialisation et de promotion des politiques de bien-être social. Il ne s’agit pas seulement de dialoguer sur le contenu des politiques publiques, mais avec qui construire ces politiques publiques.

Les espaces de dialogue devront être multiples. Ce ne sont plus seulement les syndicats, certaines associations de quartier ou les partis politiques. Il existe de multiples espaces associatifs dans les territoires, liés ou non aux églises. Groupes de jeunes, groupes de femmes, groupes d’aide sociale, mouvements de communication périphériques. Diverses formes d’organisations qui s’engagent dans la politique. Dans le domaine de la jeunesse, Regina Novaes, l’une des principales chercheuses sur ce front, attire l’attention sur les groupes de jeunes désintéressés, qui se considèrent comme évangéliques mais ne sont pas liés aux églises. Il y a donc une multiplicité de façons dont cette population évangélique croissante pratique sa foi. Ce serait une erreur de penser que le nouveau gouvernement Lula, en dialoguant avec les églises et les pasteurs évangéliques les plus emblématiques, parlera aux évangéliques.

Les évangéliques sont très vulnérables à la désinformation. Les dirigeants chrétiens et les groupes religieux sur WhatsApp ont contribué à la diffusion de fausses nouvelles à contenu politique et religieux. Il est très difficile de réfuter ce que le pasteur ou le prêtre a dit à ses fidèles. Et, comme si cela ne suffisait pas, en plus des réseaux de désinformation capillaires et bien articulés sur Internet, nous avons au Brésil de grands groupes religieux qui possèdent des télévisions, des radios et des systèmes de communication, comme c’est le cas de Rede Record, appartenant à l’Église universelle. Comment le prochain gouvernement peut-il résoudre ce problème de désinformation politique à caractère religieux ?

Cela a été fait, d’une certaine manière, par le TSE. Mais ce n’est pas un scénario qui peut être changé à court terme. L’architecture de la désinformation n’est pas nouvelle. Combien de chercheurs, qui analysent l’extrême droite dans le monde et le bolsonarisme au Brésil, ont prévenu avant l’élection de 2018 ? S’il y a une erreur que le camp progressiste a commise, c’est de sous-estimer cette architecture, sa capillarité et sa profondeur. Considérer cela comme quelque chose de limité aux personnes mal informées et aux groupes religieux obtus et ignorants. Cette élection a montré clairement qu’elle ne se limite pas à cela. Et que ces fake news adhèrent à la vie quotidienne de ces personnes.

Enfin, le poids de cette architecture, qui passe par de grandes entreprises numériques, des conglomérats de médias et des plateformes sur les réseaux sociaux, est plus clair. Et cela amènera les forces démocratiques du Brésil à s’en occuper, même si je ne vois pas encore de propositions claires pour y faire face.

Les espaces communautaires liés aux espaces religieux font également partie de la société civile. Nous devons dialoguer avec ces espaces et groupes religieux en tant que partenaires et bâtisseurs dans la lutte contre la désinformation. Il ne sera pas possible de combattre la désinformation uniquement de l’extérieur, en considérant les groupes religieux et les espaces communautaires autour des églises évangéliques comme quelque chose de distinct. Il faut les écouter, faire avec eux. Comprendre comment cette désinformation circule, quelle est l’adhérence, comment elle dialogue avec les réalités des gens.

Voir en ligne : Novo Brasil evangélico será desafio para o governo Lula

En couverture : Lula dans un meeting neo-pentecotiste.
Crédits : Ricardo Stuckert/PT

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