« La ville est bien celle de demain, mais travaillée d’images et de remords accumulés. Le risque, en perdant de nouveau le contact de l’histoire, est d’oublier le sens de la complexité des entrelacements urbains au profit d’une exploitation ou d’une gestion sophistiquées, sans doute, apparemment savantes, mais tout simplement linéaires » [1].
« Je regarde Brasília comme je regarde Rome : Brasília a commencé comme une simplification finale de ruines. Le lierre n’avait pas encore poussé. – Au-delà du vent il y a une autre chose qui souffle. On la reconnaît seulement dans la crispation surnaturelle du lac. – En n’importe quel lieu où l’on est debout, l’enfant peut tomber, en-dehors du monde. Brasília se situe au bord » [2].
Brasília : une comète est née en pleine modernité.
Qu’on l’ait arpentée un peu à pied ou majoritairement en voiture ; qu’on l’ait un jour vue sur petit ou grand écran ; qu’on en connaisse lointainement le mythe ou les plus concrets fondements ; que son nom suscite un semblant de fascination ou une réelle incompréhension, Brasília, dont le projet fut élu en 1957 et qui devint capitale du Brésil depuis son inauguration le 21 avril 1960, n’a eu de cesse d’incarner l’image de l’architecture moderne absolue, une image amenant résolument à en produire d’autres, comme projection d’un futur aussi permanent qu’imminent, solidaire des technologies en développement.
La concrétisation du projet de Lúcio Costa et Oscar Niemeyer pendant le mandat de Juscelino Kubitschek (1956-1961) en à peine trois ans, soit la durée d’un tournage au long cours, relevait d’un défi spatio-temporel de taille pour transformer l’image du Brésil, d’un sous-développement persistant à une modernité manifeste. En prenant en compte la rigidité de la structure de la ville, nous pourrions ajouter qu’il s’agissait davantage d’une imagibilité imposée aux habitants de ce nouveau pays, « selon une logique totalement contraire aux formes traditionnelles d’organisation urbaine au Brésil, calquées sur les modèles portugais de villes coloniales. » Le Plan pilote conçu par Lúcio Costa embrasse la forme d’un avion, induisant ainsi un dessin précis en temps satellitaire tout en divisant la ville de manière fonctionnaliste, les « ailes résidentielles » d’une part, au nord et au sud, au milieu desquelles passe l’« axe monumental » où sont situés la majorité des bâtiments administratifs et institutionnels. Il n’y a pas à Brasília de ligne de fuite qui n’ait été préalablement dessinée, de raccourci qui n’ait été déjà calculé, d’angle de bâtiment qui n’ait été anticipé. Comme le mentionne l’anthropologue James Holston, Brasília est « une image construite, non pas à partir des conditions brésiliennes existantes mais à partir du futur du pays.[8] » L’image de Brasília semble d’autant plus intouchable dans son essence que le Plan pilote a été déclaré « patrimoine de l’humanité » par l’UNESCO à la fin des années 1980, marque d’une modernité congelée.
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Claire Allouche, « Brasília filmée depuis sa périphérie. Le cinéma d’Adirley Queirós comme esthétique de l’auto-construction », Images secondes. [En ligne], 02 | 2020, mis en ligne le 1er mars 2020, URL : http://imagessecondes.fr/index.php/2020/02/21/le-cinema-d’adirley-queiros-comme-esthetique-de-l’auto-construction