Le Brésil, de retour à l’école Insuffisances : la pandémie est-elle seule en cause ?

 | Par Le Monde Diplomatique Brasil

Jamais auparavant nous n’avons eu autant de cas d’indiscipline et de manque d’empathie chez les jeunes et les adolescents. Serait-ce simplement la faute de la pandémie et des années où ils ont été privés d’interaction sociale ?

Sincèrement, je ne crois pas que ce soit le cas.

Traduction par Roger Guilloux pour Autres Brésils
Relecture par Felipe Kaiser Fernandes

Avec le retour aux cours en mode totalement présentiel, le déphasage dans l’apprentissage est devenu plus évident. En fait, même si la soi-disant génération Z est numérique, elle n’est toujours pas capable de se concentrer et de profiter de l’apprentissage à distance. Cependant, ce qui retient le plus l’attention des éducateurs que nous sommes va au-delà de ces premières impressions. Nous n’avons jamais eu autant de cas d’indiscipline et de manque d’empathie chez les jeunes et les adolescents.
En parlant avec d’autres éducateurs, nous constatons que le manque d’intérêt et de respect est plus élevé qu’auparavant. Un professeur d’éducation physique, par exemple, a signalé que les bagarres pendant les activités sont constantes, ce qui démontre clairement l’intolérance et le manque de sens collectif.

Mais la question que je pose est la suivante : la pandémie et les années sans interaction sociale sont-elles les seules responsables ? Sincèrement, je ne le crois pas.
Tout cela est aussi le reflet de la société, des familles qui suivent le scénario imposé par la norme de la famille hétérosexuelle ; la grande majorité étant incapable et non préparée à faire face à ses responsabilités parentales. Le comportement des enfants montre que les familles n’assumaient pas - et n’assument toujours pas ! - cette responsabilité à la maison, renforçant ce que nous constatons depuis longtemps : le manque d’attention et d’intérêt, de la part des géniteurs, pour l’éducation de leurs propres enfants, oblige les institutions scolaires et les éducateurs à assumer ces fonctions.

Il n’est donc pas étonnant que ces derniers aient commencé à donner un nom au stress présenté par les pères et les mères pendant cette période, le « burnout parental ». Bizarrement, ils affirment que l’environnement familial est devenu préjudiciable et stressant. Mettez tout cela ensemble et posez-vous la question suivante : ces personnes étaient-elles vraiment prêtes à assumer leur « responsabilité sociale » en matière d’éducation familiale ?

Je ne rejette pas la faute sur ces parents, mais la question doit être posée. Après tout, ces enfants, une fois mis au monde, ont besoin d’attention et de soins. Les reçoivent-ils ?

Ajoutez à cela les effets et séquelles laissés par le Covid-19, qui incluent la réduction du cerveau, notamment des zones de raisonnement, la perte de mémoire, le manque d’attention, l’anxiété, la dépression, et les dommages sont encore plus importants.
Il faut aussi mentionner l’utilisation excessive d’appareils électroniques. Une étude publiée en 2019 par le Comité brésilien de pilotage de l’Internet, montre qu’un quart des jeunes Brésiliens considèrent qu’ils restent connectés trop longtemps et ne parviennent pas à bien contrôler cette période devant les écrans qui déclenche des effets particulièrement dommageables au cours des deux premières décennies de leur vie. C’est justement à cette période de leur vie que l’on voit les mères et les pères proposer des écrans aux bébés et aux enfants pour qu’ils « restent tranquilles » !
Une étude de Rocha et al montre que chaque heure d’utilisation d’appareils électroniques diminuait considérablement les capacités de communication, de résolution de problèmes et de sociabilité des petits. Chez les plus jeunes, les circuits cérébraux génèrent une véritable dépendance chimique aux appareils électroniques.

D’un point de vue physiologique, l’influence négative que les écrans exercent sur le comportement durant le sommeil ne peut être exclue car la luminosité inhibe la production de mélatonine, une hormone importante induisant le sommeil. Lorsqu’il est endommagé, l’ensemble de l’équilibre physiologique (homéostasie) est compromis, y compris la capacité d’apprentissage. Il est également compromis par la consommation excessive d’aliments en raison de l’inhibition de la production d’autres hormones pendant le sommeil qui nous procurent la sensation de satiété, la leptine et la ghreline. L’hormone de croissance et d’autres qui sont fondamentales pour le renforcement du système immunitaire lui-même sont également affectées.

Et ce n’est pas tout : si nous associons tout cela à l’ingestion d’aliments ultra-transformés, qui augmentent de 45% les cas d’obésité chez les jeunes ainsi que des produits contaminés par un excès de pesticides, le chaos dans le développement des enfants et des adolescents est complet. Ces problèmes ne se limiteront pas à cette phase de la vie, mais auront un impact sur le développement et l’avenir même de la société. S’ajoutant aux problèmes de discrimination, il faut donc prêter attention aux problèmes de santé, aux arrêts de travail...

Bref, la question est grave.

Et pour nous, éducateurs, qui sommes confrontés à tout cela, c’est une tâche qui s’ajoute à celle de l’enseignement à proprement parler : gérer les conflits et les besoins familiaux. Nous ne nous abstiendrons jamais de telles tâches - même si elles ne relèvent pas toutes exclusivement de notre responsabilité - mais le fait est que nous sommes physiquement et émotionnellement épuisés. Et ce n’est que le début de l’année !

Pendant ces deux années où nous avons dû nous réinventer, que ce soit avec des cours en ligne, ou avec des cours hybrides, tout en étant suivis et même contrôlés par des pères et mères de famille qui surveillaient nos cours et cherchaient le moindre prétexte pour déformer ce que nous transmettions et nous accuser d’endoctrinement, nous n’avons eu aucun moment de tranquillité. La lutte contre le négationnisme scientifique, par exemple, était considérée comme un endoctrinement. La pratique d’une éducation libératrice et critique, également. Sans parler de la crainte constante d’une contamination due à la négligence des élèves qui s’obstinaient à ne pas respecter les normes de sécurité élémentaires comme l’utilisation de masques, par exemple.

La pandémie, qui aurait pu nous apprendre à être plus empathiques, n’a été qu’un triste moment de plus pour l’humanité. Nous espérions que la société s’améliorerait, qu’elle reverrait ses comportements et que les professionnels comme nous seraient enfin valorisés. Mais non. Les gens semblent n’avoir rien appris du tout. L’égoïsme reste toujours aussi fort.

Et les questions d’éducation relevant de la famille semblent avoir été totalement négligées et déléguées, une fois de plus, à l’institution scolaire. Comment enseigner les notions de base de la citoyenneté et de la vie en société lorsque la famille traditionnelle n’assume pas ses obligations ? Comment bien exercer cette fonction sans la reconnaissance due aux enseignants, sans l’arrêt de la persécution constante de la part des géniteurs ? S’agirait-il d’une génération perdue ? Qui sait, à quels traumatismes futurs elle devra faire face.

Des temps encore plus difficiles nous attendent.

**
Luiz Fernando Leal Padulla est professeur, biologiste, docteur en éthologie, maître ès sciences et spécialiste en bio-écologie et conservation. Auteur du blog et de la chaîne YouTube « Biólogo Socialista » et du podcast « PadullaCast ». Il a récemment publié le livre Um irritante necessário. Instagram : @BiologoSocialista

Voir en ligne : Educação em falta : só culpa da pandemia ?

En couverture : photo de Guilherme Baffi (Brasil de Fato)

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