La guérilla carcérale

 | Par Frei Betto

<img686|left> En quatre ans de prison, la dictature m’a contraint à en vivre deux parmi les prisonniers de droit commun. Trente-cinq ans après, le système carcéral n’est plus le même... parce qu’il a empiré.

Cette question n’est pas prioritaire pour le gouvernement, quand le paiement des intérêts de la dette publique diminue les ressources dont l’Union fédérale dispose. On investit seulement dans la construction de nouvelles prisons. La guérilla carcérale qui s’est déchaînée ce dernier week-end du 13 au 14 mai 2006 montre la précarité du système carcéral brésilien.

Si les grilles et les murs retiennent physiquement les prisonniers, les technologies électroniques et l’imprudence des autorités permettent que, de l’intérieur vers l’extérieur, se répandent des actions criminelles. Des téléphones portables pénètrent au cœur d’une corruption redoublée par les bas salaires des policiers et des geôliers sans qualification. D’autres détournent les yeux sous les menaces proférées à l’encontre de leurs familles, cibles des complices [extérieurs] des prisonniers. Les factions criminelles, au rayon d’action jadis limité à l’intérieur des prisons, ont aujourd’hui des ramifications dans la rue et sont commandées pour ce qui était auparavant de l’ordre de l’impensable : le crime organisé attaque la police !

São Paulo a vécu un week-end digne de l’Irak, où la police a été acculée par des tactiques de guérilla : attaques surprise, escarmouches, etc. Il est vrai que les réactions des autorités sont prisonnières d’un jargon éculé : imiter les Etats-Unis dans la construction des prisons (dites) indébordables ; légaliser la peine de mort ; augmenter les effectifs de la police militaire. Rien de tout cela ne se penche sur les causes de la criminalité, ni sur l’inefficacité de notre système carcéral.

Entre Rio et São Paulo, vivent de deux à trois millions de jeunes, âgés de 14 à 24 ans, qui n’ont pas achevé leur scolarité de base. Parmi ce contingent se recrutent 80% des assassins, et des assassinés. Il est clair qu’on ne combattra pas le crime sans promouvoir une éducation de qualité, mettant les enfants à l’école huit heures par jour*, et sans lutter contre le chômage. La violence germe moins sur la misère que sur le manque d’éducation. Elle est aussi nourrie par une culture belligérante, à l’image de celle des Etats-Unis, pays le plus violent au monde -bien que le plus riche-, dont les prisons sont peuplées par deux millions de personnes.

Notre régime carcéral ne se distingue guère de celui qui fut adopté pendant l’esclavage. On entasse les prisonniers dans des cachots exigus ; on mélange les auteurs de divers types de délits ; tous sont condamnés à l’oisiveté la plus explosive. Il n’y a pas de formation professionnelle, ni réduction des peines selon les progrès scolaires. Aucune activité culturelle telle que le théâtre, la peinture et la musique, point d’équipements et d’espaces adaptés à une saine pratique sportive.

Véritables gruyères, nos prisons sont truffées de trous par où entrent l’argent et les armes, les téléphones et la drogue. Le prisonnier est gardé, plutôt que rééduqué ; puni mais non récupéré. Le prix élevé de sa pénitence -dans un lieu pénitentiaire- n’est jamais l’absolution, mais bien l’exclusion sociale. Le prisonnier purge sa peine sans que le système ne prépare sa réinsertion sociale, pas plus que la société ne se dispose à l’accueillir. D’où les hauts indices de récidive. La cause de la criminalité, c’est l’inégalité sociale, qui tend à se réduire au Brésil depuis 2001. La violence intrinsèque aux structures sociales, telles que la propriété foncière agricole substantiellement archaïque, incite les exclus à se révolter. On cherche à feu et à sang cet « endroit au soleil » promu indistinctement par la propagande télévisuelle. Cette dernière socialise le droit de tous à un bonheur assuré par la consommation de marchandises. On ne saurait donc attendre d’un jeune appauvri le sens de l’abnégation face sa carence et à sa souffrance.

La drogue est le moyen le plus à portée de main pour s’évader de cette réalité, soit de par « l’enchantement » qu’elle procure, soit parce qu’elle attire l’argent facilement gagné. Et pourquoi donc faudrait-il se soumettre à la loi, quand des politiciens corrompus et criminels en col blanc restent en liberté ? Si la mort est certaine et la vie manque de sens, pourquoi craindre la loi du talion ? Celle-ci devient redoutable quand la société et la police s’en réclament, comme si l’extirpation du crime résultait simplement de l’élimination des bandits.

Il faut absolument libérer les ressources publiques emprisonnées par un ajustement fiscal excessif et multiplier l’investissement dans l’éducation et la réforme du système carcéral. Sinon, la police elle-même se verra imprégnée de cette terreur qui frappe la population de nos grandes villes : la crainte de descendre dans la rue.

* Les carences de l’enseignement brésilien sont telles que les enfants ne sont admis à l’école que par demie-journées, à tour de rôle [NdT]


Par Frei Betto - Folha de São Paulo - 16 mai 2006

Traduction : Etienne Henry pour Autres Brésils


Carlos Alberto Libânio Christo, ou Frei Betto, âgé de 61 ans, est dominicain et écrivain, auteur entre autres de Típicos Tipos (éd. A Girafa), qui a obtenu le prix Jabuti en 2005. Il a été conseiller spécial de la Présidence de la République fédérative du Brésil (2003-2004). La valeur de son témoignage est renforcée par la persécution qu’il a personnellement vécue sous le gouvernement militaire (1964-83).

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