L’enfer sans terre

 | Par Alirio Bervian, EcoRev’, François Glory

Alirio Bervian et François Glory connaissaient bien Dorothy Stang, la sœur assassinée dans l’Etat du Para parce qu’elle dirigeait un projet d’utilisation durable de la forêt. Ces deux prêtres sont membres de la Commission pastorale de la Terre (CPT), organisation catholique issue de la Théologie de la Libération, un courant de l’Eglise très engagé auprès des mouvements sociaux. François Glory, un Français, a longtemps été le coordinateur de la CPT pour la région de la Transamazonienne. Le père Alirio Bervian travaille toujours dans cette zone où les conflits pour la terre sont innombrables. Selon eux, la confusion s’est accentuée depuis l’arrivée de Lula au pouvoir.

EcoRev’ - Que nous apprend la mort de la sœur Dorothy sur la situation politique en Amazonie ?

François Glory - La politique, c’est comme un ordinateur : quand deux programmes fonctionnent en même temps, cela ne marche pas. Le territoire sur lequel travaillait la sœur Dorothy avait été cédé par la Sudam (une agence de développement de l’Amazonie dissoute suite à des affaires de corruption) à un fermier qui n’y a jamais rien fait. Lorsque Lula est arrivé, tout le monde s’est exclamé : « le gouvernement est à nous ! » C’est vrai qu’il développe du micro-crédit et des projets sociaux pour financer les petits agriculteurs.

Dorothy Stang venait d’obtenir l’appui du gouvernement pour installer 60 familles en projet de développement durable, avec agriculture familiale et exploitation durable de la forêt. Mais dans le même temps, le gouvernement soutient financièrement les gros fazendeiros (fermiers) au nom de la modernisation de l’agriculture, pour faire du Brésil un champion. La terre est donc vendue au secteur le plus dynamique, le soja. Même l’Incra (Institut de la réforme agraire) qui devrait protéger les petits agriculteurs, accorde des terres aux planteurs de soja, souvent alliés aux trafiquants de bois. Qui eux même payent les députés...

Dorothy a mis le doigt sur ces conflits et a tenté de résister contre ces intérêts. Le commanditaire de son assassinat est représentatif d’un petit groupe intermédiaire qui tente de s’approprier les terres pour les revendre ensuite aux plus offrants. Mais sa mort n’est pas isolée : deux syndicalistes ont encore été tués depuis.

La situation est donc très difficile aujourd’hui : en plus des conflits traditionnels entre fazendeiros locaux, grileiros (qui s’approprient illégalement des terres) et petits agriculteurs, nous avons désormais l’intervention du lobby du soja. Aussi incroyable que cela paraisse, il y a plus de conflits que sous Cardoso, car les petits agriculteurs et les sans-terre osent affronter les fazendeiros, pensant que le gouvernement va les appuyer. Mais ce n’est pas le cas, et l’impasse est terrible. Dans l’Etat du Maranhão où j’enseigne, les militants de la CPT et même du Parti des Travailleurs ne supportent plus d’entendre le nom de Lula : c’est selon eux un traître qui n’a pas hésité à s’allier aux Sarney (la famille de José Sarney, l’ancien président de la République, gouverne le Maranhão depuis des décennies), les plus grands grileiros de l’Etat.

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