El Pais Brasil ferme et le journalisme se réinvente

 | Par Observatório da Imprensa

La fermeture de l’édition brésilienne du journal espagnol El País met à nouveau en évidence qu’une réinvention du journalisme est inévitable et confirme le fait que la révision du modèle actuel de la presse doit commencer par la récupération des publications locales dans la majorité des villes au Brésil et dans le monde.

Traduction pour Autres Brésils : Pascale Vigier
Relecture : Marie-Hélène Bernadet

La fin d’El País Brésil démontre que des journaux sont confrontés à une énorme difficulté pour résoudre un dilemme créé par internet, comparable à une monnaie à deux faces : compter sur le lecteur comme principal subside financier, après des décennies de dépendance à l’égard de la publicité payée et, simultanément, conquérir la confiance de ce même lecteur en le plaçant au centre d’un nouveau programme d’actualités après des années de traitement périphérique.

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Le journal espagnol n’est pas le premier et ne sera pas le dernier à en passer par ce type de calvaire financier et éditorial, suscité par la crise du modèle de presse surgi au XIXe siècle. La cause de la mort de la presque totalité des grands titres intégrés dans le cimetière de la presse mondiale est due à des problèmes financiers et administratifs. L’aspect économique a dominé le souci de la diversité de l’information et les besoins des lecteurs, des auditeurs et des téléspectateurs.

L’énorme difficulté à répondre à la dichotomie entre finance et information affaiblit peu à peu les grands journaux au Brésil et dans le reste du monde, en les précipitant vers un piège, généralement fatal : renvoyer des journalistes pour affronter la baisse de recettes. En pratique, ce phénomène expédie l’entreprise dans les bras d’investisseurs financiers. Comme la presse a cessé d’être une machine à produire de l’argent, les nouveaux patrons des grands ensembles poussent à un dégraissage radical des journaux qu’ils contrôlent avant de les réduire en miettes, là où seuls les biens immobiliers ont une quelconque valeur économique.
Le groupe El País a été acheté par le groupe financier français Vivendi qui, voyant que l’édition brésilienne du journal espagnol ne rapportait pas, résolut simplement de s’en défaire.

La grande question

Très brièvement, il s’agit du scénario déjà rencontré par des journaux centenaires, aux États-Unis et en Europe. Les problèmes financiers qui ont amené et amènent encore les anciens patrons de grands journaux à vendre leurs entreprises sont sans solution pratique à première vue, sauf pour des cas tels que The New York Times, The Guardian, O Globo et encore une douzaine de titres prépondérants dans leurs pays respectifs. Pour le reste des journaux, le futur est sombre, dans un contexte où l’information journalistique devient un service de plus en plus essentiel à un public en manque de nouvelles fiables au milieu du chaos d’internet.

Ce qui nous amène à une question : si le journalisme continue à dépendre des grands titres, comment réussira-t-il à survivre à la crise qui, rien qu’aux États-Unis, a déjà fermé 1800 journaux imprimés ?

La réponse mobilise des centaines de chercheurs, la plupart indépendants, dans le monde entier. Leurs travaux orientent de plus en plus vers une revitalisation du journalisme local, même très localisé, au moyen d’une stratégie s’efforçant d’établir, dans un souci uniquement éditorial, des liens économiques et une programmation citoyenne. Avec la nouvelle conjoncture de l’information créée par internet, la fidélisation du lecteur par la programmation des nouvelles devient un élément essentiel à la subsistance économique d’une entreprise journalistique.

Le programme des grands journaux est fondamentalement lié à deux parties de l’élite politico-économique du pays : le secteur de la finance et de l’entreprise qui possède l’argent dont la presse a besoin pour tenter de survivre à la crise générée par la numérisation ; et le secteur politico/gouvernemental, un vieil allié des grands groupes de médias et qui garantit une participation stratégique dans la prise de grandes décisions.

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Le journalisme local comme pari pour sa régénération

Il est facile de percevoir que le commun du public occupe une place périphérique dans ce programme, parce que ses intérêts sont autres ; or c’est une des raisons qui ont causé la migration de lecteurs vers internet. La multiplication des “déserts de l’information” (villes dénuées de journal) crée une demande de nouvelles fiables auxquelles seules des initiatives locales peuvent répondre, car les grands journaux ne pensent qu’à leur survie.

Dans ce contexte, l’idée se fait jour que le journalisme local est une alternative plus efficace pour rétablir une relation de confiance réciproque avec le lecteur à travers un programme de nouvelles fondé en priorité sur les intérêts et les besoins directement exprimés par le public. Cet engagement réciproque servira aussi de base pour que le commun des mortels se transforme en principal responsable de la subsistance financière d’une entreprise journalistique locale.

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Il s’agit de réinitier la relation entre individu et journalisme à partir d’identités, de connaissances et de relations locales qui serviront de base à l’exploration de solutions spécifiques à chaque communauté. La proximité sociale et géographique des petites et moyennes villes favorise ce type de relation, à partir de laquelle il sera possible de gérer une accumulation d’expériences qui serviront à réinventer aussi le journalisme au niveau régional et national. C’est essentiellement une réinsertion du journalisme dans le quotidien des personnes.

Cependant, pour que cela puisse advenir, les projets locaux, voire très localisés (centrés sur des quartiers ou même des rues) doivent assumer une nouvelle attitude face aux lecteurs. L’ancienne posture du journaliste qui croit savoir ce qui est bien pour les gens n’a plus de sens, parce que la réalité est devenue trop complexe pour trouver des réponses à tous les problèmes d’une ville. Désormais l’attitude adéquate est une participation entre professionnels et public. Une participation à deux visages indissociables : financier parce que la population sera la principale responsable de tout projet de journalisme tourné vers l’intérêt de cette même population ; et informatif parce que le journalisme pourra difficilement répondre seul à toute la demande de nouvelles d’une communauté, même petite.

Carlos Castilho est journaliste, docteur en Ingénierie et Gestion des connaissances de l’École de Gestion et de Commerce de l’Université fédérale de San Carlos. Professeur de journalisme en ligne et chercheur en communication communautaire, il habite dans l’État de Rio Grande do Sul.

Voir en ligne : O caso El País e a reinvenção do jornalismo

Couverture : Montage Autres Brésils

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