Daniel Munduruku : “Les seuls communistes au Brésil se nomment peuples autochtones”

 | Par ECOA - UOL, Fred Di Giacomo

Traduction pour Autres Brésils : Pascale Vigier
Relecture : Renata Mattos Avril

“Quand j’ai vu que la première action du gouvernement a consisté à diviser la FUNAI (Fondation nationale de l’indien) entre deux ministères (le ministère de la Famille avec la folle de la goyave [1] et le ministère de l’Agriculture avec la folle du bulldozer [2] ), j’ai compris qu’il s’agissait de la chasse aux derniers socialistes. Jamais au Brésil il n’y a eu de socialisme, jamais il n’y a eu de communisme, jamais il n’y a eu une expérience de ce genre pour que vous disiez ‘je vais chasser les communistes’. Les seuls communistes au Brésil se nomment peuples autochtones. Ce sont eux qui ne perpétuent pas la propriété privée, qui sont favorables au collectif, qui ont un mode de vie simple, qui partagent tout entre eux. J’ai compris ici quels socialistes étaient poursuivis [par le gouvernement Bolsonaro]. Ceux qui barrent encore la frontière au capitalisme, ceux qui la heurtent de front. C’est la dernière frontière à conquérir. C’est ce que les militaires ont essayé de faire, dans les années 70, et ils n’ont pas réussi. En ce sens, nous sommes, nous, les derniers socialistes.”

Daniel Munduruku, âgé de 56 ans, est doublement socialiste, selon sa conception : par sa naissance et par choix. Autochtone du peuple Munduruku, Daniel est né à Belém, et a passé les sept premières années de sa vie dans le village de Maracanã, dans l’intérieur du Pará. Fin 2019, un voisin de la petite ville de Lorena (état de São Paulo) où il vit actuellement est venu le chercher. Ce voisin, un portugais affilié au Parti communiste du Brésil (PC do B), avait pour mission de former un groupe de conseillers municipaux de gauche ayant des chances d’être élus à la municipalité de l’intérieur de l’état de São Paulo.

Munduruku ne s’est pas fait prier, il a dit qu’il ne se porterait candidat pour rien de moins que maire. Accord conclu, il adhéra au PC du Brésil et est, ainsi, pré-candidat à la municipalité de Lorena. Il dit, confiant, qu’il va gagner : “J’ai toujours eu envie de tenter ce truc [la politique de parti]. En effet on parle toujours très mal des politiciens, mais en réalité il n’est possible de changer quelque chose, en termes de politiques publiques, que dans la mesure où on est homme ou femme politique”.

Père ou Pajé [3] ?

Vivant dans la banlieue de Belém, dans le quartier de Sacramenta, Munduruku a été “un enfant heureux, c’est-à-dire, comme tous devraient l’être”, grimpant aux manguiers en fleur qui lui donnaient de délicieux fruits, et s’amusant à planter les pieds dans les cours du voisinage. Les mauvais souvenirs surgissent quand l’école des blancs lui vient à l’esprit. Bien que tous là lui ressemblent, Daniel a été désigné comme “indien” par les camarades, parce qu’il venait d’un village de l’extérieur de Belém. Au début, il n’a pas compris ce mot “indien”. Ni non plus les rires des garçons qui avaient en commun avec lui une peau bronzée, des yeux en amande, des cheveux noirs raides.

Il ne savait pas ce qu’était être “indien”, il avait l’habitude de penser même que c’était être “quelqu’un”. Il a alors réfléchi que “indien” était le nom d’un petit oiseau qu’il ne connaissait pas encore, jusqu’à ce qu’il comprenne que la plaisanterie dont tous riaient, c’était lui. Dans son livre Memórias de índio : uma quase autobiografia (Edelbra, 2016, Mémoires d’Indien : une presque autobiographie, non traduit), il existe un chapitre intitulé “Je n’ai jamais aimé être indien”, qui raconte le harcèlement pesant et la discrimination raciale dont Munduruku a été l’objet dans l’enfance.

Daniel a étudié toute sa vie dans des écoles de pères salésiens, où il a appris le métier d’imprimeur offset. À quinze ans il est devenu novice. Ravi du travail social de l’ordre de Don Bosco, le jeune garçon aux jambes rapides, entraînées dans la campagne et les cours, et aussi bon au ballon, a décidé d’être père.

Le jeune Daniel Munduruku prêt pour une partie de ballon (Photo : Archive personnelle)

À “l’École Salésienne du Travail”, où les enfants arrivaient de jour et restaient jusqu’à la nuit, les élèves rendaient aussi de petits services comme laver la vaisselle et aider au nettoyage. Lors d’une de ces incursions, en allant nettoyer la bibliothèque des pères, les yeux de Munduruku se sont dessillés devant les livres. Cependant le leader autochtone avoue que jusqu’à maintenant il n’est pas un lecteur acharné :
“Je préfère regarder la télévision”.
“Sérieusement ? Et qu’aimez-vous voir à la télévision ?”
“Des films d’action. J’en raffole”.

De là l’inspiration de Munduruku pour les aventures amérindiennes, comme O Olho da águia (Leya, 2013, L’Œil de l’aigle, non traduit), primitivement conçu comme un scénario cinématographique, et O Karaíba : uma história do pré-Brasil (Melhoramentos, 2010, Le Karaíba : une histoire du pré-Brésil, non traduit) – qui conte, de façon captivante, la vie des tupinambás avant l’arrivée des européens. Les Caraíbas étaient des pajés nomades qui circulaient de village en village en faisant des prophéties, et, dans le cas des guaranis, ils promettaient de trouver la “Terre sans douleurs”. Entre Dieu et Tupã [4] , les sacerdotes détiennent un rôle important dans la littérature de cet autochtone, qui est presque devenu lui-même un prêtre de la religion des blancs.

“Le garçon qui ne savait pas rêver est le conte qui ouvre [mon premier] livre Histórias de Índio (Companhia das Letrinhas, 1996, Histoires d’Indien, non traduit). C’est un garçon ayant un don pour être pajé, mais né avec un défaut de conception : il ne savait pas rêver. Or une des caractéristiques d’un pajé munduruku est de pouvoir rêver. Il doit posséder ce don d’interpréter les songes. Parmi les munduruku tous les garçons naissent avec le don de “pajelança”. Leurs mères vont trouver le pajé, à leur naissance, demander qu’ils ne dilapident pas ce don.”

Le jeune Munduruku – né avec un don pour être pajé, pourtant – voulait devenir saint. Il se consacrait aux sports, était très timide, n’avait pas le pied citadin. Aujourd’hui il hésite : “Je ne peux dire que je ne crois pas en Dieu, et pourtant je ne crois pas. Je sais qu’il existe une force au-delà de nous. Elle est dans la forêt, elle est dans la nature, dans le coucher du soleil.”

Après être sorti du séminaire, terminant la faculté salésienne de Manaus, il se mit à donner des leçons. Il lui a fallu, cependant, une validation de son diplôme de séminariste pour continuer comme professeur. À Lorena, où il a fait son noviciat, il a terminé des études de pédagogie dans une des facultés des Salésiens, a été diplômé pour donner des cours de psychologie et d’histoire. Dans la ville de l’intérieur de São Paulo, il est tombé amoureux et s’est marié vierge, à plus de vingt ans.

L’homme aux 53 livres

Daniel Munduruku tire gloire du nombre impressionnant de 53 livres écrits et publiés en 56 ans d’existence. “J’écris n’importe où. En général, les histoires me viennent d’un seul coup. Je n’ai jamais été très organisé pour cela.” Après avoir été dispensé de sa maîtrise ponctuée d’une série de perturbations, y compris la mort de sa directrice, Daniel a passé son doctorat à l’Université de São Paulo. Le docteur Munduruku, l’éducateur, a été celui qui a donné le jour à l’écrivain Daniel Munduruku.

“Je n’avais pas vraiment l’intention d’écrire et publier. J’avais commencé à raconter des histoires dans les écoles et les enfants me posaient des questions toujours plus embarrassantes, le propre des enfants. Une fillette m’a demandé une fois où je trouvais ces histoires à lire. Et je ne savais pas répondre à cette question. Une petite lumière s’alluma alors dans ma tête : si ces histoires ne sont pas racontées, pourquoi ne pas les raconter ? Pourquoi ne pas les écrire ?”.

Couverture du livre Histórias de índio, de Daniel Munduruku (Photo : Divulgação/Histórias de índio)

Celle qui a ouvert la voie pour que ce livre semé devienne un épais foisonnement d’œuvres littéraires fut l’historienne et écrivaine Lilia Schwarcz, une des fondatrices de la Companhia das Letras, professeur de Daniel à l’Université de São Paulo. La prestigieuse maison d’édition a lancé le livre pour enfants Histórias de índio, début de Munduruku dans la littérature, en 1996.
Naissait alors la spécialité à succès de la littérature pour enfants et jeunes écrite par des auteurs locaux et comprenant les travaux des auteurs tels que Lia Minapoty, Olívio Jekupé, Eliane Potiguara, Kaká Werá, entre autres. “J’ai été pratiquement à l’origine d’une foule d’écrivains de livres pour enfants”.

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En ce début, Daniel ne possédait pas d’expérience des techniques narratives et a eu besoin de l’aide d’une écrivaine plus expérimentée (Heloísa Prieto) pour finaliser ses textes. Sa littérature buvait à l’antique et abondante source de l’oralité. Dans une interview pour le journal de l’Etat de Minas O Tempo, Munduruku s’exprime :

“Si nous nous imaginons comme lecture du monde (qui se manifeste par la danse, par la musique, par le chant, par le graphisme), je dirais qu’elle est bien antérieure à la conception de la littérature occidentale. Je le dis parce que je soutiens que l’écriture autochtone est uniquement une manifestation de la mémoire ancestrale et que la véritable littérature est formée par l’ensemble des manifestations exprimées par le corps. C’est cet ensemble holistique que j’appelle littérature autochtone”.

Pionnier de la littérature autochtone contemporaine, Daniel est un grand organisateur, et il se saisit avec enthousiasme des élections de 2020 pour se présenter non seulement lui comme maire de Lorena, mais aussi l’écrivaine géographe autochtone Márcia Kambeba comme conseillère municipale pour le PSOL [5] , parmi d’autres candidatures d’activistes autochtones qu’il énumère. “Il faut que nous occupions la place. Nous avons un groupe assez important qui est prêt à concourir à un poste. Il est possible que nous soyons élus et formions un mouvement des autochtones en politique. Que les plus jeunes soient encouragés à avoir confiance”. Son engagement de parti est en relation avec “le coup d’état contre Dilma” et les attaques de Bolsonaro envers les peuples autochtones. “Durant les 13 ans de pouvoir du PT le nombre d’universités a beaucoup augmenté, le nombre de noirs dans la politique a beaucoup augmenté, le nombre d’autochtones dans les universités a beaucoup augmenté. La culture africaine et la culture autochtone se trouvaient mieux valorisées et vues comme art. Ces changements gênent parce qu’ils sont un revers de fortune. Et quand la fortune a tendance à tourner, la minorité [plus riche] commence à se sentir mal à l’aise et à manipuler l’esprit des gens”.

Conteur de vie de pajés et de caraíbas, et ancien aspirant-père, Daniel s’approche de la fin de l’entrevue par un propos sur la foi : “J’ai choisi d’être professeur parce que je crois que le professeur est celui qui enseigne une croyance aux personnes. J’enseigne ma croyance en l’humanité. Cela ne signifie pas que je sois optimiste. Mon intention n’est pas de changer quoi que ce soit, c’est de provoquer. Provoquer les personnes qui désirent changer. Mais si elles ne veulent pas changer, eh bien, c’est leur problème”.

Voir en ligne : Daniel Munduruku : “Únicos comunistas no Brasil chamam-se povos indígenas”

Photo de Couverture : L’écrivain Daniel Munduruku

[1Allusion à Damares Alves, ministre de la Famille, qui raconte avoir vu Jésus, tandis que, perchée sur un goyavier, elle avait envie de mourir.

[2La ministre Tereza Cristina da Costa Dias est favorable à la construction de routes et à la réduction de la démarcation des terres des autochtones.

[3Le Pajé, sorte de chamane, pratique une médecine autochtone traditionnelle et assume un rôle de lien entre les membres de la tribu.

[4Divinité autochtone qui représente le souffle de la vie.

[5Parti Socialisme et Liberté, fondé en 2004, branche dissidente du Parti des Travailleurs (PT) de Lula. Il draine un électorat qui va du centre gauche à l’extrême-gauche.

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