Le Centre de Documentation des Langues Indigènes (Celin) du Musée National (MN) est parvenu à restaurer des manuscrits inédits concernants la tribu Yawalapiti, du Haut-Xingu. Il s’agit de carnets de terrain datant de 1976, issus d’une recherche intégrée au projet “Études Synchroniques de Langues Indigènes du Haut-Xingu”.
Dans une interview à BBC Brasil, Tapí Yawalapiti, étudiant autochtone en linguistique, associé au travail, précise qu’il ne connaissais pas les carnets qui étaient catalogués au Musée National. Les personnes parlant la langue Yawalapiti ont petit à petit disparu, au fur et à mesure de l’intégration des langues voisines à la vie du village. Lorsque Tapí est né, en 1977, il y avait 20 locuteurs de Yawalapiti."Il est de ma responsabilité de revitaliser la langue maternelle de mon peuple. Si elle disparaît, nous perdons une partie de la culture. La langue est l’identité du peuple", dit-il.
Tapí Yawalapiti est le fils de Aritana, 76 ans, cacique de son peuple. Tapí, 43 ans fait un master en linguistique à l’Université de Brasilia (UnB)."Mon père et moi voulons voir les enfants parler notre langue. Les jeunes sont intéressés. Ils ont juste besoin de la grammaire", dit Tapí, qui en plus de yawalapiti, parle portugais, kalapalo, kamaiurá et kuikuro. Le rôle de leader dans la tribu n’est pas gratuit : il a été choisi par son père, Aritana, et le chef Raoni Metuktire, comme prochain cacique du peuple Xingu.
Les manuscrits ont échappé à l’incendie qui avait ravagé le Palais Impérial de São Cristóvão [1] en 2018. Un an plus tard, ils ont pu bénéficier d’un processus de restauration digital [2], et d’un traitement éditorial et artisitique. Le résultat, mis à disposition du public sous forme d’un livre de 257 pages, dévoile une vaste documentation linguistique du Yawalapiti. Les premiers recueils de cette langue furent effectués em 1894 par l’ethnologue allemand Karl von den Steinen.
Le village Yawalapiti est situé sur les berges du rio Tuatuari, dans le Mato Grosso, et n’est peuplé que de 262 individus. Dans le Haut-Xingu vivent aussi les ethnies Aweti, Kalapalo, Kamaiurá, Kuikuro, Matipu, Mehinako, Nahukuá, Naruvotu, Trumai et Wauja.
Continuité
Tout comme les langues Waurá et Mehinaku, la langue Yawalapiti appartient à la famille Aruak. Pour Charlotte Emmerich, professeure titulaire à la retraite du MN et coordinatrice du projet qui est à l’origine du recensement, la divulgation de ce corpus linguistique est important “car il s’agit d’une langue encore peu connue et très peu étudiée”. Elle écrit, en préface de l’ouvrage :
“La vie et la vitalité de la langue et de ses locuteurs sont indubitablement d’une importance primordiale pour la culture, la mémoire et l’histoire d’un peuple. Considérant qu’il est fait mention des Yawalapitis depuis le tout début des premiers contacts, comme d’un groupe ethnique important, présent dans la région du Haut-Xingu, tout effort en faveur de leur vie, de leur culture et de leur revitalisation linguistique est éminament précieux”.
Marília Facó, professeure du MN et conservatrice des collections linguistiques de la bibliothèque, rappelle que de nombreuses langues, de par le monde, sont actuellement menacées d’extinction et par conséquent, de nombreux peuples autochtones développent des politiques pour faire face à cette situation. “Il s’agit d’actions visant à revitaliser ces langues dans lesquelles sont ancrées leurs épistémologies, leurs savoirs, leur mémoire, leur culture”, explique-t-elle. Les Yawalapitis se trouvent dans ce groupe-là. Donc, ce corpus linguistique qui date de 40 ans peut faire la différence.
La récupération des cahiers du Musée national s’inscrit dans cette logique, explique Marilia Facó. "Les Yawalapiti peuvent s’approprier l’œuvre pour la corriger, la modifier, la commenter, la discuter. Cela fait partie du processus de revitalisation, de rétablissement".
“Considérant qu’aujourd’hui, le nombre d’érudits, membres de ces peuples natifs, est en constante augmentation, il n’est pas difficile de juger de l’impact positif d’une publication comme celle-ci pour les peuples autochtones eux-mêmes, qu’il s’agisse du peuple dont la langue est mise en lumière ou qu’il s’agisse d’un autre, comme un exemple et une source d’inspiration – ce qui inclus tous les peuples du Haut-Xingu et d’autres régions”, observe-t-elle.
Divulgation
La restauration de ces manuscrits fait partie intégrante des actions de conservation du Celin et vient s’ajouter à d’autres activités du Secteur de Linguistique du MN, telle que la divulgation scientifique. Le producteur culturel Nicolas Alexandria, l’un des responsables de ces activités, voit dans cette publication un encouragement vers d’autres initiatives.
“Nous sommes très heureux du sauvetage du matériau linguistique des Yawalapiti. Il nous faut valoriser les initiatives des peuples indigènes eux-mêmes, avec leur protagonisme, pour la préservation de leurs langues et de leurs cultures. Ce que nous faisons au Secteur de Linguistique, c’est une recherche d’intersection positive entre notre production culturelle et celle des indigènes du/au Brésil, avec une production scientifique de pointe, tout en favorisant l’insertion d’étudiants indigènes dans l’univers académique” affirme-t-il.
Le livre Documentos do Projeto Estudo Sincrônico de Línguas Indígenas do Alto Xingu : http://www.museunacional.ufrj.br/dir/celin/docs/estudo_sincronico_linguas_indigenas_alto_xingu.pdf
Tapí Yawalapiti affirme que le travail des chercheurs non-autochtones est important, mais que l’interaction avec les villages est nécessaire. "Tout travail scientifique doit avoir un rendement", dit-il. "Il faut porter ces écrits aux caciques, à la communauté. Les enseignants autochtones peuvent travailler avec l’écriture et l’enregistrement de la langue maternelle et de la langue paternelle".Il n’attend que le retour des activités de l’UnB, suspendues par la pandémie de Covid-19, pour présenter son mémoire de Master et préparer son doctorat. Il est confiant dans la survie et la revitalisation de sa langue, qui peut déjà être entendue, bien que timidement, parmi les plus jeunes du village.