Amazonie : agro-écologie féministe contre latifundios

 | Par Bob Barbosa

Source : http://outraspalavras.net/outrasmidias/destaque-outras-midias/na-amazonia-agroecologia-feminista-contra-o-latifundio/

Auteur : Bob Barbosa
Date de parution : 13/07/2017
Traduction : Roger Guilloux
Relecture : Pascale Vigier

Animatrice d’exception au Pará – État où les grands propriétaires terriens tuent et dévastent la nature — , une association rurale montre que l’être humain peut vivre en harmonie avec la forêt et que le machisme caboclo cède également du terrain.

« Ici, en ville, mon terrain est petit : 15 mètres devant sur 100 mètres de profondeur. Sur cet espace, je produis différentes cultures. Tout ce que je trouve, je le plante. J’ai des fruits de la passion, des cupus [c’est la même chose que le cupuaçu], des baies d’açai, des pejibayes, des bananes…, Finalement une grande variété de fruits dans mon jardin ainsi qu’un élevage de poules. Et là, sur mon terrain, à la campagne, on plante du riz, du maïs, de la banane, des variétés de manioc (macaxeira, maniva), vous comprenez. De là, je retire également le cupu et le café. Je consomme peu de chose en provenance du commerce. Ma production est en premier lieu destinée à ma table, à celle du voisin ensuite. D’abord, mon alimentation, l’excédent, on le sépare pour le vendre, pour acheter ce dont on a besoin. »

Maria Irlanda de Almeida, 56 ans, qui est de la communauté de Tauari, à l’intérieur de la Forêt Nationale [1] Tapajos, possède un terrain de 100 hectares sur la commune de Belterra, le long de la route BR-163 [2] . Elle dispose également d’un petit terrain en zone urbaine et fait partie d’Amabela, l’Association des femmes, travailleuses rurales de la commune de Belterra, à l’intérieur du Pará.

Dans ce reportage, les agricultrices nous disent que le fait de s’organiser également entre femmes uniquement, leur a donné une autonomie, vis-à-vis de leurs compagnons, par exemple. Cette émancipation se doit en partie au fait de pouvoir commercialiser leurs productions, non seulement en vue d’un bénéfice financier mais également en raison de la possibilité de sortir de chez soi, connaître d’autres personnes, de nouveaux horizons.

L’un des défis pour ces travailleuses rurales d’Amabela, c’est l’écoulement de l’excédent de production, assurant la commercialisation de ce qu’elles produisent.

L’agricultrice Selma Ferreira estime que « la majorité de nos femmes travaillent dans la ville de Belterra et que l’idée de jardin potager leur convient dans la mesure où elles sont à la fois rurales et citadines. Elles plantent à l’intérieur de leurs jardins, un espace pour les fleurs, un autre pour les fruits, le poulailler, un peu de tout. Des produits du jardin, elles retirent leurs propres aliments ».

Mais, selon Selma, elles donnent, échangent avec les voisines et vendent pour améliorer un peu le revenu de la famille. Ainsi, les femmes emportent leurs produits sur les marchés pour les commercialiser, elles vendent aussi chez elles.

« Aujourd’hui, nous avons un local, le ‘Cantinho de l’Amabela’ [3] qui se situe à l’intérieur de Centre touristique de Belterra, à côté de la mairie. Là nous vendons notre artisanat, nos cultures, nos fruits, nos semences, nos aliments, nos saveurs. »

Tous les jeudis, par exemple, elles se rendent à Santarém qui est à 51 kms pour participer au Marché de l’agriculture familiale de l’Ufopa (Université fédérale de l’ouest du Pará) où l’on trouve, en plus des produits d’Amabela, une production agricole extractiviste et subventionnée, de Santarém et Mojuí dos campos.

« Pour le marché à l’Ufopa, on emmène un peu de tout : biscuits, liqueur locale, œufs, beijo, pé de muleque [4] , gâteaux, tout ce que l’on réussit à faire dans l’agriculture familiale. On emmène ce que l’on produit. Pour le marché, on y va avec un groupe de huit femmes d’Amabela. On part d’ici, de Belterra, à 5 heures du matin en camionnette et on arrive à Santarém à 6 heures 30. Quand on arrive là, on met nos produits dans une brouette et on les emmène à l’Ufopa où ils seront vendus. Ça, c’est la partie la plus difficile » nous dit Lindalva Castro.

Maria Irlanda ajoute que « grâce à Amabela, on a déjà eu plusieurs opportunités, en ce qui concerne la vente, d’exposer notre production dans plusieurs endroits. Ici, au CAT (Centre d’Accueil du Touriste), par exemple, on a cette possibilité que nous a donnée la mairie de Belterra. On est venu dans cet espace et on y a amené notre production. Avec l’Amabela également, on participe aux cours, aux formations qui se présentent.

Sandra da Silva, l’agricultrice, qui s’est remise à aimer l’agriculture après avoir rejoint l’association, insiste sur l’importance des formations. « J’ai déjà suivi quelques cours proposés par Amabela : sur les plantes médicinales, l’élevage des poules caipiras [5] , la manière de planter les légumes, de fabriquer des sandales en caoutchouc ; j’ai beaucoup aimé et il y en a encore d’autres que j’aimerais faire pour que l’on puisse améliorer notre capacité à se développer. »

Avec l’appui de la Casa Familiar Rural [6] , Amabela réalise également l’exposition « Semences, Saveurs et Savoirs » où les agricultrices présentent ensemble les semences qui se sont adaptées à la région montrant l’importance de les incorporer à la production locale. Autre appui important, celui de la mairie qui cède un espace dans le Centre d’Accueil du Touriste et leur offre un local permanent pour la vente de leurs produits.

Rompre les barrières

Mais pourquoi une association composée uniquement de femmes agricultrices ?

Éducatrice en milieu populaire de Fase Amazônia [7] qui accompagne Amabela depuis son origine, Sara Pereira rappelle que « dans les programmes de formation, on s’est rendu compte – et les femmes aussi – qu’il existe bon nombre de demandes qui leur sont spécifiques mais qui, en raison de la taille du syndicat, ne sont finalement pas prises en compte. Car l’association de femmes agricultrices ne discute pas seulement de l’aspect productif lequel est important, fondamental, mais elle traite de questions liées au féminisme et donc de l’importance de s’organiser en tant que femmes. Elle traite de sujets qui leur sont propres, de questions liées à la santé, aux droits sociaux ainsi que des questions de relations, non seulement des relations parents enfants mais également avec le compagnon, le mari. »

Selma confirme cette analyse quand elle rappelle qu’à l’intérieur des familles, on rencontre beaucoup de résistance, de la part des hommes, par exemple. « Il y a des maris qui comprennent et qui vont jusqu’à aider l’association mais il y en a d’autres qui en interdisent l’accès à leurs femmes. Amabela a été créée pour permettre aux femmes d’avoir une autonomie. Et les hommes n’étaient pas habitués à cela, ils ne voyaient pas les choses de cette manière. Leur femme devait rester à la maison, laver la vaisselle, faire le ménage et s’occuper des enfants. Lit, table et salle de bain [8] . Mais aujourd’hui, non. Aujourd’hui, les femmes sortent de la maison et cela est ce qui est le plus difficile à faire accepter. Il y a encore beaucoup de femmes qui n’ont pas la force d’affronter cette question. Les fils réclament beaucoup également : ‘maman ne reste plus à la maison, cela ne va pas, papa doit obliger maman à rester à la maison, c’est comme ça. Et alors cela crée une grande difficulté pour les femmes. »

Sandra est d’accord. « Pour moi, Amabela représente notre liberté, on peut faire ce que l’on estime devoir faire, car il y a encore beaucoup de femmes prisonnières du discours du mari. »

En ce sens, Sara signale que « quand elles se sont organisées au sein d’Amabela, elles se sont rendu compte qu’elles pouvaient aller bien au-delà de l’aspect productif ». L’association est un outil leur permettant de créer une solidarité entre elles, « parce qu’elles partagent leurs histoires, l’une aide l’autre, non seulement dans la production mais en ce qui concerne les problèmes familiaux, le quotidien, les luttes ».

Les réunions de l’association offrent également un environnement propice à la réflexion et aux questionnements. Selma raconte qu’ « on s’assoie en rond pour discuter mais certaines ne veulent pas raconter ce qui se passe. ‘Ah ! celle-ci, aujourd’hui n’est pas venue à notre réunion, que se passe-t-il ?’ Et alors, celle qui sait se met à raconter et on essaie de résoudre le problème. On ne dispose pas d’une étude ni de la possibilité de rompre certaines barrières, mais on réussit cependant à résoudre beaucoup de problèmes lors de ces rondes de conversation ».

Comme l’affirme Sara, « Amabela est beaucoup plus qu’un outil pour la production. Pour ces femmes, c’est un outil de libération dans leur démarche pour leur autonomie, leur émancipation, leur participation politique au sein de la société ». Ou, comme dit Selma en parlant des camarades d’Amabela, « Quand je revois les petits yeux, les sourires de joie de chacune d’entre elles montrant ce qu’elles savaient faire … Le seul fait de pouvoir dire ‘je sais’, ‘je peux’, ‘aujourd’hui, je sais faire’ … C’est merveilleux ! ».

[1Floresta Nacional (Flona) Les Flonas sont des de grandes unités forestières de conservation de la végétation d’origine.

[2La BR-163 est la route qui relie Cuiaba à Santarém

[3Cantinho da Amabela : le « petit coin » d’Amabela.

[4Beijo : sucreries à base de noix de coco, pé de muleque : sucreries à base de caramel et de cacahuètes.

[5Poules caipiras : poules de race locale, élevées de manière traditionnelle.

[6Casas Familiares Rurais (CFR). Elles font partie du réseau international des Maisons Familiales Rurales, créé en France en 1937.

[7Fase Amazônia. La Fase est une ONG qui œuvre au développement local, communautaire et associatif. Elle est implantée dans six États du Brésil.

[8Cama, mesa e banho. Expression qui renvoie aux secteurs d’un grand magasin où se trouvent les articles correspondant à ces trois types de produits et qui, au sens figuré, renvoie aux activités traditionnelles de la femme.

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