À São Paulo, l’art de rue révèle le discours de haine contre les personnes LGBT

 | Par Câe Vasconcelos, Ponte Jornalismo

Créées par Bruno Herbert, designer originaire de la périphérie de Sao Paulo, Palheiros, les « petites affiches du coin de la rue » ont pour objectif de mettre en lumière les discours de haine et de provoquer la réflexion au sein de la population dans son ensemble. Le designer raconte qu’il a compris l’importance de montrer aux autres l’urgence de parler de la LGBTphobie car le Brésil est le pays au monde où le plus de personnes LGBT sont assassinées.

Traduction : Ludovic HEYRAUD pour Autres Brésils -
Relecture : Charlélie POTTIER

Le designer Bruno Herbert lors du lancement de son livre à l’université.
Photo : archive personnelle

Créé par un étudiant en design originaire de la périphérie dans le cadre d’un travail de fin d’études, les « petites affiches du coin de la rue » ont pour objectif de mettre en lumière les agressions et de susciter la réflexion au sein de la société.

La violence homophobe, se matérialisant par des discours de haine ou mêmes par des assassinats, est le thème central d’un travail de recherche réalisé par Bruno Herbert, 22 ans, habitant de Parelheiros, dans la périphérie sud de São Paulo. Ce travail a but de mettre en évidence les dommages causés par les discours de haine et de provoquer la réflexion au sein de la population dans son ensemble. Le projet a été présenté en tant que travail de fin d’études de design graphique au Service national de formation professionnelle (Senac) et il s’est concrétisé par des affiches sur les murs de la ville.

Pour divulguer son travail académique dans la vie quotidienne, l’artiste a choisi de diffuser son message sur des petites affiches pouvant être collées en divers lieux de l’espace public (sur des pylônes, des murs, etc.). Son art se trouve à présent aussi bien sur l’esplanade du Musée d’Art de São Paulo, Masp, au centre de la ville, qu’aux périphéries de la ville, comme à Parelheiros et à Grajaú, deux quartiers au sud de la ville.

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La démarche artistique avait pour objectif de mettre en évidence le discours de haine existant à l’encontre de la communauté LGBT et de créer un malaise au sein de la population. Dans une interview pour Ponte, Bruno explique que quand il parle de son projet, il replonge dans ses cheminements personnels, comprenant comment ils l’ont guidé et façonné dans son parcours en tant que LGBT. Il explique que, durant sa formation universitaire, son militantisme est né en même temps que le processus de découverte de lui-même.

« Ma volonté de parler [du discours de haine] est venue après une longue période de déni, suite à laquelle je me suis accepté et j’ai compris la complexité de comportements que je considérais jusque-là comme normaux. Elle est issue de ma compréhension de qui je suis, et de ce que cela signifie, elle est venue suite à de bonnes et mauvaises expériences, au sein et en dehors d’une communauté, elle est issue d’une pluralité de pensées et de la compréhension qu’il y a des histoires et des situations au sein de la diversité. Ma volonté d’en parler est issue de ma volonté d’apprendre, et ceci est une constante. Elle est venue parce que j’en avais marre d’entendre les mêmes informations, les mêmes discours, la même irresponsabilité ; elle est issue de ma tristesse, de ma colère », confie Bruno.

Affiche collée à Parelheiros dans la périphérie sud de São Paulo. Photo : archive personnelle

Le designer raconte qu’il a compris l’importance de montrer aux autres l’urgence de parler de la LGBTphobie car le Brésil est le pays au monde où le plus de personnes LGBT sont assassinées. Selon un rapport du GGB (Groupe Gay de Bahia) [1], une personne LGBT meurt toutes les 19 heures au Brésil. Rien qu’en 2017, on a relevé 445 homicides, un chiffre en hausse de 30 % par rapport à 2016 (343 cas relevés) et de 242 % par rapport à l’année 2000 (130 assassinats).

« Mon travail de fin d’études a acquis une dimension sociale et militante grâce à tout ce que j’ai appris et à tout ce à quoi j’ai eu accès, il est né de l’urgence de demander aux gens de tenir des propos responsables, parce que ce que nous disons a un impact sur les autres, bon ou mauvais, et le fait est qu’il existe tout un discours de haine banalisée que les gens finissent par intégrer », explique Herbert.

La « petite affiche du coin de la rue » naît, selon Bruno, de la nécessité de dire que « ce discours a recouvert de sang le drapeau national ». Pour lui, au-delà des réflexions personnelles sur la haine diffusées au quotidien, son projet constitue une étude historique sur la façon dont les histoires qu’on raconte ont pris de l’ampleur sur le sol national.

« Le projet est né d’un détachement personnel et collectif vis-à-vis des insultes, des pressions et des centaines d’histoires de vies brisées. Il a pour objectif de donner à réfléchir sur des situations banalisées en montrant que les discours quotidiens ont des conséquences néfastes, et qu’il faut les changer. Il se concrétise donc par une tentative de dénoncer et d’interroger, d’informer et de sensibiliser, d’inviter les gens à s’auto-questionner en analysant les lieux où ils se trouvent, et comment, parfois sans en avoir conscience, ils reproduisent une situation d’oppression dans le simple fait de parler, car la parole se matérialise par des actions collectives » affirme le designer.

Le projet

Selon Bruno Herbert, l’une des principales difficultés à laquelle il a été confronté au cours du développement de ce projet a été de trouver des bases théoriques sur la LGBTphobie. Cherchant à réaliser un projet accessible au plus grand nombre, Bruno a utilisé un langage visuel plutôt littéral et des textes plutôt simples, un langage clair en somme. « Ma principale préoccupation était de faire un travail académique qui touche également des gens comme ma mère, et non seulement un public universitaire » explique le designer.

Affiche collée sur l’esplanade du Masp (Musée d’art de São Paulo). Photo : archive personnelle

Texte sur les affiches de gauche à droite :
1

  • Vous avez dit
  • Qu’un transsexuel
  • Etait une erreur de la nature et
  • Avait besoin
  • D’être « soigné ».
  • Hier
  • Soir,
  • Cet homme
  • A été tué
  • Sous le même
  • Prétexte.

2

  • Qui
  • votre discours
  • A-t-il atteint
  • Aujourd’hui ?

3

  • Dans notre groupe
  • D’amis
  • On a bien rigolé,
  • La bonne blague
  • C’était le travesti.
  • Ces jours-ci,
  • Ils ont fait plus
  • Que rigoler.
  • Il a été
  • Assassiné
  • À coups de couteau.

À présent, Bruno veut coller plus d’affiches et expérimenter d’autres façons de communiquer sur la LGBTphobie par le design, tout en développant son savoir-faire. Dans un premier temps, le designer a créé douze versions d’affiches, six textuelles et six visuelles qui, bien qu’étant différentes, dialoguent entre elles.

« Le nombre a été défini pour tenir compte de chacune des lettres du sigle LGBT+ et des histoires quotidiennes que chacun a vécues ou peut être amené à vivre. Il y aurait certainement davantage d’histoires à raconter, mais il a fallu se limiter à un certain nombre de cas pour que le travail puisse être achevé. Le projet comporte des affiches qui parlent d’un pédé, d’une lesbienne, d’un bisexuel, d’un homme trans, d’une travestie et d’une personne non-binaire dans des situations d’oppression. Ces affiches invitent les gens à reconsidérer leurs discours » explique Herbert.

Bruno raconte qu’il est retourné à certains endroits pour savoir comment son projet avait été reçu. Pour lui, les affiches ont une courte vie une fois qu’elles sont exposées, elles peuvent être abîmées, soit par des actions humaines soit à cause des intempéries.

« Je suis retourné à certains endroits pour voir comment les messages avaient été acceptés, pour voir là où ils ont le plus dérangé. J’ai pu alors observer une facette supplémentaire de la LGBTphobie puisque les affiches déchirées mettent en évidence l’intolérance et attestent de la réception du message en prouvant que le dialogue, objectif principal de ce projet, s’est établi pour que naisse une réflexion. Si le message est parvenu à quelqu’un qui a déchiré l’affiche, il est sans doute aussi parvenu à d’autres », conclut le designer.

L’affiche du projet déchirée dans le quartier de Vila Madalena. Photo : archive personnelle

Voir en ligne : Ponte.org

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