« Victoire ! » : démocratisation des campagnes électorales

 | Par Paulo Eduardo Dias, Ponte Jornalismo

Le Tribunal Supérieur Électoral (TSE) a approuvé la proposition qui oblige les partis à répartir de manière proportionnelle les ressources électorales entre noirs et blancs ; "victoire historique" dit une avocate.

Traduction de Roger GUILLOUX pour Autres Brésils
Relecture : Clotilde COUSSIEU

Le TSE a voté en faveur de la répartition des moyens du Fond spécial de financement de campagne (FECF) et du temps de propagande électorale gratuite à la télévision et à la radio. Ce temps doit être proportionnel au nombre de candidats noirs qu’un parti présente aux élections. Dans la pratique, il s’agit d’offrir aux noirs, les mêmes conditions de participation aux élections qu’aux blancs, ces derniers disposant généralement de plus de ressources et de temps de parole pour présenter leur programme politique dans les médias.

La discussion de cette question s’est produite dans le contexte du processus visant à définir les règles des élections municipales qui doivent se dérouler les 15 et 29 novembre 2020. Cependant, cette décision ne sera applicable qu’à partir des élections de 2022 [1], afin de respecter le principe d’annualité électorale prévu dans l’article 16 de la Constitution Fédérale. Cet article prévoit que les décisions qui affectent les règles d’un vote ne peuvent être appliquées que si elles ont été votées au moins un an avant les élections en question.

Il s’agit d’une ancienne demande du mouvement noir brésilien. La décision du TSE est l’aboutissement des démarches entreprises par la députée fédérale Benedita da Silva (Parti des Travailleurs (PT) pour l’Etat de Rio) au sujet de l’utilisation des fonds et du temps d’antenne des candidats noirs. La législation en vigueur réserve déjà des fonds aux candidatures féminines. La députée noire a demandé qu’une partie de ces fonds soient spécifiquement réservée aux candidatures de femmes noires.

L’autre question de Benedita da Silva portait sur la possibilité de réserver des candidatures – un quota en quelque sorte – aux noirs, en leur allouant 30% de ce fonds et du temps de propagande électorale gratuite à la radio et à la télévision.

Dulce Maria Pereira, professeure et chercheuse à l’université fédérale d’Ouro Preto et membre de la Coalition Noire pour les Droits, a félicité cette décision qu’elle a considérée comme une « victoire » tout en attirant l’attention sur les incertitudes qui caractérisent les instances supérieures au Brésil.

"J’aurais aimé que cette décision puisse entrer en vigueur dès cette année mais je comprends que son approbation, à partir de 2022, est déjà une énorme victoire. Je crois que le conservatisme du propre système judiciaire brésilien, y compris du propre TSE, n’a pu comprendre l’urgence d’une telle mesure inclusive permettant de garantir un minimum d’équité".

Dulce Maria Pereira, professeure, féministe et membre de la Coalition noire, a rappelé que la demande d’égalité entre les candidats était une ancienne demande. Photo : archives personnelles.

Dulce a également dirigé la Fondation culturelle Palmares [2] et a été la première ambassadrice noire du Brésil quand, en 2000, elle a assumé le poste de Secrétaire d’État chargée des relations avec les pays lusophones. Elle ne se prive pas de lancer quelques piques contre le système brésilien, lequel, selon elle, a besoin de changer et de manière urgente. "Le problème est que le Brésil est très en retard. La rigidité des pouvoirs est énorme. La tentative de contrôle des forces sociales est énorme. Il est difficile d’imaginer comment les forces sociales participent à la vie du Brésil".

Dulce, qui a également été la suppléante de l’ex-sénateur et actuel conseiller municipal Eduardo Suplicy (PT, ville de São Paulo), a indiqué que même avec la victoire obtenue auprès du TSE il reste beaucoup de chose à faire, puisque la création d’un fonds ne veut pas nécessairement dire qu’un nombre proportionnel de candidats soit assuré.

"Nous devrions disposer d’une représentation proportionnelle aux populations locales noires, indigènes et de femmes. Je ne suis pas ici pour dire que le taux de mélanine définit l’engagement éthique mais un groupe humain dûment représenté a beaucoup plus de possibilités de contribuer et de voir ses besoins objectifs pris en compte", ajoute-t-elle.

Dans un article publié par Ponte au début du mois d’août, Samuel Emílio , ingénieur et conseiller du mouvement Acredito, consultant en matière de diversité et d’inclusion et fondateur de Engaja Negritude, affirme qu’en 2018 12,9% des candidatures au poste de député fédéral étaient des femmes noires alors que celles-ci n’avaient reçu que 6,7% des fonds électoraux, selon les données de la Fondation Getulio Vargas [3] . Les candidats noirs, qui représentaient 26% du total, n’avaient reçu que 18,1% de ces fonds [4].

A la fin de la réunion, le président du TSE, Luis Roberto Barroso, a affirmé "qu’au Brésil, le racisme n’est pas uniquement le résultat de comportements individuels pervertis, c’est un phénomène structurel, institutionnel et systémique. Et aujourd’hui, une génération toute entière est disposée à l’affronter".

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Mélange de joie et de tristesse

Un autre journaliste du site Ponte s’est entretenu avec deux femmes noires qui sont pré-candidates au poste de conseillères municipales à São Paulo. Toutes les deux espéraient qu’une telle règle de répartition proportionnelle des fonds et du temps de présence à la télévision et à la radio serait valable pour les élections de cette année. Malheureusement, le report de l’application de cette décision donne un goût amer à cette victoire.

La professeure Adriana Vasconcellos, pré-candidate à un poste de conseillère municipale à São Paulo, nous a dit que cette information l’a extrêmement déçue car, une fois de plus "nous voyons le racisme institutionnel au service du racisme structurel".

Professeure Adriana Vasconcellos, pré-candidate du PCdoB – Photo : archive personnelle

Selon elle, en raison de la situation de pandémie, "le moment était venu de donner une impulsion à nos candidatures. Ça aurait été une souffrance en moins. Ça aurait été l’opportunité d’un véritable débat et de chances accrues de voir plus de Noirs à la mairie de la plus grande ville d’Amérique latine".

Cependant, Adriana se montre confiante et estime qu’à l’avenir, l’impact des candidatures noires ira croissant.

"Si cette décision est maintenue pour 2022, si rien ne change, nous disposerons d’un moyen de plus pour organiser notre lutte qui a toujours existé, avec les avancées que nous avons obtenues malgré tous les obstacles historiques, de la part des institutions et du racisme institutionnel. Nous allons surmonter ces problèmes. Allons de l’avant !" conclut-elle.

Tamires Sampaio, avocate, est également candidate pour le PT à un poste de conseillère municipale à São Paulo ; elle a suivi le vote du STE hier soir. Cette femme a lancé sa pré-candidature samedi dernier (22/08) sur Zoom. Alors que son programme était la cible d’attaques de hackers montrant des images pornographiques, elle a préféré attirer l’attention sur tout le contexte historique concernant l’élection de candidats noirs.

"C’est un vote historique, le fait que ces quotas aient été approuvés, et c’est une victoire du mouvement noir qui s’est organisé et a mis en place une campagne visant à s’assurer de disposer d’une structure permettant aux candidatures noires de devenir viables lors des campagnes électorales".

Tamires Sampaio, avocate, pré-candidate pour le PT. Photo : archive personnelle

Tamires a souligné que l’issue des élections est très dépendante des moyens financiers dont disposent les candidats pour réaliser leurs campagnes électorales et, avec la nouvelle règle, les choses peuvent commencer à changer.

"Nous savons que le pouvoir économique interfère fortement dans les campagnes et nous savons également que les partis ne donnent pas la priorité aux candidatures noires quand vient le moment de répartir les fonds électoraux. C’est donc une victoire qui doit être célébrée, mais en même temps, il est révoltant de voir comment les retombées de ces victoires sont retardées. Oui, nous avons gagné, mais seulement d’ici à deux ans", rappelle-t-elle. "Et que fait-on des candidatures noires aujourd’hui ? Si tous les ministres du TSE ont insisté sur l’importance de garantir la distribution des fonds, au moment de passer à l’action, ils reportent l’application de ces décisions" !

Voir en ligne : ‘Vitória’ : pré-candidatas negras comemoram decisão do TSE que equaliza eleições

Photo de Couverture : Les pré-candidates à la fonction de conseillères municipales à São Paulo Tamires Sampaio (PT) e Adriana Vasconcellos (PCdoB) / Photos : archives personnelles

[1NdT : Élections du président, des gouverneurs, des sénateurs et des députés fédéraux et des états

[2NdT : La finalité de la Fondation culturelle Palmares est la préservation et la promotion des valeurs culturelles sociales et économiques résultant de l’influence noire dans la formation de la société brésilienne. Elle est également responsable de la certification des communautés des quilombos qui vise à garantir la possession de la terre et l’accès aux services de santé et d’éducation

[3NdT : La Fondation Getulio Vargas (FGV) a été créée en 1944 avec comme objectif initial de former un personnel qualifié pour les administrations publiques et privées du Brésil. Elle est une référence en matière d’éducation et de recherche.

[4NdT : Faut-il rappeler que la population noire et métisse constitue plus de 50% de la population totale du Brésil et ce depuis le XVII siècle !

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