Lívia Natália : « Si l’on ne reconnaît pas celles qui nous ont précédés, on n’arrive nulle part »

 | Par Brasil de fato, Vânia Dias

La première célébration du Festival Littéraire de Lençóis (FliLençóis) est réalisée 7 au 9 septembre 2023 dans la Chapada Diamantina [1] et promet d´animée la ville ) de Lençoís. En relation avec l’ancestralité et ses savoirs multiples, l’événement met en valeur les maîtres Griots et maîtresses Griottes [2] qui animent la culture de la région. L’idée est aussi de promouvoir une grande rencontre des manifestations culturelles présentes sur le territoire de la Chapada.

Traduction pour Autres Brésils : Pascale Vigier
Relecture : Marie-Hélène-Bernadet

Le patrimoine historique et culturel de Lençóis est fondamental pour la préservation de la mémoire, et l’événement vise à discuter littérature sous cet aspect, au-delà de la culture écrite ; de même pour la préservation de la culture orale dans laquelle sont conservées de grandes histoires essentielles à la formation de la mémoire de la région.

L’inauguration de la FliLençóis suscite une grande attente dans cette ville historique, inscrite comme patrimoine du Brésil par l’Institut national du patrimoine artistique et historique (IPHAN). Des noms importants de Bahia ont déjà confirmé leur présence à la rencontre. À la Conférence d’ouverture : des récits poétiques, esthétiques et édifiants proposeront d’imaginer d’autres mondes par la littérature ; le débat tournera autour de [3] et de Dom Obá, [4], auxquels cette édition rend hommage. La table ronde débattra aussi sur la littérature comme occasion de discuter le Brésil profond.

Brasil de Fato Bahia a interviewé la poétesse, écrivaine et professeure de Littérature de l’Université Fédérale de Bahia (UFBA), Lívia Natália, l’un des noms confirmés pour l’événement.

Brasil de Fato – Vous serez présente à la Conférence d’ouverture de la FliLençóis. Quelle est l’importance de ces Festivals Littéraires dispersés sur l’État de Bahia, en particulier, celui-ci, à Lençóis ?

Lívia Natália - Lors de chaque festival littéraire la vigueur de notre culture se réaffirme, principalement celle des cultures de chaque lieu. Nos festivals comportent non seulement des auteurs célèbres de la littérature brésilienne, mais, depuis déjà longtemps, il a été admis que les artistes locaux intègrent le festival et fassent en sorte que chacun des festivals montre autant de vitalité chaque année !

Des récits poétiques, esthétiques et édifiants : la littérature capable d’imaginer d’autres mondes”. D’après les réflexions sur ce thème de table ronde, la littérature peut-elle transformer le monde ?

Elle le peut, oui. Je crois fermement en la culture, sous une vision large, et, en la littérature, particulièrement. L’une des choses les plus belles que l’on puisse ambitionner est d’être l’auteure d’un livre pris dans une bibliothèque scolaire, ou de celles que la communauté organise dans une vente d’occasion et, soudain, une main, étrangère, t’emporte, te lit. Des millénaires après, disons, la nouvelle de cette lecture parvient au monde, décide, interfère, enrichit. Elle enrichit le monde et le monde de qui lit, avant tout !

Cette édition rend hommage à Gagum et Dom Obá. Pouvez-vous nous parler d’eux ?

J’apprends, en compagnie de qui ne connaît pas ces noms importants de Lençóis, que Gagum, écrivaine et professeure de Lençóis, a laissé un riche héritage à sa communauté, a été reconnue à titre posthume et donné, ainsi, son nom au Marché municipal de Lençóis.

Dom Obá, dont les origines ancestrales remontent à Alaafin Abiodun, a été le dernier souverain du Royaume de Oyó [5], a été un grand abolitionniste et défenseur de l’égalité raciale. Comme je l’ai dit, j’apprends, en particulier avec l’une des commissaires de ce festival, originaire de Lençóis, Samira Soares.

La littérature nous place face à de multiples possibilités de récits. Avec une caractéristique poétique très importante, la poésie est-elle votre genre littéraire préféré ? Qu’est-ce qui vous touche le plus dans la poésie ?

La poésie, pour moi, possède l’incroyable capacité de paraître traduire un sentiment, une pensée et, finalement, de maintenir grand ouvert à l’intérieur des gens un mystère, intransposable en paroles. Or cela produit son effet pour qui lit et pour qui est lu.

Água Negra et Outras Águas (non traduit) publié, à l’origine, en 2011, a été votre première publication. Qu’est-ce qui vous a décidée à publier vos poésies ?

En réalité, cela n’a pas été une décision. La poésie m’a poursuivie et gouvernée. Jusqu’à ce jour j’obéis.

En un peu plus de dix ans, aujourd’hui, depuis la publication du premier livre, vous avez déjà cinq œuvres lancées à travers le monde. Quel est votre processus créatif d’écriture ?

Rigoureux, mais pas discipliné. Je n’écris pas tous les jours, j’écris beaucoup sur du papier, c’est pourquoi je garde tous mes carnets et mes imprimés en feuilles A4 des livres. Quand je suis au plus près de boucler un livre, cela devient une pure obsession, je ne mange pas, je dors ce qui vient et j’écris et réécris. Entre un livre et un autre, j’aime oublier un peu la poésie, cependant elle insiste !

Comment le féminisme noir utilise-t’il la littérature et vice-versa ?

Pour moi, le féminisme noir a dû, pour parvenir dans la littérature, passer par les navires négriers, par les Senzalas [6], par les favelas, par les sambas de mesas et les sambas de rodas [7], vous comprenez ? À partir de là, déambulant à travers les favelas, dans les omnibus pleins, supportant l’insolence du patron, ma mère, nos mères, nos plus vieilles ont alimenté toute la famille et, aujourd’hui, on nomme cela féminisme noir. De même avec notre littérature de femmes noires, si on ne reconnaît pas celles qui nous ont précédés, on n’arrive nulle part.

Quels auteurs et auteures avez-vous lus dernièrement ? Avez-vous en tête un conseil de lecture ? Quelques livres en permanence sur votre table de nuit ?

Audre Laude [8], Conceição Evaristo [9], Lubi Prates [10]. Lorde, toujours ! En dehors de ceux-ci, des auteurs de la nouvelle génération : Gonesa Gonçalves, Patrícia Maria, Bruna Mitrano [11], il est difficile d’énumérer parce que l’oubli est toujours mauvais, une vilaine gaffe… Jorge Augusto [12], Cuti, Lande Onawale [13]Poète et compositeur né en 1965, diplômé d’Histoire par l’Université Fédérale de Bahia, il est militant du Mouvement Noir Brésilien, et responsable d’un terreiro de candomblé., je recommande leur lecture, sans limite, sans arrêt, intégrale !

Voir en ligne : Se a gente não reconhecer as que vieram antes, a gente não chega a lugar nenhum

Lívia Natália lors de la première célébration du Festival Littéraire de Lençóis (FliLençóis)

[1La Chapada Diamantina est un parc naturel situé à environ 400 km à l’ouest de la ville de Salvador (état de Bahia). Lençoís en est une des principales municipalités

[2Suivant l’origine africaine, les Griots et Griottes transmettent la tradition orale.

[3Gagum a été professeure et écrivaine de Lençóis, fille de garimpeiros, qui a laissé plusieurs légats à la ville.

[4né à Lençóis, Dom Obá pourrait être le descendant direct du puissant Alaafin Abiodun, le dernier souverain à maintenir ensemble le grand royaume d’Oy’ pendant la seconde moitié du 18e siècle. Dom Obá a combattu dans la Guerre du Paraguay (1865-1870), quíl temrine avec le titre d ’officier honoraire de l’armée brésilienne, en plus d’avoir été reconnu comme un abolitionniste et un défenseur de l’égalité raciale.

[5Le Royaume d’Oyó a été un grand empire yoruba situé au Nigéria, dont l’apogée a eu lieu à la fin du 18 e siècle.

[6Ce terme désigne les habitations très sommaires des esclaves noirs transportés au Brésil pour travailler dans les grandes cultures. On peut se référer au livre de Gilberto Freyre, Casa grande e senzala, traduit sous le titre Maîtres et esclaves.

[7Formes particulières de sambas de la région de Bahia.

[8Audre Lorde (1934-1992) est une poétesse américaine féministe, lesbienne. Figure du Black Arts Movement des années 60, ses thèmes portent sur les droits civiques, le féminisme. Œuvre traduite en français : Zami : une nouvelle façon d’écrire mon nom.

[9Conceição Evaristo, née en 1946 dans une favela de Belo Horizonte au sein d’une famille de 9 enfants, elle a dû multiplier les emplois domestiques, tout en suivant l’école sporadiquement. Romancière, elle écrit sur les femmes, les discriminations raciales, le racisme. Invitée au Salon du Livre de Paris en 2015. Exemple d’ouvrage traduit par Patrick Louis et Paula Anacaona : L’histoire de Poncia.

[10Lubi Prates, née en 1986, est poétesse, traductrice, éditrice. Elle a obtenu un prix Jabuti avec Un Corps noir paru en 2018.

[11Poétesse née en 1985, diplômée en Littérature portugaise de l’Université de l’État de Rio de Janeiro (UERJ), elle est professeure.

[12Enseignant à l’Université d’État du sud-ouest de Bahia, il coordonne notamment des groupes de recherche.

[13

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