Quiconque dépendant de votes au Brésil n’est assez fou pour s’associer aux athées

 | Par Hugo Torres

Source : Público - 27/04/2015
Traduction pour Autres Brésils : Mara DERSIGNY
(Relecture : Zita FERNANDES)

"On n’échappe pas à religion au Brésil. Ici, la foi est elle même une divinité de droit : omniprésente. A veiller sur le tourisme « carioca » du haut du Corcovado ; au Bràs, zone industrielle de l’État de São Paulo où l’église Universel du Royaume de Dieu a bâti récemment une réplique aux proportions démesurées du Temple Salomon, cité dans la bible ; omniprésente dans les intersections sombres de la forêt Atlântica qui se ramifie à travers les villes ; omniprésente aussi à travers les rituels de candomblé baianais, dans les médias et au Congrès national.

Parler de laïcité semble relever plutôt d’un exercice de républicanisme théorique que d’un débat sur les caractéristiques fondamentales des états modernes. Dans les urnes, les choix du peuple sont loin de refléter cette nécessité. Ce que immobilise les élites et augmente le pouvoir des diverses églises qui abondent à travers le pays, en particulier, l’église évangélique. C’est dans ce contexte, et à contre courant, qui est née l’Association Brésilienne des Athées et Agnostiques (ATEA).

Daniel Sottomaior est le fondateur (2008), président et principal interface de l’association ATEA. Il définit non sans ironie ce combat en tant que « lutte de David contre Goliath » dans le but de contrecarrer la promiscuité entre l’État et les religions. En Justice. Un cas à la fois. Notre discussion avait eu lieu dans une cafétéria au centre de São Paulo, dans un lieu où on déguste des encas délicieux à tout heure. Peu après notre entretien, un prédicateur de fortune déclare sur un autel improvisé en carton dans la rue : « Dieu existe encore ! »

Le nombre d’athées est estimé à combien au Brésil ?

Toutes les recherches indiquent 1% à 3%. Nous ne savons pas précisément, parce qu’il y une marge d’erreur de 1%.

En nombre absolu il y aurait combien ?

Si nous pensons à 2%, sont quatre millions de personnes.

Comment sont traitées les athées dans un pays si religieux ?

Une immense partie très mal. J’ai pour habitude de dire que nous sommes les parias officiels. Si on regarde l’évolution du mouvement noir ou le mouvement LGBT ( lesbiennes, gay, bisexuels) par exemple, on constate une judiciarisation progressive des cas de racisme et discrimination - ce qui est un signe de progrès. Aujourd’hui, si une personne traite un noir de singe, il sait qu’il peut être mis en prison. Si il fait de même avec un athée, l’expectative est complètement différente.

Avez-vous un exemple ?

Il y a quelques temps, une jeune femme a fait un tweet raciste contre les migrants du Nordest du Brésil - les nordestins. (Les migrants maghrébins en France équivalent aux migrants nordestins à Sao Paulo) et il y a eu commotion nationale, investigation au Ministère Publique, dans les médias... Excellent ! Très bien ! Maintenant quand on constate les mêmes insultes envers les athées, il n’y a pas de mobilisation, ni des médias, ni des autorités, personne n’est inculpé, ni investigation, rien ! Insulter les athées peut se faire dans une parfaite normalité institutionnelle. Personne s’indigne. C’est une pure expression culturelle locale.

Est-ce que le contraire arrive aussi, que des athées insultent les croyants ?

C’est possible, mais je n’ai pas des signalements de cas d’athées ayant traité des chrétiens - ou qui que ce soit - de criminels, qu’ils ne méritent pas vivre, qu’ils doivent être isolés de la société, qu’ils doivent partir, qu’ils méritent l’enfer... Je ne vois pas les athées se prononcer de la sorte sur quiconque.

Quel rôle joue l’ATEA ?

Ils sont plusieurs, cependant nous mettons en évidence deux d’entre eux : réduire le racisme et lutter pour faire progresser la laïcité dans le État.

A quels types d’actions vous dédiez-vous le plus ?

A l’activisme juridique. Avec la presse nous pouvons conter relativement peu. Le pouvoir public - l’exécutif et le législatif - dépend des votes. Quiconque dépend des votes ne serais fou de s’associer aux athées. Chacun connaît les conséquences. Par élimination il reste le pouvoir judiciaire, encore que, à grandes peines.

Quelles sont les actions que vous menez ?

La plus récente se réfère à l’action menée par la Curie (le clergé) Métropolitaine, va faire un cortège pour demander de la pluie. C’est la danse de la pluie, moderne. La différence est que maintenant ils se sentent légitimes et dans le droit d’utiliser les véhicules des sapeurs-pompiers - un service public essentiel - pour affirmer leur image à travers la ville. Les sapeurs pompiers, bien évidemment ne voient aucun problème dans cette démarche. L’ATEA va se mobiliser pour tenter d’empêcher cette manifestation. Et dans le cas où la manifestation aurais vraiment lieu, nous ferons tout notre possible pour que les caisses du service public soient remboursées des frais engendrés.

Et les campagnes de sensibilisation ?

Nous avons déjà réalisé deux, mais cela reste occasionnel. Au quotidien, l’objectif est faire pression sur la justice, à travers le pouvoir judiciaire et le Ministère Public, pour des nouvelles mesures.

Vous comptez combien d’associés aujourd’hui ?

Nous avons environ 14 mil associés dans tout le pays.

Comment vous avez vécue les dernières présidentielles, tellement marquées par la religion, particulièrement par la candidature de Marina Silva ?

Non seulement les présidentielles, mais aussi celles de gouverneur, maires, conseillers, députés ... Toutes les élections sont dominées par la question de la religion. C’est une tragédie annoncée. Les évangélistes se sont disséminés à travers le Brésil par la TV, depuis 20 ou 30 ans. Ils comptent des fidèles avec faible niveau scolaire, victimes faciles des prédateurs, qui amassent des fortunes. L’un d’entre eux, Edir Macedo ( fondateur de l’église Universelle du Royaume de Dieu), qui figure dans la liste Forbes, parmi les plus riches. Bien évidement l’argent ne tombe pas du ciel. Il sort des poches des fidèles. Une partie est employée en publicité parce que c’est rentable (dans le cas contraire, ils arrêteraient cet investissement). Et une autre partie sert à financer et élire les représentants prêts à servir leur cause.

L’ATEA a des interlocuteurs habituels ? Partis politiques, pouvoirs locaux, de l’état ou à niveau fédéral ?

Ils ne sont pas fous ! [rires]

Mais encore, y a-t-il un parti en particulier plus apte à intégrer les revendications de l’ATEA dans son programme politique ?

Combien plus à gauche, plus grande est la probabilité d’avoir des affinités. Ce sont ces partis qu’à mon sens défendront les droits des minorités et laïcité dans l’État. Mais je ne peux citer aucun en particulier - tant que cela n’est jamais arrivé.

En 2009 vous avez adressé une « lettre ouverte au Président Luiz Inàcio Lula da Silva », en lui démontrant les contradictions concernant la question de laïcité. Comment est-ce que Dilma Roussef traite aujourd’hui ce sujet ?

Son action est plutôt ambiguë. Elle tend plus vers le religieux que vers le laïque. Une donnée intéressante est qu’elle est, elle-même, agnostique. Peu avant d’être candidate à la présidence, elle a fait la déclaration suivante lors d’un entretien très médiatisé, concernant [l’existence de Dieu] : Je suis en équilibre sur cette question. Est-ce qu’il existe ? Est-ce qu’il n’existe pas ? On peut interpréter çà comme étant la confession d’une agnostique ou athée qui ne fait qu’entrouvrir la porte. Quelques mois plus tard, miraculeusement, elle s’est convertie. Est devenue une dévote, comme si elle avait été depuis son enfance et pour toujours.

C’est une curiosité. Pour ce qui est de la laïcité en soi, elle préfère céder aux pressions des évangélistes, des religieux, toujours quand il y a conflit. Que ce soit en rapport avec l’avortement, les droits des femmes, les couples homosexuels... Dilma sait quel est le pouvoir des parlementaires évangéliques. Il y a eu un cas emblématique du « kit gay », une initiative du Ministère de l’Éducation pour intégrer en tant que matériel didactique un manuel sur la diversité sexuelle - l’importance et les préjugés. Les parlementaires évangélistes ont accusé le gouvernement de tenter d’influencer les enfants a devenir homosexuels et ont réussi à empêcher l’initiative. Cela, bien évidement avec l’accord de la Présidente.

Est-il possible qu’une si petite association affronte de tels pouvoirs : églises avec tant d’argent, accès aux chaînes de télévision, qui s’imposent dans les villes avec des grands temples ...?

C’est une lutte de David contre Goliath. [rires] Au que se réfère au Brésil, leur organisation est arrivée avec 500 ans d’antécédence par rapport à la notre. Il est naturel qu’ils soient nettement plus en avant que nous. Nous avons la perspective d’atteindre le même niveau de pouvoir en peu de temps. Nous devons être réalistes : nous démarrons à peine. Nous avons fait des progrès immenses : les médias reconnaissent l’ATEA comme un leadership. Le nombre d’associés est énorme, même si comparé à un pays avec 200 millions d’habitants. Dans facebook nous acheminons vers les 400 mil fans. Pour une page rédigée en portugais, qui traite exclusivement d’athéisme et bafoue toutes les religions, cela est un nombre extrêmement expressif. Nous avons beaucoup d’actions en justice. Nous avons réussi à mouvoir une petite quantité d’argent... Il y a dix ans, avant de démarrer l’ATEA, je n’aurais pas imaginé que nous aurions autant des victoires en si peu de temps.

Avez-vous un soutien de l’État en tant qu’association civique ?

L’État veut notre mort ! Tout ce que nous faisons est contre l’État. Le violeur est toujours l’État. Et, fréquemment, quelqu’un au haut de la pyramide : le président de la chambre des députés qui dit qu’il faut laisser le crucifix accroché au mûr ; le magistrat qui bénéficie les religieux , le Congres qui approuve le Concordat avec le Vatican et cède à l’église catholique des droits exclusifs. Toutes les décisions pour préserver la laïcité dans un pays si religieux, d’une religiosité si mesquine, sont impopulaires.

Recevez-vous beaucoup des réactions de croyants ?

L’expression de l’amour chrétien nous parviens sous des termes vulgaires et violents : « un jour, tous à genoux se plieront devant Jésus », ou alors que nous brûlerons dans le feu de l’enfer, que nous allons tous mourir de cancer, que nous sommes des personnes malheureuses, que nous n’avons rien à faire, que nous devons laisser [en paix] la majorité, les chrétiens... Beaucoup trop !

L’année dernière vous avez ressenti le besoin de défendre le collectif Porta dos Fundos. Pourquoi ?

Le collectif Porta dos Fundos a plusieurs athées. Mais cela ne serai déterminant, excepté le fait qu’ils réalisent beaucoup des vidéos ridiculisant ouvertement la religion. Ils ont été plusieurs fois attaqués. Sous réserve des proportions, c’est similaire à ce qui est arrivé à Charlie Hebdo : de quel droit relèvent-ils pour tenir de tels propos ? Notre soutien a été dans le but de remémorer que le sacré est pour les religieux, et qu’ils ne peuvent obliger les autres à suivre les mêmes règles qu’eux, y compris les règles liées à la sexualité.

Un journal tel que Charlie Hebdo pourrais exister au Brésil, ou il serait pourchassé ?

Il y a de la place pour le Porta dos fundos... L’unique problème est l’espace pour les médias imprimés, qui aujourd’hui traversent des difficultés sérieuses. En dehors de cela, ainsi comme en France [Charlie Hebdo] assure la vente d’un million de copies à cause de la tragédie, et ici aussi : 5 mil copies seraient vendues aux fidèles... lecteurs.

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