Guilherme Peters/Agência Pública
Depuis 30 ans, l’immunologiste Mônica Lopes Ferreira fait une brillante carrière à l’Institut Butantan, institution publique centenaire, liée au Secrétariat à la santé de São Paulo, et se consacrant à la recherche biologique. Depuis deux mois, Mônica fait cependant l’objet d’une véritable offensive menée contre elle au sein de l’Institut.
Tout a commencé lorsque l’immunologiste a analysé dix pesticides qui sont parmi les plus utilisés au Brésil et a révélé que tous, en quelque quantité que ce soit, causent de graves dommages à la santé humaine. Il s’agit de l’abamectine, de l’acéphate, de l’alfacipermethrine, du bendiocarbe, du carbofuran, du diazinon, de l’étofenprox, du glyphosate, du malathion et du pyriproxyfène.
Les résultats montrent que ces pesticides causent la mort et la malformation de fœtus chez les embryons de poissons-zèbres même à des niveaux équivalant jusqu’à un trentième du dosage recommandé par l’Agence nationale de vigilance sanitaire (ANVISA).
"Quand il ne tue pas, il cause une malformation, ce qui pour moi est extrêmement inquiétant ", prévient Mônica, expliquant que la génétique du poisson-zèbre est à 70% similaire à celle des êtres humains.
L’étude a été commandée en 2018 par la Fiocruz, fondation sous tutelle du ministère de la Santé qui a indiqué les pesticides à tester, et a été publiée début août, avec de retentissantes répercussions médiatiques.
En réponse, le directeur d’ANVISA, Renato Porto, et la ministre de l’Agriculture, Tereza Cristina, ont donné des interviews contestant l’étude. En outre, l’ancien secrétaire à l’Agriculture et à l’Environnement de São Paulo, Xico Graziano, qui a repris la ligne de la ministre dans son blog, a publié un tweet disqualifiant la recherche.
Dans une interview à l’Agência Pública, Mônica déclare que la direction de l’Institut Butantan s’est engagée dans une procédure de boycott à son égard, l’accusant d’avoir mené l’étude à l’insu de l’Institut. L’institution fait barrière pour l’empêcher de donner des cours et des conférences. Fin septembre, l’institut a publié une résolution disant que tout cours ou formation donné par des professionnels du Butantan " doit d’abord être soumis à validation " de la commission d’éthique.
Mais pour Mônica, le pire est d’avoir reçu, en août, une notification lui interdisant de soumettre à approbation des projets de recherche pendant six mois. La semaine dernière, elle a obtenu une injonction de la Cour de justice de São Paulo qui a suspendu la sanction. « Je note que la décision de suspension a été prise à l’issue d’une réunion de la Commission d’éthique mais que l’auteure a été notifiée de la sanction sans possibilité de défense préalable ou d’ouverture d’une procédure administrative de vérification de responsabilité, ce qui est contraire aux règles du droit administratif régissant la sanction des fonctionnaires de l’État de São Paulo », écrit le juge Luis Manuel Fonseca Pires.
Mais elle continue de lutter sans relâche pour blanchir sa réputation.
Bien que l’institut dise le contraire, Mônica affirme que l’institution avait une parfaite connaissance de la recherche menée, y compris son directeur : « J’ai personnellement rencontré le directeur de l’Institut Butantan, Dimas Tadeu Covas, et je lui ai parlé de mes recherches. En avril, j’ai animé un séminaire sur la recherche dans le cadre duquel j’ai montré les données aux 90 personnes présentes dans l’assistance. Il est donc étrange de dire que personne n’était au courant de cette recherche ».
Elle défend également les résultats obtenus. « Je connais l’importance de l’agro-industrie, l’importance de l’agriculture. Je pense simplement que nous n’avons pas à nous battre avec les données, avec la science. Nous devons travailler à partir de cela. »
Photo : Plate-forme pour poissons-zèbres
Mônica Lopes Ferreira est immunologiste et travaille à la caractérisation toxicologique des poisons et des toxines animales à l’Institut Butantan.
Lire l’interview
Le résultat de votre recherche sur les pesticides a provoqué une forte réaction à l’Institut Butantan et au Ministère de la Santé. Vous pouvez nous en parler ?
Fin 2018, j’ai été approchée par un chercheur de la Fiocruz m’informant que j’avais été désignée par le ministère de la Santé lui-même pour effectuer une analyse de toxicité des pesticides sur des poissons-zèbres. La Fiocruz, en tant qu’agence du Ministère de la Santé, m’a envoyé les dix pesticides à tester ainsi que le tableau des dosages qu’ils considéraient les plus appropriés à la santé humaine. J’ai donc testé chacun d’entre eux.
Et quel en est le résultat ?
Le résultat, c’est qu’aucun de ces dix pesticides n’est bon. Aucun ne permet de dire qu’on puisse l’utiliser sans problème. Soit ils sont cause de mortalité chez les animaux, soit ils sont à l’origine de malformations. S’il n’est pas mort, l’animal est tombé malade, souffrant de malformation. Je n’ai pas été la première à dire que les pesticides causent des problèmes. Je n’ai pas été la première et je ne serai pas la seule. Il existe de nombreuses études à ce sujet.
Que s’est-il passé ensuite ?
J’ai reçu un courriel de Flávio Alves de la Fiocruz, le chercheur qui m’avait commandé la recherche, disant qu’il avait reçu un appel téléphonique du ministre de la Santé, furieux des répercussions de l’étude sur Facebook, leur impact étant négatif. Il a dit que je n’aurais pas dû divulguer la recherche parce qu’elle n’était toujours pas terminée. J’ai donc consulté mon courriel et je lui ai montré qu’il m’avait autorisé, par courriel, à divulguer l’étude.
C’est à partir de là, je pense, que l’Institut Butantan a changé d’avis et a déclaré qu’il ne se responsabilisait pas pour la recherche. J’ai reçu un courriel, dont d’autres secteurs du Butantan, y compris la direction et les avocats de l’institut, étaient en copie, disant que Butantan n’était en rien responsable de cette recherche.
J’ai, ensuite, reçu un courriel du directeur de Butantan m’annonçant qu’il avait vu un tweet de l’ancien secrétaire d’État à l’Agriculture [Xico Graziano] disant qu’il avait dénoncé mon analyse et que Butantan ne l’endosserait pas.
C’est alors que j’ai ressenti un changement dans la formidable relation que j’avais avec la direction.
Le lendemain, l’institut Butantan a publié une note à l’adresse de tous ses chercheurs affirmant qu’il ne se responsabilisait pas pour les "recherches indépendantes". Cela a instauré un très mauvais climat dans l’institution, tout le monde se rendant compte que cette note m’était destinée parce que mes recherches, publiées dans l’Estadão, avaient eu un impact considérable.
Ensuite, j’ai reçu un avis du Comité d’éthique animale m’informant que la recherche n’ayant pas été soumise au comité, je ne pourrais plus, à titre de sanction, soumettre de recherche au comité pour approbation durant six mois. Pour moi, c’est grave car cela signifie que je ne travaillerai pas pendant six mois. Je n’ai même pas eu le droit de m’expliquer.
Le 21 août, ils ont entamé une procédure administrative alléguant que l’Institut Butantan ne savait pas que je menais un travail de recherche sur les pesticides et qu’il n’en était donc pas responsable.
Mais j’ai personnellement rencontré le directeur de l’Institut Butantan, Dimas Tadeu Covas, et je lui ai parlé de mes recherches. J’ai donné un séminaire de recherche en avril, dans le cadre duquel j’ai montré les données aux 90 personnes présentes dans l’assistance. Il est donc étrange de dire que personne n’était au courant de cette recherche.
Je n’ai pas été la première à dire que les pesticides causent des problèmes. Je n’ai pas été la première et je ne serai pas la seule. Il existe de nombreuses études à ce sujet. Je me suis donc aussi demandé : où est le problème ? Qu’est-ce que j’ai dit qu’ils n’ont pas déjà dit ? J’aimerais donc savoir à qui j’ai déplu ? Ai-je déplu au ministère de la Santé ?
Pourquoi croyez-vous que l’étude ait autant dérangé l’Institut Butantan et le ministère de la Santé ?
J’imagine que c’est la question des pesticides qui a conduit à tout cela. J’ai déjà participé à plusieurs études et cela ne s’était jamais passé ainsi. J’ai déplu à la ministre de l’Agriculture, Tereza Cristina, qui est allée contester l’étude publiquement. Qu’est-ce que Tereza Cristina a à voir avec l’Institut Butantan pour que l’institut me punisse ?
Je ne suis pas une irresponsable. Mon père est planteur de canne à sucre ; sans la canne à sucre, je n’aurais pas fait d’études, je ne serais pas ici. Je connais donc l’importance de l’agro-industrie, l’importance de l’agriculture. Je pense simplement que nous n’avons pas à nous battre avec les données, avec la science. Nous devons travailler à partir de cela. Pourquoi ne pas comprendre qu’on peut faire mieux et avoir des alternatives ? On peut trouver un meilleur dosage.
Je connais d’autres collègues travaillant sur les pesticides qui m’ont dit avoir eux aussi été persécutés à cause de cela. Je ne savais pas, jusque-là, qu’il y avait tout un ensemble de persécutions contre les gens qui étudient les pesticides.
Pour que vous ayez une idée, j’avais été invité à un événement sur le poisson-zèbre à la Fiocruz à Rio de Janeiro. Il y a deux semaines, j’ai reçu un courriel de la Fiocruz m’informant qu’en raison de la forte demande pour mon cours, celui-ci avait été annulé. En fait, cela n’a aucun sens parce que, quand on a beaucoup de demandes, on n’annule pas un cours. Au contraire, on l’annule seulement quand on n’a pas de demande. Ils ont donc annulé ma venue, et l’événement aura lieu sans moi. Croyez-vous que ce soit une coïncidence ? Je suis la seule à avoir été déprogrammée, le reste de l’événement continue, mais je ne peux pas y participer.
Vous sentez-vous persécutée ?
Je cherche un autre qualificatif pour persécution, mais je ne l’ai pas trouvé. Je pense que ce qu’ils me font, c’est du harcèlement moral. Je n’aurais jamais pensé avoir besoin d’engager un avocat pour une raison que je considère inutile. J’ai toujours eu de bonnes relations avec l’Institut Butantan. Mais nous en sommes arrivés à un point de brutalité qui me fait mal. Je n’ai rien fait pour égratigner ou entacher une institution pour laquelle j’ai toujours travaillé.
J’ai du mal à me lever pour travailler ; je n’ai toujours pas retrouvé ma joie d’avant. Je n’aurais jamais imaginé vivre un tel moment au cours des 30 années que j’ai consacrées à cette institution. J’y suis arrivée en tant que stagiaire et je suis restée parce que je suis tombée amoureuse de Butantan. Vous comprenez pourquoi c’est douloureux ?
Je viens d’Alagoas et j’ai changé ma vie pour venir ici parce que j’avais trouvé ce havre de science. Je me suis retrouvée ici, à Butantan, et maintenant, voir les attitudes de la direction me fait très mal. Ce qui m’attriste, c’est de ne pas être heureuse d’être ici. Parce que c’est mon boulot, c’est ce que j’aime. Alors maintenant, je vis une lutte constante. Je garde l’espoir que cela passera. Mais je ne sais pas quand. Face à tout ce qui se passait, j’ai dû engager un avocat. Je n’ai pas de place pour parler et me défendre.
Depuis 2015, je propose une formation avec des cours théoriques et pratiques, liée au secteur des enseignements de l’Institut Butantan, ouverte à tous ceux qui, à partir du premier cycle universitaire et plus, veulent travailler sur le poisson-zèbre. 30 places sont offertes pour lesquelles je reçois chaque année environ 100 candidatures. Au total, j’ai déjà accueilli 150 professionnels venus de tout le Brésil.
Le certificat de participation et la promotion du cours émanent de l’Institut Butantan.
Cette année, j’ai procédé comme d’habitude, comme j’ai toujours fait. Trois jours après le début de ce processus, j’ai reçu un appel téléphonique m’informant que le cours ne pourrait pas être lié à l’Institut Butantan. Est-ce une coïncidence ? Après tout ce qui s’est passé, je ne crois plus aux coïncidences.
Cette année, il y a une nouvelle réglementation qui prévoit que les cours doivent désormais passer par le Comité d’éthique animale.
Je me demande quel est l’intérêt de tout cela ? Cela me déconcerte et m’attriste.
Y a-t-il une persécution à l’encontre des scientifiques en cours ?
Plusieurs personnes m’ont dit qu’elles ont également été la cible de harcèlement au travail. Comme, par exemple, avoir ses invitations à donner des conférences annulées. Je pense qu’il y a une volonté d’abolir la science. Je vois, par exemple, que le ministre [de la Santé] Osmar Terra a remis en question les propres données de la Fiocruz sur les drogues ; un autre ministre [Marcos Pontes, ministre de la Science, de la Technologie et des Innovations] a remis en question les données de l’INPE sur la déforestation. Il y a le ministre de l’Éducation, qui a provoqué un gâchis énorme avec des coupures budgétaires dans l’éducation. Puis arrive Tereza Cristina qui questionne mes données. Qu’est-ce que c’est que ça ? C’est abolir la science. Nous vivons l’un des moments les plus difficiles, je pense. Ils veulent discréditer ce qu’est la science. C’est impossible parce qu’il n’y a aucun moyen de discréditer la science. Mais il est préférable, pour beaucoup, d’avoir un pays ignorant.
Je pense que ce que l’on ne peut pas faire, c’est se taire. Nous devons comprendre que nous sommes une force. Nous ne pouvons pas nous laisser effrayer. Quand nous comprendrons qu’ensemble, nous, les scientifiques, nous sommes plus forts, alors les choses changeront. Donc je suppose que ce dont nous avons besoin, c’est de cela. Il faut qu’on parle, qu’on ait une voix, il ne faut pas qu’on se cache. Nous devons nous débarrasser de cette peur.
“Cette interview fait partie du projet Por Trás do Alimento (Derrière l’alimentation), un partenariat entre Agência Pública et Repórter Brasil pour étudier l’utilisation des produits agrochimiques au Brésil. Le reportage complet est disponible sur le site Web du projet.”