Paraisópolis, la favela « pop » souffre déjà de la spéculation immobilière.

 | Par Marina Novaes

Source : El Pais - 02/06/2015
Traduction pour Autres Brésils : Zita Fernandes
(Relecture : Tiphanie Constantin)

Visite de la favela de Paraisópolis : la région prône une amélioration. / Eduardo Knapp (FOLHAPRESS)

Coincée à côté du Morumbi, l’un des quartiers les plus nobles de la zone sud de São Paulo, Paraisópolis, la seconde favela la plus peuplée de la capitale pauliste (avec près de 100 000 habitants), est sans doute la plus connue de l’État, et ce bien avant de passer quotidiennement à la télévision brésilienne, avec le feuilleton I Love Paraisópolis (TV Globo), diffusé depuis un mois. Proche des masures et des luxueux immeubles du Morumbi, c’est l’un des symboles des inégalités de la ville. Elle a toujours été valorisée, de par sa proximité avec des zones telles que Berrini et Juscelino Kubitschek, où des multinationales ont établis leurs sièges. Bien que les spécialistes ne soient pas toujours unanimes quant à la gentrification [1] de la région, une plainte différente émane des rues : c’est devenu plus cher d’y habiter. Ses habitants prétendent désormais profiter de l’effet feuilleton pour revendiquer des améliorations dans le quartier qui équivalent à l’augmentation du coût de la vie.

Une baraque avec une chambre/séjour, une cuisine et une salle de bain, revient à pas moins de 400 réaux par mois, mais cette somme s’élève fréquemment à 600 réaux, un peu moins que le salaire minimum.
Le journal EL PAÍS a recueillit principalement des réclamations concernant l’augmentation du prix des loyers, cependant la zone souffre d’une série de problèmes propres aux favelas brésiliennes : manque de travaux d’assainissement de base, manque d’infrastructures et de logements sociaux ; inondations et incendies récurrents ; faible sécurité et accès aux transports en communs.

D’autre part, la communauté assiste à une verticalisation vertigineuse : il suffit de faire un tour à pied dans la région pour y voir la prolifération des étages – les fameux puxadinhos [2] – qui croissent sur les maisons faites de briques et de béton, construis par les propres habitants, ils atteignent parfois les sept mètres de haut. Les nouveaux étages, plus commodes, sont mis en location.

« C’est principalement le manque de construction d’unités d’habitation, promis par la mairie, qui augmente le coût de la vie à Paraisópolis. Parce qu’avec les 6000 personnes qui perçoivent l’allocation pour le logement, il est évident que le prix du loyer va augmenter », déplore Gilson Rodrigues, président de l’Union des Habitants et du Commerce de Paraisópolis. « Il y a des habitants de Paraisópolis qui ont vécu toute leur vie ici et qui maintenant ne parviennent plus à rester », ajouta-t-il.

Selon une étude réalisée par Serasa et divulguée dimanche dernier dans Fantástico (TV Globo), un habitant de Paraisópolis sur trois est endetté. Cet indice est un peu plus élevé que le pourcentage enregistré pour la capitale pauliste, qui est d’un habitant sur quatre.

« Celui qui déclare qu’il est plus cher de vivre dans les favelas, dit vrai. Et cela n’est pas seulement le cas à Paraisópolis, mais aussi dans la majorité des favelas de la zone sud de Rio de Janeiro », affirme Renato Meirelles, directeur du Data Popular. [3] Une étude réalisée par cet institut en février dernier, auprès de 1007 habitants de favelas à São Paulo, a révélée que 57% des personnes interrogées estiment qu’il « est plus cher de vivre dans la favela que l’année dernière » et 48% disent que « le mauvais côté du développement de la favela est l’augmentation du prix du loyer ».

« Il y a quelques facteurs qui justifient cela, l’un d’eux étant qu’il est plus cher de vivre au Brésil. Point. Et le loyer des favelas augmente plus que celui du pays, ce qui accroit la demande de produits et de services, génère l’inflation, etc. Mais il y a un facteur extérieur que Paraisópolis partage avec le Vidigal ou le Morro do Alemão, qui est la notoriété de ces communautés. Que ce soit pour le tourisme ou une migration d’autres zones vers Paraisópolis ou vers Vidigal… Cela augmente le prix du mètre carré, par conséquent, le coût de la vie », explique Meirelles.

Gentrification est le terme employé par les urbanistes pour expliquer un phénomène commun dans diverses parties du monde : des personnes au pouvoir d’achat élevé qui s’installent dans des quartiers pauvres, obligeant les habitants locaux à déménager vers d’autres zones en raison de l’augmentation conséquente du coût de la vie. Outre l’embourgeoisement local, la gentrification modifie le visage du quartier du tout au tout. Dans le jargon populaire brésilien, ce serait quelque chose comme la gourmétisation des favelas. Tandis que dans le Vidigal l’installation des Unités de Police Pacifiées (UPPs) a été pointée comme étant le facteur de l’élitisme croissant, à Paraisópolis, outre la proximité des quartiers nobles comme le Morumbi, ce sont les travaux d’urbanisation débutés il y a dix ans par la mairie qui attirent les regards étrangers. Mais pour Meirelles, le phénomène ce qui se produit à Paraisópolis, n’est pas encore de la gentrification.

« Je ne crois pas qu’il y ait de phénomène de gentrification. Parler d’un processus de gentrification est très lourd. Ce que je crois, c’est qu’il y a clairement un processus de valorisation de la région, ce qui apporte également beaucoup de bonnes choses. On ne peut pas dire qu’apparaître dans un feuilleton soit mauvais pour une communauté. Qu’est ce qui serait le mieux alors ? Rester isolé ? Devenir un ghetto ? » nuance le chercheur.

L’effet feuilleton

En avril, Paraisópolis a protesté contre la Mairie de São Paulo et le Gouvernement de l’Etat apportant une série de revendications. La population exige à Fernando Haddad (PT) la reprise des travaux d’urbanisation de la favela, qu’ils disent arrêtés depuis deux ans – comme la construction de nouveaux lotissements de logements sociaux, d’un hôpital, et dénonce l’augmentation du loyer social et la canalisation d’un cours d’eau qui provoque des inondations par temps de pluie. De Geraldo Alckmin (PSDB), la population veut principalement s’assurer que la Ligne 17-Or du Métro, le monorail, desservira le quartier.

Visite de la partie supérieure de la Maison de « Gaudi » à Paraisópolis : la communauté offre des tours culturels. / MARCELO PEREIRA

Quelques jours après, en dépit de ce que réclament certains voisins du Morumbi, qui surnomment péjorativement la ligne de métro de monorail et ont mené l’affaire devant les tribunaux, le gouverneur et l’association locale se sont réunis et il a été établit que le monorail ne subirait pas d’altération en ce sens. Le Gouvernement statutaire avait initialement assuré que la ligne serait fonctionnelle pour la Coupe du Monde de 2014, mais les travaux ont été retardés et devraient prendre fin en 2017.

La mairie argumente qu’elle n’a cessé d’investir dans la région – en 2013, peu après le début de son mandat, Haddad a visité le quartier, mais l’Union des Habitants parle maintenant « d’abandon ». « Durant les premiers mois de gestion, nous avons eu une série de réunions, les travaux avaient quelque peu repris, puis ont été laissés à l’abandon. Et que s’est-il passé ? Il n’y a pas de dialogue. La mairie ignore Paraisópolis », critique Rodrigues.

Contactée pour le reportage, la mairie a réfuté l’accusation et a nié l’abandon. Dans une note, elle a affirmé qu’elle « agit sur plusieurs fronts afin d’améliorer la région ». « Les travaux d’urbanisation visent directement vingt mille familles, avec l’implantation des écoulements, l’infrastructure, le pavage, la canalisation, en plus de la construction d’unité d’habitation, avec un investissement de 113,8 millions de réaux répartis entre les ressources municipales et fédérales. 73,2 millions de réaux ont déjà été investis.
Toute la communauté a déjà bénéficié des 305 nouvelles unités livrées en partenariat avec la CDHU (Compagnie du Développement de l’Habitation et de l’Urbain). Actuellement, 4728 familles de Paraisópolis bénéficient de l’allocation d’aide au logement. Elles ont été retirées des zones de risque ou faisant face à des travaux publics »
, affirma-t-il.

En attendant, celui qui se promène dans les rues de la favela peut lire la phrase, située à pas moins de trente endroits différents, qui donne son nom au feuilleton global accompagnée du hashtag #urbanisationtoutdesuite – une manière de tenter de diriger les caméras et la visibilité atteinte vers les demandes de la population locale. Paraisópolis veut plus de ses minutes de gloire.

Notes de la traduction :

[1Gentrification  : Vient de l’anglais et désigne la tendance à l’embourgeoisement d’un quartier populaire.

[2Puxadinho  : est une construction illégale qui se présente comme une extension ou une annexe dans un immeuble. Cette construction informelle permet aux populations pauvres de résoudre un problème d’espace, sans avoir à reconstruire l’ensemble du bâtiment.

[3Data Popular : Institut de recherche sur les classes sociales.

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