« Nous sommes tous en enfer »

 | Par Arnaldo Jabor

"Entrevue de Marcola (alias Marco Camacho, chef du PCC, « Premier Commando
de la Capitale », gang des capos de la cocaïne emprisonnés à Rio de
Janeiro) accordée à un journaliste du groupe médiatique Globo le
23/05/2006." Telle était (et est encore) la présentation de ce texte lors de sa diffusion dans d’innombrables sites et listes de discussion sur internet. Nous savons maintenant que cet entretien est une fiction créée par le journaliste brésilien Arnaldo Jabor pour l’une de ses chroniques. Quoi qu’il en soit, faux-vrai ou vrai-faux, nous pensons qu’il vaut la peine d’être lu. [Note de Autres Brésils]


Question : Tu es du PCC ?

<img838|left> Marcola : Beaucoup plus, je suis le symptôme de cette époque. J’étais pauvre et
invisible. Aucun de vous ne m’avait jamais regardé pendant des décennies
et autrefois c’était facile de résoudre le problème de la misère. Le
diagnostic était évident : exode rural, inégalités de revenus,
bidonvilles mais encore en nombre réduit... Mais la solution
n’apparaissait jamais.

Qu’est-ce qui a été fait depuis ? Rien. Est-ce que le gouvernement
fédéral a jamais consacré le moindre budget pour nous ? Nous
n’apparaissions que lors des effondrements des quartiers de collines, ou
jouant de la musique romantique sur « nos belles collines quand se lève
le soleil » et toutes ces sortes de choses. Aujourd’hui nous sommes
riches grâce à la multinationale de la cocaïne. Et c’est vous qui
commencez à mourir de peur. Nous sommes le commencement tardif de votre
conscience sociale. Vous voyez bien. Je lis Dante depuis que je suis en
prison.

Mais quelle serait la solution ?

Une solution ? Mais il n’y a pas de solution, mon frère ! L’idée même
d’une solution est une erreur. Tu as vu la dimension des 560 bidonvilles
de Rio de Janeiro ? Tu as survolé en hélicoptère la périphérie de Sao
Paulo ? Quelle solution ? Seulement si on investissait de façon
organisée des millions de $, avec un gouvernement de très haut niveau,
avec une vraie croissance économique, une révolution dans l’éducation,
une politique globale d’urbanisation, le tout sous la poigne de fer
d’une tyrannie éclairée capable de bousculer la paralysie bureaucratique
séculaire, capable de passer par-dessus le pouvoir législatif complice.

Ou tu crois peut-être que les vampires traditionnels resteront sans
réagir ? Si on n’y fait pas attention, ils seraient capables de bouffer
le PCC lui-même. Et le pouvoir judiciaire qui empêche les sanctions ? Il
faudrait une réforme radicale du processus pénal dans ce pays. Il
faudrait que les polices municipales, provinciales et fédérales
travaillent enfin en bonnes coordination et intelligence (Au lieu de ça) te rends-tu compte que je peux organiser des vidéoconférences par
portables depuis ma cellule avec les autres prisons de la ville ? Mais
une telle politique coûterait des milliards de $ et impliquerait une
mutation psychosociale radicale dans les structures politiques du pays.
Or, c’est impossible (donc) il n’y a pas de solution.

Tu as peur de mourir ?

C’est vous qui avez peur de mourir, pas moi. Ou, pour mieux dire :
ici, dans la prison, c’est vous qui ne pouvez pas entrer et me tuer,
tandis que moi, je peux d’ici commander qu’on vous tue au-dehors. Nous
sommes des hommes-bombes. Nous sommes au centre même de l’insoluble.
Vous vous imaginez situés entre le bien et le mal, avec au milieu
l’unique frontière : la mort. Nous, nous sommes une nouvelle espèce,
nous sommes des créatures différentes de vous. Pour vous, la mort c’est
un drame chrétien qui se joue dans un lit ou lors d’une attaque
cardiaque. Pour nous, la mort c’est le pain quotidien, c’est la fosse
commune. Vous, les intellectuels, vous nous parlez de luttes de classes,
de marginalité, d’héroïsme. Et puis nous arrivons, nous. Ha ! Ha ! Ha ! Je
lis beaucoup. J’ai lu 3 000 livres et j’ai lu Dante (depuis que je suis
en prison). Mes soldats à moi sont d’étranges anomalies du développement
tordu de ce pays. Il n’y a plus de prolétaires, de malheureux,
d’exploités.

Il y a, en train de se développer dehors, une chose étrange qui prospère
dans la boue, qui s’éduque dans l’analphabétisme le plus absolu, qui se
diplôme dans les prisons, comme un monstre « Alien » caché dans les
recoins de la ville. Déjà a surgi un nouveau langage.

Vous, vous avez renoncé à écouter les enregistrements réalisés « avec
l’autorisation » des autorités judiciaires officielles ? C’est bien ça.
C’est une autre langue. Celle de la post-misère. Oui, c’est ça : la
post-misère engendre une nouvelle culture assassine, relayée par la
technique, les satellites, les portables, Internet, les armes modernes.
C’est la merde avec chips et mégabits. Mes partisans sont une mutation
de l’espèce sociale. Ce sont les champignons d’une gigantesque et
dégueulasse erreur.

Qu’est-ce qui a changé dans les « périphéries » ?

Ah, on y arrive ! Vous croyez que celui qui a 40 millions de $ comme
Beira Mar (autre capo) n’a pas le pouvoir ? Avec 40 millions de $ la
prison est un hôtel, un bureau d’étude. Quel policier va détruire cette
mine d’or, tu me suis ? Nous sommes une entreprise riche, moderne. Si un
fonctionnaire trébuche ; il est congédié, « cramé au micro-ondes ». C’est
vous qui êtes l’État en faillite, dominé par des incompétents. Nous,
nous avons des méthodes de gestion agile. Vous, vous êtes lents,
bureaucratiques. Nous, nous luttons sur notre propre terrain. Vous, vous
êtes en terre étrangère. Nous, nous n’avons pas peur de la mort.

Vous, vous mourez de trouille. Nous, nous sommes bien armés. Vous, vous
avez des calibres 38. Nous, nous sommes à l’offensive. Vous, vous êtes
sur la défensive. Vous, vous avez la manie de l’humanisme. Nous, nous
sommes cruels, sans pitié. C’est vous qui nous avez transformés en
superstars du crime. Nous, nous vous prenons pour des clowns. Nous, nous
avons l’appui de la population des bidonvilles qui nous suit par peur ou
par amour. C’est vous qui êtes haïs. Vous êtes localistes,
régionalistes. Nos armes et nos produits à nous viennent de l’extérieur,
c’est nous les « globalisés ». Mais nous ne vous oublions pas : vous
êtes nos clients. Vous, vous nous oubliez dès que la peur de le violence
que nous provoquons est passée.

Mais alors, que faire ?

Je vais vous donner une idée, même si elle doit se retourner contre
moi. Attrapez les « barons de la poudre » (la cocaïne). Parmi eux, il y
a des députés, des sénateurs, des généraux, et même des ex-présidents du
Paraguay qui pataugent dans le trafic d’armes et de cocaïne. Mais qui se
risquera à faire ça ? L’armée ? Avec quel budget ? Elle n’a même pas de
quoi donner à bouffer à ses bidasses. Le pays est exsangue et l’État est
moribond, avec des intérêts de 20 % par an. Et le Lula qui augmente
encore les dépenses publiques en recrutant 40 000 parasites sans
vergogne ! Vous croyez que l’armée serait capable de lutter contre le
PCC ? Je lis en ce moment De la guerre, de Clausewitz. Il n’y a aucune
perspective de succès contre nous. Pour en finir avec nous, il faudrait
rien moins que larguer une bombe atomique sur les bidonvilles. Vous
imaginez ? Ipanema radioactive ! (Ipanema : favela « d’exportation »,
popularisée par les films et les chansons vantant la « spontanéité
créatrice des pauvres heureux sous les tropiques »)

Alors : pas de solution ?

Vous ne remporterez aucun succès tant que vous continuerez à défendre
la « normalité ». Car il n’y a plus de normalité. Vous devez faire
l’autocritique de votre propre incompétence. Mais soyons francs,
sérieusement : quelle est la morale de tout ça ? Nous sommes au milieu
de l’insoluble. Seulement nous, nous en vivons et vous, vous êtes dans
l’impasse. Reste la merde. Or nous, nous savons travailler dans la
merde. Écoute-moi bien, mon frère : il n’y a pas de solution. Et tu sais
pourquoi ? Parce que tu ne comprends rien à la dimension du problème.
Comme l’a écrit le divin Dante : « Perdez toute espérance. Nous sommes
tous en enfer. »


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