Les médias brésiliens ont contribué à fabriquer Bolsonaro et le bolsonarisme mais ne veulent pas le reconnaître

 | Par Observatório da Imprensa

En octobre 2018, le candidat Jair Messias Bolsonaro, alors membre du Parti Social Libéral (PSL), a été élu président de la République avec le soutien d’une alliance hétérogène associant des militaires, des grands capitalistes, les grands médias, des pasteurs évangélistes et des groupes extrémistes sortis d’on ne sait où, après les manifestations de juin 2013. Durant cette campagne électorale, le plus important était d’éviter une victoire du Parti des Travailleurs (PT), quelles que soient les contradictions qui pouvaient exister entre les secteurs qui appuyaient la candidature du PSL.

Traduction : Roger Guilloux pour Autres Brésils
Relecture : Luc Duffle Aldon

Alors que la presse internationale se montrait perplexe face au fait que le peuple brésilien [1] – tolérant, joyeux et réceptif – ait pu choisir un candidat d’extrême droite, connu pour ses déclarations misogynes, racistes et homophobes, la presse brésilienne, plus optimiste, considérait que le Bolsonaro si controversé, une fois arrivé au plus haut poste de la nation, serait facilement contrôlé, remis « sur le droit chemin » et, plus important encore, exécuterait le programme néo-libéral de Paulo Guedes [2].

La présentation de Bolsonaro comme politicien d’extrême droite, amplement retenue par des médias internationaux ayant des orientations idéologiques différentes tels que The Guardian, Financial Times et New York Times, n’a jamais été utilisée par les grands médias brésiliens.

Un éditorial de l’Estado de S.Paulo, publié au début de la campagne du deuxième tour, reflétait bien la pensée des classes dominantes vis-à-vis des candidatures du PSL et du PT. Même si elles reconnaissaient l’agressivité de Bolsonaro, le texte attirait l’attention sur le risque Haddad, qui « porte-parole de ce détenu [Lula], [pourrait] annuler les privatisations, restaurer le régime d’exploitation pétrolière qui avait ruiné la Petrobras et mettre fin à la réforme de la législation du travail , entre autres horreurs ».

Le fait que les médias, de manière unanime, aient adhéré à la campagne électorale de Bolsonaro (et parfois de manière honteuse), n’avait rien de surprenant. Comme nous le montre l’histoire, pour le grand capital (dont cette presse hégémonique est le principal porte-parole), peu importe si le pouvoir politique est aux mains d’un « démocrate » comme Fernando Henrique Cardoso ou d’un « extrémiste » comme Bolsonaro, l’important est de garantir le maintien des bénéfices. Le capital ne peut s’arrêter.

Cependant, les résultats négatifs dans le secteur économique et, plus encore, les attitudes irresponsables du Président vis-à-vis de la pandémie du coronavirus ont démontré la totale incapacité de Bolsonaro à diriger le Brésil.

Face à cette réalité, il est devenu absolument nécessaire, pour les grands médias, de se démarquer totalement de l’image du président et de cacher par tous les moyens, son appui à l’ex-capitaine au cours de la dernière campagne électorale (comme cela s’était déjà produit avec Fernando Collor dans les années 90). Citant Marx, « l’histoire se répète, la première fois comme une tragédie, la seconde, comme une farce ».

Bolsonaro est devenu « le fils qui a mal tourné et dont personne ne veut assumer la paternité ». Dans le quotidien O Globo, Miriam Leitão a parlé ouvertement de la possibilité de destitution. Pour Cristina Lôbo , Bolsonaro se comporte comme s’il était toujours député ou en campagne électorale. Quant à Merval Pereira (également appelé « la voix de Dieu », étant l’un des rares journalistes ayant un accès direct à la famille Marinho ), il l’a traité de « menteur », « d’incompétent » et « d’irresponsable ».

Ironiquement, comme l’a bien rappelé Jeff Benício, rédacteur du portail Terra, « au cours de la campagne électorale de 2018, Merval, dans ses commentaires au Journal de 20 heures et au programme Central das Eleições, ne cachait pas un certain enthousiasme vis-à-vis de celui qui était alors le candidat du PSL ». Paraphrasant le dicton populaire, les médias qui ont accouché de Bolsonaro, ne veulent plus le bercer.

Il est important également de rappeler que les discours haineux de chroniqueurs renommés qui associaient les pratiques de corruption au seul secteur de l’État (principalement quand il était dirigé par le PT), ont fourni le combustible symbolique qui a conduit à la haine de la politique et, par voie de conséquence, à la montée en puissance de mouvements d’extrême droite tels que le bolsonarisme.
Ces mêmes organes de communication qui, aujourd’hui, s’indignent des agressions contre les journalistes et les professionnels de la santé, n’ont pas réagi, il y a quelques années, aux abominations publiques proférées contre les personnes liées à la gauche.

Comme disait Bertold Bretcht, la chienne du fascisme est toujours en chaleur. Au Brésil on l’a lâchée dans la rue pour qu’elle aille renforcer les manifestations anti-PT/ (avec le plein consentement des médias). Elle est devenue incontrôlable et maintenant, elle demande une intervention militaire, le retour de l’AI-5 et la fin du confinement mis en place pour freiner la pandémie du coronavirus.

Par ailleurs, certains secteurs de notre intelligentsia, du confort de leurs bureaux, préfèrent blâmer le peuple brésilien pour l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro et du bolsonarisme. Dans son blog, le professeur de l’UFFS Ivann Carlos Lago, a déclaré que « Bolsonaro est une image très fidèle du Brésilien moyen, un portrait de la manière de penser le monde, la société et la politique qui caractérise le citoyen typique de notre pays […]. Plein de préjugés, violent, inculte (dans les domaines de la littérature, de la politique, de la science, … pratiquement en tout). Il est raciste, machiste, autoritaire, profiteur, moraliste, cynique, bavard, malhonnête […] ».
Cependant, si nous devions nous limiter aux chiffres, nous aurions déjà suffisamment d’arguments pour réfuter la thèse tendancieuse de ce professeur. Bolsonaro n’a pas été élu par la majorité des électeurs. Ensemble, les votes de Haddad, les votes blancs et nuls et les abstentions ont dépassé ceux en faveur de l’actuel président. De plus, selon une enquête de la Datafolha , le noyau dur des bolsonaristes, c’est-à-dire ceux qui ont voté pour lui lors des dernières élections, qui considèrent sa manière de gouverner comme excellente ou bonne et qui disent avoir confiance en sa parole, ne représentent que 12% de la population.

Il n’est pas nécessaire de recourir au concept consacré de « culturalisme bâtard » qui pousse à rabaisser le peuple brésilien, pour comprendre la victoire électorale de Bolsonaro. Ce qui a conduit le Brésil à élire son premier président d’extrême droite est tout simplement dû au fait que le candidat préféré de la majorité de l’électorat, Luiz Inácio da Silva, n’a pas été autorisé à disputer l’élection présidentielle.
Dès le début de son mandat, Bolsonaro a gouverné d’une manière totalement cohérente avec ses idées et sa trajectoire en tant qu’homme public : montée en puissance de l’autoritarisme, diffusion d’infox, mépris de la vie d’autrui, attaques contre l’éducation publique, non reconnaissance des savoirs scientifiques.

Les principaux groupes de médias du pays étaient parfaitement conscients de ces questions mais ils ont appuyé la candidature du PSL au nom du « Dieu Marché ». Et maintenant nous en supportons tous les conséquences.

Rappelant les mots de Michiko Kakutani dans son livre, A morte da verdade, si nous nous tournons vers les écrits et les faits de l’histoire, nous aurons une meilleure vision du présent et de ce qui va advenir. Avant d’arriver au pouvoir, Hitler passait pour un « agitateur antisémite » mais « la menace communiste » était considérée comme un plus grand mal. Néanmoins, de nombreux citoyens allemands et les journaux croyaient qu’Hitler « abandonneraient certainement cette vulgarité » et que le mouvement nazi « s’effondrerait rapidement ».

Comme nous le savons, malheureusement l’histoire ne s’est pas terminée ainsi. Toute ressemblance avec notre contexte actuel n’est que pure coïncidence !

***
Francisco Fernandes Ladeira est titulaire d’une maîtrise en géographie de l’UFSJ. Auteur des livres L’influence des discours géopolitiques des médias dans l’enseignement de la géographie : pratiques pédagogiques et étudiants imaginaires (en partenariat avec Vicente de Paula Leão) et 10 ans d’Observatório da Imprensa : la deuxième décennie du 21e siècle du point de vue d’un critique des médias, tous les deux édité par CRV.

Voir en ligne : Observatorio da imprensa – Edition 1087 Mídia ajudou a criar Bolsonaro e o bolsonarismo, mas diz não ter nada a ver com isso

Photo de couverture : Le 20 Fevrier, au palais présidentiel, Bolsonaro fait un geste obscène vers les journalistes en critiquant les nouvelles qui « sont contre lui »

[1Manifestations de juin 2013. Séries de manifestations d’étudiants qui débutent en mars à Porto Alegre, à la suite de l’annonce de la hausse des tarifs d’autobus. Elles se sont étendues à l’ensemble du Brésil et ont débouché sur un mouvement aux revendications plus larges contre le gouvernement et plus particulièrement contre la gestion du PT.

[2Bolsonaro a rompu avec le PSL pendant la première année de son mandat ; actuel ministre (néo-libéral) des finances et de l’économie.

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