La superficie des propriétés de plus de 100 000 hectares a augmenté de 372 % au Brésil depuis 1985. C’est ce que nous apprend le Rapport DataLuta Brasil, du Centre d’Études, de Recherches et de Réforme Agraire (NERA) de l’Université de l’Etat de São Paulo (Unesp), initialement publié en 2014 et mis à jour en janvier de cette année.
Selon cette étude, la réforme agraire suit un rythme plus lent que celui de la territorialisation de l’agrobusiness, principalement en raison de l’appropriation indue de terres et du processus d’achat des terres par des étrangers – on recense des propriétaires fonciers d’au moins 23 pays, les principaux étant les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni, la France et l’Argentine.
« Les principaux investissements [sur ces terres] sont réalisés dans les cultures d’exportation : le soja, le maïs, le canola, le colza, le sorgho, la canne à sucre et les plantations d’arbres en monoculture, ainsi que la production de semences transgéniques », indique le rapport.
A ce sujet, des comparaisons ont été faites entre les gouvernements « néo-libéraux » et « post-libéraux » - le premier groupe étant formé par les gouvernements José Sarney (1985-1990), Fernando Collor (1990-1992), Itamar Franco (1992-1995 ) et Fernando Henrique Cardoso (1995-2002), et le second par Luiz Inacio Lula da Silva et Dilma Rousseff (2003-2016).
Le résultat est qu’aucun des deux groupes n’a considéré la réforme agraire comme un axe stratégique pour un modèle de développement alternatif. Dans les deux groupes, la politique agraire établie a garanti le contrôle territorial du célèbre « binôme de la propriété agricole » : l’agrobusiness et les politiques de développement de l’agriculture, en particulier en ce qui concerne les investissements dans la production et dans les technologies, principalement orientés vers le modèle dominant.
Mobilisation paysanne
Pour les chercheurs, « la réforme agraire est une initiative des luttes paysannes, qui se ‘spatialisent’ et se ‘territorialisent’ et qui engendrent des ‘conflictualités’ avec le modèle de développement hégémonique » (sic), en d’autres termes, les seules forces qui s’opposent au modèle hégémonique sont les mouvements paysans et indigènes qui, en plus de se battre pour la terre, luttent pour une place dans la construction d’un modèle alternatif.
Le rapport cite cinq acteurs de la lutte pour la terre dans le pays : le Mouvement des Travailleurs Sans Terre (MST), la Confédération Nationale des Travailleurs Agricoles (CONTAG), le Front National des Luttes (FNL) et les mouvements autochtones ainsi que des populations quilombolas [1] , pour qui les occupations, le blocage des rues et l’organisation de marches sont autant de stratégies de revendication.
Selon Dataluta, les luttes pour la terre se sont intensifiées sous le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso, période connue pour la crise économique et la meilleure structuration des mouvements paysans.
À l’époque, l’ancien président avait déclaré qu’il ferait la réforme agraire au Brésil, mais avec l’augmentation des occupations de terres (qui a culminé en 1998, avec près de 113 000 familles dans les campements), le gouvernement a non seulement renoncé à sa promesse, mais il a aussi approuvé la Mesure Provisoire n° 2109-49/2001 pour criminaliser les occupations.
La deuxième vague de mobilisation a commencé avec la phase post-néolibérale en 2003 et l’élection de Luiz Inácio Lula da Silva, période où la croissance du nombre de familles installées a été la plus forte (117 000 au total). Pourtant, malgré les promesses de mener à bien la réforme agraire, Lula n’a pas été en mesure de changer la structure foncière nationale.
Le gouvernement Dilma, à son tour, se distingue comme l’un des pires en ce qui concerne l’établissement de colonies depuis la promulgation de la Constitution de 1988.
Après le coup d’État
Tout en critiquant l’ancienne présidente, l’étude estime que le départ de Dilma Rousseff a ouvert une nouvelle période néo-libérale dans le pays.
« Avec le coup d’État, un certain nombre de mesures néfastes ont été mises en place par le gouvernement auteur du coup d’Etat (golpista) dans les différents secteurs qui composent la société brésilienne, des domaines comme celui de l’éducation et de la santé jusqu’à la sécurité sociale, ce qui signe un intense processus d’attaque des droits conquis par les travailleurs tout au long de l’histoire du pays. Le Brésil agraire n’est pas non plus épargné par ces attaques. », souligne le rapport.
L’analyse du Centre de Recherches est que des actions telles que la suppression du Ministère du Développement Agraire (MDA), les propositions de changement de la Sécurité Sociale qui nuisent aux agriculteurs et la vente de terres aux étrangers « ne font aucun doute sur la position élitiste représentée par le gouvernement issu du Coup d’État et augmentent d’encore les inégalités sociales », mais en même temps, « intensifient la résistance des mouvements populaires, ce qui amène à un nouveau scénario politique pour cette deuxième phase de gouvernements néolibéraux ".