La religion comme symbole de la domination des milices dans les périphéries Entretien spécial avec Christina Vital

La professeure analyse les renommés « trafiquants évangéliques » et comment ils associent le monopole des pouvoirs politiques, éthiques et sociaux dans des endroits où la relation avec d’autres institutions est fragile

Traduction de Rosemay JOUBREL pour Autres Brésils
Relecture de Magali DE VITRY

Il fut un temps où la religion était encore plus centrale dans les sociétés humaines, étant le pôle rayonnant de la logique politique, éthique, sociale, imposant également son hégémonie depuis la guerre. Mais, dans le monde moderne, il est étrange de penser que la religion reprend cette place de pôle rayonnant. Et encore plus si l’on parle du monde du crime. « Cela semble contradictoire à dire, mais les cas ne prêtent pas à confusion : la religion, ses codes, ses images et ses répertoires sont aujourd’hui un symbole de domination de certains groupes armés dans les territoires », observe la professeure Christina Vital, dans un entretien accordé par e-mail à IHU On-Line. Elle analyse les dits « trafiquants évangéliques » et leurs activités dans les périphéries déjà dominées par le trafic de drogue et, plus récemment, par les milices.

Pour Christina, « il ne s’agit pas de penser cette relation, ce rapprochement entre criminels et réseaux et codes évangéliques dans une perspective de conversion, d’une transformation de la vie de l’individu, mais d’une composition spécifique qui implique des attentes de transformation, appels moraux, connexion avec les récits locaux et utilisation de la religion comme icône de domination ». Ainsi, la religion serait une autre façon de démontrer le pouvoir.

L’enseignante note également que la croissance des églises évangéliques parmi les leaders du trafic de drogue est davantage un symptôme de la croissance qui se produit dans son ensemble au Brésil, en particulier dans les périphéries. « Dans ces régions, il y avait beaucoup de philanthropie catholique par des religieuses [catholiques] résidentes. Le soutien social a également été exercé, quoique de manière moins structurée, par des terreiros de candomblé et des maisons umbanda1 qui exerçaient leurs activités religieuses dans ces lieux », se souvient-t-elle, rappelant que toutes ces actions diminuent dans la même proportion que la pénétrabilité des églises évangéliques augmente.

Cette insertion passe par l’écoute, le rapprochement et les relations de confiance qui s’établissent dans une sorte de vide au sein des relations avec d’autres institutions et entités, comme l’État lui-même. « Je ne pense pas qu’il soit correct de dire que l’Église grandit là où l’État n’est pas présent. L’État est présent dans ces lieux, mais de manière précaire, renforçant les sentiments de méfiance, élément corrosif de la vie sociale », pondère-t-elle.

Cet État est également en charge de la gestion du système pénitentiaire, mais qui, là encore, laisse des vides qui ne sont en pratique comblés que par des actions comme celles des églises évangéliques. Et pas seulement : Christina révèle que les évangéliques sont au sein de la direction des prisons, ce sont des employés, ce qui indique encore un autre symptôme de la croissance de cette pratique religieuse. « Afin de renverser l’ascendant de certaines religions dans le système pénitentiaire, une réforme profonde devrait être faite. En raison de la précarité structurelle et de la déshumanisation auxquelles sont soumis les prisonniers, les institutions religieuses, en particulier les évangéliques en raison de leur présence massive, ont été fondamentales pour la survie d’innombrables détenus et pour l’organisation quotidienne des gestionnaires de ces espaces eux-mêmes », analyse-t-elle.

Avec tout cela, il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi trafic, milice et pratiques évangéliques s’entremêlent dans les périphéries. « L’assujettissement des résidents est une démonstration de force, de domination. Une attitude qui associe la croyance religieuse avec un mode commun de fonctionnement du crime. Mon attention est attirée par un récit « moralisateur » qui a suivi ces actions », souligne-t-elle.

Christina Vital da Cunha est professeure au programme post-universitaire en sociologie de l’Université Fédérale Fluminense - UFF, coordinatrice du laboratoire d’études en politique, art et religion - LePar et collaboratrice de l’Institut d’études religieuses - Iser. Elle est l’auteure du livre Oração de Traficante : uma etnografia [Prière de Trafiquant : une ethnographie] (Rio de Janeiro : Garamond, 2015) et co-auteure de Religião e política : uma análise da participação de parlamentares evangélicos sobre o direito de mulheres e de LGBTS no Brasil [Religion et politique : une analyse de la participation des parlementaires évangéliques sur les droits des femmes et des LGBTS au Brésil] (2012 ), entre autres livres et articles.

Lisez l’interview.

IHU On-Line - Une favela de la zone nord de Rio de Janeiro est connue sous le nom de « complexe israélien », un lieu où règnent l’action des milices et le trafic de drogue, mais aussi très proche de la pratique évangélique. Les trafiquants et les miliciens se présentent comme évangéliques et ont une grande pénétrabilité dans ces communautés confessionnelles. Que révèle cette réalité à Rio sur la relation entre les évangéliques, en particulier les néo-pentecôtistes, et le crime ?

Christina Vital - J’ai participé à certains programmes en 2020 dans lesquels j’avais déjà parlé de l’association entre Peixão (trafiquant de la faction Terceiro Comando Puro - TCP) et la milice. Cette situation a été confirmée par une enquête policière qui a gagné les médias il y a quelques jours. Ceux qui vivent dans les favelas et les périphéries de Rio et / ou y font des recherches savent que, depuis son origine, le Terceiro Comando est une faction connue pour « mieux traiter » la police avec de gros « pots-de vins » et avec une politique de réduction des dommages, c’est-à-dire, pour contenir les décès de policiers dans leurs domaines d’activité.

Region où s’étend la domination du Complexe d’Israel
© Google Maps

Il est clair que ces deux caractéristiques de performance subissent des changements circonstanciels, mais sont reconnues comme une marque. La « plaisanterie » parmi les résidents était que plusieurs actions gouvernementales pour l’occupation des favelas, qui engendraient une diminution conséquente des revenus des trafiquants (quoique temporaire), se sont produites de manière plus prononcée (sinon exclusive) dans les zones du domaine du Comando Vermelho2. Ils ont observé, avec cela, qu’il semblait y avoir une protection coïncidente des zones du Terceiro Comando - TC puis TCP par rapport à d’autres factions différentes.

Si c’est vrai ou non, si les chefs de l’exécutif à chaque époque depuis 1990 à Rio de Janeiro ont agi intentionnellement de cette manière, il n’existe aucun moyen de le prouver, mais la sensibilité populaire a indiqué ce qui arrive maintenant aux médias. Certes, la milice ce n’est pas l’État, mais il existe de nombreux points de contact et de nombreuses enquêtes signalant cette corrélation.

Ceux qui vivent dans les favelas et les périphéries de Rio et / ou y font des recherches savent que, depuis son origine, le Terceiro Comando est une faction connue pour « mieux traiter la police » - Christina Vital
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Justifications morales

TCP est une faction qui tente de se structurer sur la base de justifications administratives-économiques mais aussi morales (dans mon livre Oração de Traficante : uma etnografia, je présente d’innombrables cas qui contribuent à comprendre cette question). La dimension de l’honneur a également un poids qui a été renforcé avec la conversion de plusieurs dirigeants importants à des églises évangéliques. Il existe un récit moralisateur également très présent dans la mystique entourant la milice. Au TCP, certains chefs et managers sont liés au candomblé et à l’umbanda, mais ils sont résiduels par rapport au grand nombre de trafiquants qui s’identifient comme évangéliques ou comme sympathisants, personnes en voie de « libération ». Comme si leur participation au crime était éphémère, en direction de « la vie en grâce ».

Il est important de se rappeler que dans le Comando Vermelho il y a aussi ce rapprochement entre trafiquants et réseaux évangéliques sur le territoire, mais les modes de fonctionnement et « l’identité » des factions sont différents.

De toute évidence, la milice n’est pas la même chose que l’État, mais il existe de nombreux points de contact et de nombreuses recherches indiquant une telle corrélation - Christina Vital
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Ostentation évangélique

Mais pourquoi cette ostentation évangélique parmi ces groupes armés ? À quoi sert-elle ? Quelle ou quelles fonctions cela aurait-il ? Ces groupes criminels s’affirment sur le territoire à partir d’icônes. La dynamique de la guerre dans laquelle ils sont / ont été construits en friction avec l’État et la corruption viscérale qui alimente la criminalité, s’exprime par des codes linguistiques et imaginaires. Ils ont une fonction de communication à l’intérieur et à l’extérieur du groupe. Ils fonctionnent comme les ancres d’une identité.

Marcos Alvito a révélé dans l’ethnographie menée auparavant à la mine d’Acari, à Rio de Janeiro, et dans d’autres favelas que les images de saints catholiques et d’entités afro-brésiliennes étaient fortement mobilisées par les trafiquants : ils peignaient les murs des favelas et faisaient des tatouages ​​sur leurs corps. Ils portaient des colliers et des bagues épaisses avec des images de São Jorge, São Cosme et Damião, Nossa Senhora Aparecida. Zé Pilintra, Escrava Anastácia, Xangô sont également apparus dans les petits bâtiments et dans les peintures murales. Cette expression religieuse migrait vers l’évangélique. Pas exclusivement, mais surtout.

Cela semble contradictoire à dire, mais les cas sont révélateurs : la religion, ses codes, ses images et ses répertoires sont aujourd’hui un symbole de domination de certains groupes armés sur les territoires. En d’autres termes, il ne s’agit pas de penser cette relation, ce rapprochement entre criminels et réseaux et codes évangéliques dans une perspective de conversion, d’une transformation de la vie de l’individu, mais d’une composition spécifique qui implique des attentes de transformation, appels moraux, connexion avec les récits locaux et utilisation de la religion comme icône de domination. Comme si les panneaux publicitaires avec des inscriptions comme « Jésus est le maître de ce lieu » en Acari parlaient du domaine du trafic dans ce lieu, et pas nécessairement et exclusivement de la condition éthique et morale locale, d’un domaine des évangéliques. C’est l’hypothèse sur laquelle je travaille et qui m’a aidé à réfléchir à des cas comme ceux qui se sont produits récemment à Baixada Fluminense.

La religion, ses codes, images et répertoires sont aujourd’hui un symbole de la domination de certains groupes armés dans les territoires - Christina Vital
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IHU On-Line - Il existe une maxime selon laquelle, dans le favela, où les pouvoirs publics n’arrivent pas, le trafic - et maintenant les milices - assume ce rôle et commence à dicter ses règles. Peut-on associer cette logique à la croissance évangélique dans les périphéries et les favelas ? Est-ce, en fait, la seule religion qui puisse atteindre ces personnes ?

Christina Vital - Les périphéries et les favelas ont toujours été des territoires de fortes religions chrétiennes et afro-brésiliennes. Plus récemment, avec un nombre croissant de musulmans, mais pas statistiquement pertinent. Dans ces régions, il y avait beaucoup de philanthropie catholique distillée par des religieuses résidentes. Le soutien social était également exercé, quoique de manière moins structurée, par des terreiros de candomblé et des maisons de l’Umbanda qui exerçaient leurs activités religieuses en ces lieux.

Les églises évangéliques se sont dispersées dans ces localités, principalement à partir des années 1970. Leur multiplication dans l’environnement est à la fois propulsive et le résultat de la croissance évangélique identifiée au Brésil à partir de 1980. C’est-à-dire que depuis 1940, le nombre d’évangéliques a augmenté au Brésil, mais de manière marquée depuis les années 1990. Les villes sont le principal foyer de croissance et en elles, leurs favelas et périphéries. Les églises évangéliques, comme toutes les religions, jouent un rôle social. Leurs actions impliquent une dimension spirituelle et sociale.

Depuis 1940, le nombre d’évangéliques a augmenté au Brésil, mais de manière marquée depuis les années 1990. Les villes sont le principal foyer de croissance et en elles, leurs favelas et périphéries - Christina Vital
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Le rôle des évangéliques

En particulier, les églises évangéliques investissent de plus en plus dans le travail émotionnel avec des pasteurs formés en psychologie, une écoute constante des membres, offrant des cours destinés aux couples et aux jeunes dans lesquels le travail dit émotionnel de « guérison et libération » est un point culminant. Outre ces dimensions, l’église a une place importante dans la sociabilité de ses membres et sa croissance a un impact sur la sociabilité locale, car différents marqueurs de la vie quotidienne dans ces lieux sont guidés par les églises : les festivités, les services publics et même le commerce qui assume un visage évangélique avec des salles, des cafétérias, des petits marchés aux noms faisant référence à l’univers chrétien, en plus des peintures avec des passages bibliques si courants dans les favelas d’aujourd’hui. Les Églises forment ainsi des réseaux de protection spirituelle, émotionnelle et même économique (il existe de nombreux échanges et indications de postes vacants et de stages de formation et de formation professionnelle parmi les fidèles, par exemple).

Les églises évangéliques investissent de plus en plus dans le travail émotionnel avec des pasteurs formés en psychologie, une écoute constante des membres, offrant des cours destinés aux couples et aux jeunes dans lesquels les œuvres dites émotionnelles de « guérison et libération » sont un moment fort - Christina Vital
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Église et État

Je ne pense pas qu’il soit correct de dire que l’Église grandit là où l’État n’est pas présent. L’État est présent dans ces lieux, mais de manière précaire, renforçant les sentiments de méfiance, élément corrosif de la vie sociale. Pour qu’une collectivité existe et parvienne à gérer ses tensions, ses membres doivent avoir confiance en eux et en leur institutions
L‘action (peut-être intentionnelle) de l’État interfère avec la production ou le renforcement des insécurités, formant un terrain favorable pour les organisations qui promeuvent des sentiments de confiance collectifs. Ainsi, la corrélation directe entre l’absence d’État et la croissance des religions est partiellement valable.

Pourquoi certaines et pas d’autres

Il est également important de comprendre pourquoi certaines religions se développent et pas d’autres. En mettant en évidence le caractère multiforme de l’activité évangélique, j’ai tenté de présenter l’une des raisons de sa croissance sur le terrain. À l’évidence, dans un pays d’hégémonie catholique, un récit tout aussi chrétien constitue un élément significatif de sa croissance. Autrement dit, ils ont déclenché un langage qui communiquait déjà culturellement.

Afin d’inverser l’ascendant de certaines religions dans le système pénitentiaire, une profonde réforme devrait être menée - Christina Vital
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IHU On-Line - Comment comprendre le travail et la grande adhésion aux églises évangéliques à l’intérieur des prisons ? Pourquoi ces groupes semblent-ils capables d’arriver là où aucune autre église ne le peut ? Quelles sont les limites d’autres actions, comme la pastorale carcérale de l’Église catholique ?

Christina Vital - Il existe une relation très importante entre l’action évangélique dans les prisons et l’accueil des toxicomanes et l’adoption d’un langage évangélique par les trafiquants. Le « christianisme structurel », révélé dans les accords qui favorisent la foi chrétienne dans les institutions publiques, est important pour que nous pensions également au développement de ce langage religieux chez les miliciens, étant donné que plusieurs de ces criminels proviennent des forces de police, dans les structures desquelles on note la présence très significative d’un récit religieux chrétien avec un parti pris de plus en plus évangélique. Le droit à l’assistance religieuse dans les expéditions militaires, les hôpitaux, les pénitenciers et autres établissements officiels est garanti par l’article 113, numéro 6 de la Constitution fédérale brésilienne de 1934.

Nous avons observé dans des recherches menées à l’Iser, comme on peut le voir dans d’autres travaux, que du droit de l’interné (en prison ou dans des espaces socio-éducatifs), l’assistance religieuse est devenue un droit des institutions. Les églises évangéliques se multiplient dans ces espaces et, étant donné le lien évangélique de plusieurs employés et même de la direction des lieux, comme nous l’avons vu dans les entretiens, l’enregistrement régulier de ceux qui sont dirigeants et missionnaires des églises évangéliques est favorisé. L’Église catholique a toujours été active dans ces zones de privation, mais, il y a au moins 20 ans, elle a perdu son rôle central dans ce dialogue avec les prisonniers et les responsables ainsi que la direction de la prison.

Les églises évangéliques offrent des réseaux de soutien pour les prisonniers, qui comprennent des soins d’hygiène et de la nourriture pour les membres de la famille du prisonnier et ceux qui sont libérés du système. Outre ce soutien matériel et émotionnel, il y a le spirituel et la protection et l’organisation de la vie carcérale de chacun, comme on l’a vu dans les rapports et les travaux universitaires d’expression.

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Ainsi, pour renverser l’ascendant de certaines religions dans le système pénitentiaire, une réforme profonde devrait être faite. En raison de la précarité structurelle et de la déshumanisation auxquelles sont soumis les détenus, les institutions religieuses, et en particulier les évangéliques du fait de leur présence massive, ont été fondamentales pour la survie d’innombrables détenus et pour l’organisation quotidienne des gestionnaires de ces espaces eux-mêmes.

L’assujettissement des résidents est une démonstration de force, de domination. Une attitude qui associe croyance religieuse et mode commun d’opération criminelle - Christina Vital
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IHU On-Line - Comment comprendre le contrôle et les attaques contre les autres religions, notamment celles d’origine africaine, que le trafic et les milices « évangéliques » imposent dans les favelas de Rio ?

Christina Vital - Tout d’abord, il faut comprendre que la domination territoriale a toujours été un mode opératoire des groupes armés à Rio de Janeiro. Des groupes d’extermination aux miliciens et aux trafiquants de drogue, tous ont agi à partir du contrôle territorial exercé d’une certaine manière. Comme je l’ai expliqué plus haut, la création d’une image, d’une identité grammaticale et procédurale est importante chez ces criminels, bien que ces formes d’identité / d’accord aient un caractère plus provisoire que prévu, étant donné le rythme de vie dans le crime lui-même.

L’intolérance religieuse pratiquée par plusieurs de ces trafiquants témoigne, en partie, de leur lien institutionnel ou culturel avec les évangéliques, mais aussi avec leurs propres groupes dans la mesure où des icônes, des codes religieux sont utilisés pour exprimer leur domination et leur force. La référence à Israël, le Dieu de David, de l’Ancien Testament, a une fonction importante qui se réfère au groupe criminel lui-même, ses tentatives de protection spirituelle et de confinement de la « paranoïa » et de la « névrose » que la vie criminelle leur offre.

Ce sont des phénomènes complexes et leurs motivations sont souvent peu évidentes. Un exercice responsable de compréhension de ces cas doit prendre en compte cette diversité. L’assujettissement des résidents est une démonstration de force, de domination. Une attitude qui associe croyance religieuse et mode commun de fonctionnement du crime. Le récit « moralisateur » qui accompagne ces actions attire mon attention. Comme si les trafiquants allaient endoctriner les gens, les subjuguer pour améliorer leur existence. Une opération similaire à la mystique des milices à son origine.

IHU On-Line - Outre le contexte de Rio de Janeiro, le journal El País a révélé dans un reportage qu’à Acre, un groupe d’anciens criminels maintenant pasteurs gère les conflits avec les factions et fournit un laissez-passer aux membres pour qu’ils quittent leur vie criminelle. Comment analysez-vous cette réalité ? Quelles relations pouvons-nous faire avec le contexte de Rio de Janeiro ?

Christina Vital - Ce type d’action n’est pas nouveau. L’intercession d’anciens trafiquants devant les « tribunaux de la mort » pour aider les victimes se poursuit depuis longtemps à Rio de Janeiro. Il peut être exercé par des missionnaires et des pasteurs de diverses dénominations. En particulier, à Rio, nous avons assisté à la représentation de l’Assembleia de Deus dos Últimos Dias [Assemblée de Dieu des Derniers Jours] - Adud, avec le pasteur Marcos Pereira.

A Acari, un célèbre chef du trafic du TCP s’était converti à l’Adud au début des années 2000. A cette époque, il profitait d’une vie dans l’église et était toujours en charge du trafic local. Il se considérait comme un « surhomme » parce qu’il était propre dans la vie civile et sociale et jouissait également d’un grand prestige parmi les trafiquants. Il a fait une référence très intéressante car, si l’on observe, ils sont puissants dans ces milieux : ils connaissent les codes et c’est pourquoi ils établissent une communication fluide, ils connaissent les gens, les schémas, les négociations possibles. Et ils utilisent cela à leur avantage et au profit de leurs dénominations et groupes religieux.

À Rio de Janeiro, l’aile religieuse des prisons est déjà une réalité. En plus du spectacle que ces actions promeuvent, nous nous demandons quel est le prix à payer pour la libération de la mort ? Quels sont les devoirs et obligations moraux imposés ? Dans plusieurs ouvrages on voit qu’il est attendu du « libéré » qu’il soit fidèle l’institution, au projet, au centre. De cette manière, ils sont poussés à évangéliser dans la rue, à vendre des plats chauds sur les plages, à vendre des bonbons et des sucreries aux feux rouges etc.

L’intercession d’anciens trafiquants devant les « tribunaux de la mort » pour aider les victimes dure depuis longtemps à Rio de Janeiro - Christina Vital
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IHU On-Line - Vos recherches portent également sur l’influence de la religion dans le domaine politique. Mais quelle nouveauté cette association entre crime et religion peut-elle apporter au champ politique ?

Christina Vital - Les candidatures retenues nécessitent un investissement financier et un soutien institutionnel. Malheureusement, la double milice, soit les criminels armés et les églises évangéliques, peut avoir un revenu électoral très positif et éroder la vie publique d’une manière écrasante. Cette combinaison accomplit ce dont une campagne a besoin : de l’influence, des sommes importantes investies dans les candidatures, des institutions soutenant et présentant les noms choisis.

Les candidatures retenues nécessitent un investissement financier et un soutien institutionnel. Malheureusement, la double milice, soit les criminels armés et les églises évangéliques, peut avoir un revenu électoral très positif - Christina Vital
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IHU On-Line - Vous entreprenez également une recherche sur la « gauche » évangélique aux élections de 2020. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste cette idée de « gauche évangélique » ? Comment s’est-elle manifestée lors des élections de 2020 ?

Christina Vital - Les élections de 2020 ont été très particulières, en raison de leur apparition dans ce contexte de pandémie et d’un sentiment public d’étourdissement très accentué par rapport aux élections qui ont eu lieu depuis 2014, au moment où ce sentiment public est devenu si évident. Des partis physiologiques traditionnels ont été organisés, tout comme les petits d’auparavant, qui se sont renforcés en 2018. Les partis de gauche ont également fait leurs investissements. Certaines légendes de gauche et de centre-gauche ont tenu à inviter les évangéliques identifiés à leurs lignes directrices à composer un groupe qui affronterait le courant évangélique en politique identifié avec le conservatisme moral et le libéralisme économique.

Par ailleurs, les acteurs liés au mouvement évangélique de gauche dans la société ont pris conscience de la pertinence de ces élections en termes de préparation pour 2022 et se sont organisés pour lancer des candidatures opposées au Front parlementaire évangélique au Congrès national. Ces évangéliques de gauche que nous avons suivis lors des élections, un partenariat entre l’Iser, la Fondation Heinrich Böll et LePar / UFF, avaient des profils différents, étaient dans des dénominations et des partis différents. Le point commun entre presque tous était l’appartenance de classe (la plupart d’entre eux vivant en périphérie et ayant leurs bases politiques dans ces localités) et la défense de la vie et des droits des Noirs et des femmes dans notre société.

Les trajectoires de ces personnes que nous suivons dans la recherche sont très riches du point de vue de leurs agissements, insertions, aspirations. Nous publierons des résultats plus complets tout au long de l’année.

Sans aucun doute, les églises évangéliques ont un rôle très important dans l’assistance sociale des personnes dans les favelas, les périphéries et dans les lieux de privation de liberté - Christina Vital
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IHU On-Line - Nous ne pouvons pas perdre de vue que nous vivons une pandémie qui a des conséquences beaucoup plus dures dans les régions périphériques. Comment avez-vous analysé le réseau de soutien de ces communautés dans le contexte actuel ? Le monde du crime et les églises évangéliques sont une fois de plus ceux qui touchent ces populations ?

Christina Vital - Sans aucun doute, les églises évangéliques, comme je l’ai dit plus tôt, ont un rôle très important dans l’assistance sociale des habitants des favelas, des périphéries et des lieux de privation de liberté. Dans un contexte comme la pandémie, avec l’augmentation significative de la vulnérabilité de ces populations, l’église est devenue encore plus centrale et accueillante. Au début de la pandémie, les trafiquants ont instauré un couvre-feu dans plusieurs favelas. Les motivations étaient variées, mais elles avaient leur pertinence dans le contexte spécifique.

Par la suite, les choses sont devenues routinières et le trafic perd sa centralité organisationnelle, disons, mais il reste une source d’aide pour de nombreux résidents dans le besoin extrême dans ces endroits. Il existe des variations en termes de relation trafic-population, mais, en général, elles fournissent un soutien financier à de nombreuses personnes en situation d’urgence.

Voir en ligne : Instituto Humanitas Unisinos : « A religião como símbolo de dominação das milícias nas periferias. Entrevista especial com Christina Vital »

Photo de couverture : Christina Vital © Archives personnelles

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