La majorité des députés a reçu des donations de ceux qui se livrent à la déforestation. Comment cela se reflète-t-il dans leur activité parlementaire ?

 | Par Ana Aranha, Guilherme Zocchio, Ruralometro

Par : Ana ARANHA et Guilherme ZOCCHIO pour Repórter Brasil
Traduction de : Roger GUILLOUX

Des entreprises et des personnes ayant commis des crimes et des infractions contre l’environnement ont donné 58 millions de réaux à la moitié des députés fédéraux. Parmi ceux-ci, Christiane Brasil [1] et le ministre de l’Environnement.

Plus de la moitié des députés fédéraux élus a reçu un financement de donateurs qui figurent sur la liste des inculpés de l’Ibama [2] . Des 513 députés de l’actuelle législature, 249 ont reçu un total de 58,9 millions de réaux en donations officielles de la part d’entreprises et de personnes qui ont détruit et brulé des forêts, entre autres crimes et infractions à la protection de l’environnement. Cette somme inclut des contributions directes et indirectes – ce qui est le cas quand l’argent passe par un comité ou un directoire de parti politique.

Recevoir ces donations n’est pas un crime et n’est pas interdit par la Justice électorale. Mais la majorité des financeurs-infracteurs attire l’attention, tout particulièrement quand il s’agit d’une législature qui a approuvé des projets critiqués en raison de leur impact sur l’environnement. C’est le cas de ce que l’on a appelé la « Mesure Provisoire de la spoliation de terres » [3] qui facilite la régularisation de terres publiques qui ont été envahies. C’est le cas également de votes qui ont réduit la protection de la Floresta Nacional de Jamanxim [4] et de deux parcs nationaux.

Les donateurs-infracteurs sont un ensemble de 92 entreprises et de 40 personnes physiques. Les données présentées s’appuient sur les déclarations des candidats auprès du Tribunal Supérieur Électoral et sur la liste des infracteurs de novembre 2017 de l’Ibama. Ces données ont été vérifiées par le Ruralômetro, outil produit par Reporter Brasil qui permet de suivre les activités de chaque député dans des domaines sensibles de l’environnement, des populations indigènes et des travailleurs ruraux.

Tableau : sur la partie de gauche du tableau, le nom des entreprises incriminées par l’IBAMA ayant fait des dons ; sur la partie de droite, le nom des députés bénéficiaires de ces dons et les montants reçus en millions de réaux.

Le croisement des données offre des pistes sur la manière dont les intérêts des financeurs-infracteurs de l’environnement peuvent être connectés à l’action des parlementaires. Ceci ne suffit pas pour en conclure que les donateurs déterminent les votes et les positions politiques mais révèle certaines coïncidences qui méritent un suivi.

C’est ce que nous avons fait avec le député Adilton Sachetti, élu du PTB du Mato Grosso, mais actuellement sans parti et n’exerçant pas ses fonctions. En 2015, six mois après avoir pris ses fonctions, il a présenté trois projets de décret parlementaire qui reflètent directement l’intérêt économique de cinq financeurs de sa campagne électorale, tous inculpés figurant sur la liste de l’Ibama
Membre actif du Front Parlementaire Agricole, le front ruraliste [5] , Sachetti a reçu un million de réaux de cinq personnes et d’une entreprise ayant commis des infractions ou des crimes contre l’environnement. Cette valeur représente 26% des sommes obtenues pour son élection en 2014.

Ces projets parlementaires autorisent la mise en place d’un réseau de voies fluviales qui traverseront les États du Pará, du Mato Grosso, du Mato Grosso do Sul et du Goiás. Si ce projet était approuvé, il ouvrirait le passage aux embarcations de transport de marchandises qui sortiraient des communes de Sinop et Juína – région du Mato Grosso où se situent les activités économiques des cinq donateurs-infracteurs – et qui navigueraient jusqu’à l’embouchure du Rio Tapajós, dans la ville de Santarém, Pará.

Les producteurs de soja font du lobbying en vue de la création de voies de transport pour écouler la production du centre du pays par le littoral. Photo : Ministère de l’Agriculture.

Parmi ces donateurs, le plus connu est Eraí Maggi, qui a volé le titre de roi du soja à son cousin, le ministre de l’Agriculture, Blairo Maggi (PP – Mato Grosso). Pour aider Sachetti à se faire élire, Eraí a fait un don de 50.320 réaux. Son beau-frère, José Maria Bortoli a apporté 100.000 réaux. Tous les deux sont membres du Groupe Bom Futuro qui réunit 36 exploitations productrices de céréales, certaines étant situées à 200 kilomètres de l’endroit d’où sortiraient les embarcations de cette voie navigable.
Eraí, tout comme son cousin, figure sur la liste de l’Ibama pour pratique de déforestation illégale. En ce qui concerne le nouveau roi du soja, l’une de ses propriétés a été saisie parce qu’il avait détruit 1.463 hectares de forêt et il avait eu une amende de 438.000 réaux.

Le troisième nom est celui de Romeu Froelich, président du groupe Nativa [6] et également producteur de soja, de coton et de maïs dans la région, dans la commune de Primavera do Leste. Il a fait un don de 100 mille réaux. Froelich a une amende de 5,5 millions de réaux pour avoir détruit 3.724 hectares de forêt primaire d’Amazonie.
Le quatrième donateur est Roland Trentini qui fut membre de la direction régionale de l’Aprosoja, Association de producteurs de soja et de maïs de l’État du Mato Grosso. Il a fait un don de 50.000 réaux et l’Ibama l’a obligé à suspendre l’une des activités de sa propriété. A ce jour, il n’a pas respecté cette interdiction.

Sources : Localisations approximatives des propriétés rurales du Groupe Bom Futuro : bomfuturo.com.br/onde-estamos ; projet de voies navigables proposées par le député Adilton Sachetti : camara.gov.br

Ces quatre entrepreneurs contactés par courriel et par téléphone n’ont pas répondu à nos demandes de renseignement. Le seul à se manifester a été Santo Nicolau Bissoni qui a fait une donation de 50.000 réaux au député Sachetti et qui est actionnaire de l’entreprise de transport Agropecuária Botuverá, de Rondonópolis.
Selon Adelino Bissoni, actionnaire et frère, qui a parlé au nom du donateur, les amendes seraient déjà prescrites. « Il est extrêmement difficile de retirer notre nom de la liste de l’Ibama, nous avons déposé une demande auprès de la Justice. » En ce qui concerne la relation avec le député, ce producteur affirme qu’il n’y a pas de favoritisme. « C’est l’un de nos clients depuis trente ans. Nous sommes amis. » nous dit-il, au sujet de Sachetti qui est également producteur rural. (cf. : íntegra a resposta )

Ensemble, ces cinq donateurs forment un groupe soudé et proche du parlementaire comme Sachetti le reconnaît lui-même : « Ce sont mes amis, nous sommes tous des leaders dans ce secteur. Nous sommes arrivés ensemble au Mato Grosso comme métayers, nous avons une histoire commune ». (cf. : íntegra da resposta).
Le député a relativisé l’importance des infractions et crimes contre l’environnement. « Celui qui vit dans cette région de frontière agricole ne va pas échapper aux problèmes avec l’Ibama. Dans le Mato Grosso, la majorité des producteurs ont des problèmes avec la loi sur l’environnement ».

Le député Adilton Sachetti en réunion au ministère de l’Environnement. Financé par des auteurs d’infractions, il propose des projets critiqués par des écologistes. Photo : Gilberto Soares/MMA.

Interrogé au sujet de croisements d’intérêts, il défend ses projets et la nécessité de l’écoulement de la production rurale du Centre-Ouest. « Je sais ce que c’est que d’avoir à travailler pour améliorer la logistique du pays. Nous vivons dans un État qui a un problème de logistique » affirme-il. « J’ai reçu ces donations, c’est vrai, il n’y a aucune raison de le cacher. »
De fait, les projets de Sachetti ne reflètent pas seulement les intérêts de ses donateurs, ils répondent à l’une des principales revendications de l’agrobusiness : de meilleurs conditions de transport des céréales et du bétail du Centre du pays vers le littoral.

S’il est fortement soutenu par ce secteur, le projet de voies navigables est critiqué par les organisations de défense de l’environnement. Dans le cas des propositions de Sachetti, les travaux exigeraient le drainage de certaines parties des rivières, la destruction de chutes d’eau et leur remplacement par des écluses ainsi que la construction de nouveaux ports et un trafic constant d’embarcations dans une région de l’Amazonie qui est encore très préservée. Composée d’une mosaïque de terres indigènes protégées, il n’y a toujours pas d’évaluation de ce que seraient les impacts de ce projet sur la région. « C’est la même démarche qu’avec Belo Monte [7] , ils veulent approuver un décret avant même de réaliser des études de viabilité écologique » affirme Brent Milikan, directeur de l’ONG International Rivers au Brésil.

Le cas de Sachetti est vu par les critiques comme un exemple de la manière dont les députés reproduisent l’abîme qui existe entre les intérêts de l’agrobusiness et les nécessités de l’Amazonie : celles des peuples indigènes et des communautés traditionnelles. « Ils ne se préoccupent pas de savoir qui subira les impacts négatifs. La règle consiste à ignorer ceux qui sont déjà marginalisés et à considérer les indigènes comme des ennemis du développement » nous dit Danicley Aguiar, spécialiste de l’Amazonie à Greenpeace.

Riverains à Pimental, communauté dont les terres seront inondées par la construction de centrales hydroélectriques et d’écluses nécessaires au passage de la voie navigable. Photo Lilo Clareto / Repórter Brasil

La critique principale porte sur le fait que le processus de décision, à la Chambre des Députés, est conduit par le groupe qui en tirera le plus de profit, celui de l’agrobusiness, sans qu’il soit prévu des mécanismes de débat ou de consultation des groupes qui seraient les plus pénalisés, les milliers d’indigènes et de riverains qui vivent sur les bords des rivières. Aguiar et Brent citent la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail dont le Brésil est signataire, pour rappeler que la consultation de ces communautés est un droit qui doit être intégré au processus de décision. « Ces projets de logistique doivent passer par le débat populaire » affirme Aguiar. « La prise de décision ne peut pas être restreinte aux seuls intéressés ».

Des donateurs-auteurs d’infractions ont financé six ministres

Avec 2 millions de dons de la part d’entreprises auteures d’infractions figurant sur la liste de l’Ibama, la championne de la Chambre des Députés est la députée Cristiane Brasil (PTB-Rio de Janeiro) qui attend actuellement la décision du Tribunal Suprême pour assumer le poste de ministre du Travail [8] . « Je regrette que ces entreprises aient commis des infractions contre l’environnement et j’espère qu’elles vont régler les problèmes en suspens auprès des organismes compétents » nous répond la députée qui affirme n’avoir jamais eu de contact avec ces donateurs. Selon la députée, l’argent est arrivé par le biais d’accords avec les directions nationales et de chaque État du parti qui est dirigé par son père, l’ex-député Roberto Jefferson.

Après avoir été élus, de nombreux députés fédéraux laissent la Chambre des députés pour assumer des postes au niveau du Pouvoir Exécutif fédéral ou dans leur État d’origine. Parmi ceux dont les campagnes ont été financées par des auteurs d’infractions figurent six ministres de l’actuel gouvernement du Président Michel Temer.

Le groupe inclut jusqu’au ministre de l’Environnement, José Sarney Filho [9] (Parti Vert de l’État du Maranhão), le ministre qui a reçu la plus petite somme, 35.000 réaux. Par le biais de l’un de ses assesseurs, le Ministre a affirmé que « les donations ont été reçues par le Parti Vert. Si j’avais été au courant de ses irrégularités », je n’aurais pas accepté. »

Déforestation dans une région proche de l’endroit où les députés ont décidé de réduire l’aire de protection, à Novo Progresso, Pará. Photo : Vinícius Mendonça/Ibama

Le ministre de la Santé, Ricardo Barros (PP – Paraná), qui a reçu 627 mille réaux, a déclaré « qu’il n’a pas connaissance de l’application d’une amende ». Quant au ministre de l’Éducation, Mendonça Filho (DEM - Pernambouc), qui a reçu 330 mille réaux, il n’a pas répondu à nos demandes de clarification.
Les trois autres ministres sont Léonardo Picciani (PMDB de Rio de Janeiro), des Sports, Marx Beltrão (PMDB – Alagoas) du Tourisme et Alexandre Baldy (Podemos – Goias) de la Ville. Ils ont reçu respectivement 399 mille, 300 mille et 60 mille réaux d’auteurs d’infractions à l’environnement. Par le biais de leurs assesseurs, ils ont déclaré que toutes les donations électorales étaient légales et figuraient dans la reddition des comptes approuvée par la Justice électorale.

L’accès des députés aux postes de décision du pouvoir législatif serait un élément de plus pour expliquer l’intérêt des donateurs lors de ces campagnes électorales, selon Juliana Malerba, assesseure de la Fase, Ong qui défend les droits des peuples traditionnels de l’Amazonie. « Pour la législation sur la protection de l’environnement, les lobbies agissent également au niveau du Pouvoir exécutif par le biais de la recommandation à des postes de responsabilité ou en influençant les mesures provisoires ».

Les auteurs d’infractions ont fait des donations à pratiquement tous les partis

La liste des députés élus avec l’aide de l’argent des auteurs d’infractions n’est pas réduite à ceux du Front ruraliste, il y a des politiciens de toutes les orientations idéologiques, de la gauche à la droite. Tous les partis, à l’exception du PSOL [10] et du PSL , ont au moins un député sur cette liste.

Selon les spécialistes, la pratique disséminée de ce financement accompagne la tendance visant à flexibiliser la législation concernant la protection de l’environnement. « C’est l’exemple même du lobby légal. Il existe une force sociale à l’intérieur du Congrès, qui l’oriente dans une certaine direction » fait remarquer Emerson Cervi, professeur au Département de Sciences politiques de l’université fédérale du Paraná.

Selon Pedro Fassoni Arruda, professeur au Département de Sciences politiques de l’Université Pontificale de São Paulo (PUC-SP), ce type de financement n’est pas une nouveauté. « Lors de l’élection des membres de l’Assemblée Constituante, l’Union Démocratique Ruraliste réalisait déjà une vente aux enchères de bétail pour financer les candidats liés à ses intérêts ».

Dans la mesure où les donations ont été faites légalement, Cervi fait remarquer qu’il est plus difficile, bien que nécessaire, de vérifier si l’action du parlementaire est prisonnière des intérêts des financeurs. « Financer une campagne alors qu’on est auteur d’infractions n’est pas illégal. Mais le faire pour en retirer des bénéfices est immoral ».

Ce reportage est une partie du Ruralômetro spécial, outil qui suit l’action des députés fédéraux dans les domaines de l’environnement, des peuples indigènes et des travailleurs ruraux. (http://ruralometro.reporterbrasil.org.br )

Notes de la traduction

Les partis politiques mentionnés dans cet article. Les partis suivants appuient l’action du gouvernement Temer : Parti du Mouvement Démocratique Brésilien (PMDB maintenant MDB), Parti Populaire (PP), Parti Social-Démocrate du Brésil (PSDB), DEM (réduction de Parti Démocratique), Parti Travailliste Brésilien (PTB). Quant au parti Podemos, il vient de prendre ses distances avec le gouvernement.

Voir en ligne : Repórter Brasil

[1Christiane Brasil. Le 03 janvier dernier, elle a été nommée ministre du travail par le Président Temer mais la Justice fédérale a suspendu sa nomination en raison d’une condamnation par ce même ministère pour non–paiement de l’un de ses employés.

[2Ibama Institut brésilien de protection de l’environnement. Il dispose d’une police lui permettant de contrôler et éventuellement sanctionner le non-respect des normes établies.

[3Medida Provisoria (MP). Selon le droit brésilien, la Mesure Provisoire, est un pouvoir conféré au Président de la République lui permettant de légiférer en urgence sans la participation du Pouvoir Législatif. Elle a une validité de 60 jours qui peut être prolongée de 45 jours. A l’issue de ce délai, la MP doit être examinée sans tarder par le Pouvoir Législatif qui peut la révoquer ou l’approuver.

[4Floresta Nacional (Flona). Les flonas sont des espaces forestiers publics protégés, de conservation de la nature. La flona de Jamanxin, située en Amazonie, occupe un espace de 1,3 million d’hectares.

[5Front ruraliste trans-partis : voir l’article Les fronts parlementaires trans-partis, sur le site d’Autres Brésils

[6Nativa : entreprise de produits cosmétiques

[7Barrage de Belo Monte : l’une des plus grandes centrales hydroélectriques du monde, sa construction devrait prendre fin en 2019 soit cinq ans après la date prévue en raison du nom respect du cahier des charges en ce qui concerne l’impact sur les populations indigènes et l’écosystème local.

[8La décision du Supremo Tribunal Federal se faisant attendre, le PTB vient de proposer une autre candidature.

[9Fils d’un ancien Président de la République

[10PSOL : Parti Socialisme et Liberté (dissidence du PT, à gauche du PT), PSL : Parti Social Libéral (parti d’extrême droite).

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